Christophe Geldron : "J'ai le plaisir d'annoncer qu'Arion, de Yoshikazu Yasuhiko, sortira en France chez naBan édition en 2023"

Christophe Geldron : "J'ai le plaisir d'annoncer qu'Arion, de Yoshikazu Yasuhiko, sortira en France chez naBan édition en 2023" Obtenir la licence d'un manga que l'on rêve de publier depuis la création de sa maison d'édition est une sacré victoire. C'est un éditeur avec des étoiles plein les yeux qui explique à Linternaute.com comment exister en tant que petit éditeur indépendant, aussi bien auprès des ayants droits japonais que du lectorat francophone.

Trois ans après son lancement - aux yeux du grand public - l'éditeur indépendant naBan s'apprête à souffler ses bougies en grande pompes, avec l'annonce d'une license que l'éditeur convoite depuis sa création: Arion. Comment construire un catalogue quand on est face à des maisons d'édition installées et aux budgets bien supérieurs ? Comment exister dans les librairies dans un marché qui accueille plusieurs centaines de nouveautés tous les ans et dont la moitié des ventes est trustée par moins de vingt séries ?  Christophe Geldron, fondateur des éditions naBan, raconte.

Venus Wars et Arion vont prochainement paraître en français chez naBan Editions. Bonne lecture à tous !! © © Yoshikazu YASUHIKO / Tokuma Shoten . © Yoshikazu YASUHIKO 1989 / Gakken

Linternaute.com : Comment sont nées les éditions naBan ?

J'ai dû quitter l'aventure de Black Box plus tôt que ce que je pensais et j'avais cette sensation de ne pas être allé jusqu'au bout de ce que je voulais. Cette frustration tenace de ne pas avoir pu développer des collections sans avoir de comptes à rendre. Avec le temps celà est devenu une obsession: il fallait absolument que je tente l'aventure. Et ce même si je n'avais pas de plan économique. Ça passait ou ça cassait mais je ne voulais pas m'arrêter sur cet échec.

Quand on arrive sur un marché concurrentiel, presque saturé, comment dit-on aux éditeurs japonais qu'on existe ?

C'est là où les agents sont cruciaux. Suivant la relation que l'on a eu avec eux pendant pas mal de temps, ils savent qui vous êtes. On peut se planter, on peut perdre sa société, ça arrive, mais tant que l'on a été réglo, alors la porte ne sera pas fermée. Cela s'est très bien passé avec Shogakukan (NdlR: éditeur du Shonen Sunday, qui publie entre autres Mitsuru Adachi, Rumiko Takahashi et Gosho Aoyama) . Je voulais juste un rendez-vous pour travailler avec eux. On a parlé, ils savaient ce que j'avais fait avant naBan, j'avais travaillé avec eux, mais ils avaient accepté à partir du moment où c'était un petit titre.

Comme ils avaient déjà vu ce que j'avais fait avant, ils savaient que je n'allais pas faire moins bien et que je pouvais même m'améliorer. C'est comme ça qu'ils m'ont ouvert le catalogue.

© Yoshikazu YASUHIKO / Tokuma Shoten

Quels titres peut-on s'autoriser à chercher ?

Bien sûr, on ne peut pas prétendre aux best-sellers du catalogue. J'ai demandé trois, quatre titres que j'aimais mais qui n'étaient pas des cartons absolus au Japon, et ils m'ont dit qu'ils étaient disponibles. Je me suis arrêté sur un Demande à Modigliani. Le fait d'avoir un titre de Shogakukan, le plus petit qui soit, m'a beaucoup aidé. C'est un gage que les autres éditeurs japonais ne peuvent qu'apprécier. J'ai eu énormément de portes ouvertes grâce à la confiance que Shogakukan et son agent de droits m'ont accordéé.

Le marché du manga peut avoir parfois un temps très long. Combien de temps à l'avance négociez-vous ?

Il faudra compter à peu près un an avant une sortie à minima. Le distributeur en France doit être prévenu six mois avant la sortie pour l'ajouter à ses plannings et engager des actions commerciales auprès des librairies, donc il faut déjà avoir signé six mois en amont. Il faut toujours demander en premier si la licence est disponible, ensuite il faut envoyer une offre, qui sera étudiée par les agents puis transmise à l'éditeur nippon. Il arrive que l'auteur soit même impliqué dans la décision. Ensuite il reste à signer le contrat et à payer les avance de droits d'auteurs.

Parfois, cela va très vite, il m'est arrivé de signer des contrats en moins d'un mois, et d'autres d'attendre plus d'un an… Les titres que je viens de signer sont en contractualisation depuis décembre 2021.

© Yoshikazu YASUHIKO / Tokuma Shoten

De quel titre s'agit-il ?

J'ai le plaisir d'annoncer qu'Arion, de Yoshikazu Yasuhiko, sortira en France chez naBan édition en 2023. En France, on connaît la version anime qui était sortie chez Kaze.

J'ai cru comprendre que c'est un titre qui vous tenait particulièrement à cœur ?

C'est un titre que je voulais depuis très longtemps! J'avais même fait une demande dès la conception de naBan à un agent mais ce dernier n'arrivait pas à trouver qui possédait les droits. Cela faisait un moment qu'il n'avait pas été réédité.

Comment avez-vous réussi à en obtenir les droits ?

J'avais réussi à trouver deux intégrales, dans une petite librairie de seconde main, lors d'un voyage à Nara. Mais l'auteur était impliqué sur ses productions actuelles et ne prêtait aucune attention à ses titres passés. C'est le cas de beaucoup de mangakas. Mais en décembre 2021, j'ai demandé à l'agent de redemander via l'éditeur original s'il n'était vraiment pas possible de négocier les droits. Et fort bien m'en a pris car l'avocat de l'auteur a répondu très vite que ce dernier était d'accord. Il a fallu être patient, car la contractualisation entre l'auteur et  l'éditeur japonais à pris sept mois. Puis deux mois pour que l'on signe un contrat avec naBan. En effet, j'avais une exigence un peu particulière, je souhaitais absolument repartir de cette intégrale de 1986 : grand format avec pages couleurs. Mais ils n'avaient plus les fichiers source, alors j'ai dû leur montrer que j'avais déjà les éditions physiques et que j'était capable de les scanner en bonne qualité.

Plus tôt, vous avez parlé de deux titres. Quel est le second ?

Venus Wars, aussi de Yoshikazu Yasuhiko - dit Yas par les fans de Gundam -  mais qui est publié chez un autre éditeur au Japon. C'est ça qui était assez intéressant. J'ai eu l'impression que parce que je débloquais un premier titre, l'autre se débloquait. C'était presque un signe. Comme j'avais déjà tout dit pour le précédent titre, l'homme de confiance de Yas était au courant.

Pour Arion cela a pris huit, neuf mois; pour Venus Wars cela a pris un mois et demi.

Arion sortira en avril 2023 avec un tome tous les trois ou quatre mois. Il y aura trois tomes en grand format avec des pages en bichromie et certaines en quadricolor. Il y aura même des pages bonus. Je suis très content parce que le titre date de 86 et il n'a jamais été réédité comme ça au Japon. Cela va être la première fois en dehors du Japon qu'il va être édité dans ce format-là. On devrait avoir un prix aux alentours de 20 euros pour 400 pages pour Arion et 450 ou 500 pages pour Venus Wars qui ne fera que deux tomes. Venus Wars sortira juste après. On fournira les scans retraité que l'on a fait aux éditeurs japonais, celà pourrait servir à d'autres éditeurs étrangers.

© Yoshikazu YASUHIKO / Tokuma Shoten

Est-ce que vous touchez de l'argent si un autre éditeur s'en sert ?

En général, on leur donne les scans pour leurs éditions. Souvent ce sont juste qu'ils ne sont pas rééditées. Cela fait aussi partie de la bonne relation que l'on entretient avec eux.  Les éditeurs japonais font payer la mise à disposition d'éditions numériques entre 100 et 500€ par volume. Donc si un éditeur étranger est intéressé, il ne serait pas impossible que je touche une commission. Mais nous verrons si le cas se présente.

Yas est très connu au Japon: c'est une personne très importante dans l'univers de Gundam. Sur quel tirage partez-vous ?

Pour l'instant, je me lance un défi en tirant cette édition à 4 000 exemplaires. Je pense que ça ne devrait pas poser trop de problèmes. En ayant un grand format, on va prendre ceux qui aiment vraiment les mangas, ceux qui vont vouloir découvrir un manga un peu plus adulte, alors qu'il ne l'est pas à la base. Il y a le fait aussi qu'il y a de plus en plus de jeunes lecteurs de moins de 25 ans qui ont l'impression d'avoir loupé énormément de choses en n'étant pas là dans les années 80, et sont très curieux et gourmands de cette période. C'est exactement ce que j'ai eu avec Destination Terra. Je pensais faire 1 500-2 000 ventes et je suis à peu près à 4 500 – 5 000 sur le tome 1. Donc, il ne faut pas mettre de côté les envies des jeunes lecteurs.

© Yoshikazu YASUHIKO / Tokuma Shoten

Le modèle économique change, avec l'explosion du coût du papier ?

Tout à fait. Le papier a augmenté de 50% et je crois qu'à terme ce sera 75%. Selon certaines estimations, il devrait redescendre parce qu'il y a eu de la spéculation, mais est arrivé la crise de l'énergie qui maintient ce prix élevé.

 J'utilise un papier qui est fait chez Stora Enso qui a déclaré qu'ils allaient arrêter la production. Pour l'instant, les prix pour le manga ont augmenté de 25%.

Donc forcément cela a un impact. Je garde les anciens titres au prix normal et je mets les nouveaux à un prix que je pense être le bon. Cela peut-être des fois 50 centimes ou 1 euro de plus.

Il faut savoir que si je fais payer aux consommateurs un euro de plus, je ne récupère que 45 centimes. Donc, si le papier a augmenté de 60 centimes cela voudrait dire qu'il faudrait que je fasse une augmentation de 1,20 euro, chose qui n'est pas toujours possible.

On tape beaucoup sur les éditeurs au regard des augmentations de tarifs mais il faut aussi comprendre qu'on récupère à peine la moitié de la somme payée.

© Yoshikazu YASUHIKO / Tokuma Shoten

Est-ce qu'il y a d'autres raisons qui expliquent ces délais ?

Après la pandémie, les éditeurs se sont mis à acheter des titres comme des malades, donc les agents ont été débordés et les éditeurs japonais aussi ont été débordés. Ils ont privilégié les gros contrats avec les personnes qu'ils connaissent depuis longtemps. Ce qui est normal. J'ai bien senti que je passais quand ils avaient le temps. Par exemple, pour une demande que j'ai formulé il y a un an, je viens juste de recevoir un message me demandant si je suis toujours intéressé par ce titre. Il peut arriver aussi que les délais soient liés à l'auteur, s'il est sur un titre en cours de publication et qu'ils n'osent pas le déranger.

Les délais de réponse peuvent-ils provoquer des déséquilibres dans un catalogue ?

Toujours. Comme les Japonais mettent parfois beaucoup de temps à répondre que ce soit sur les très gros titres ou des titres plus communs, on est obligés de constamment faire des offres. On part toujours sur une moyenne de deux, trois mois pour une réponse et une sortie dans neuf mois. Mais ce n'est pas toujours le cas. Depuis octobre 2021, il n'y a pas eu beaucoup d'annonces chez naBan, parce que je n'avais pas de réponse et que je refusais de sortir des titres juste pour faire du chiffre d'affaires. Toutes les demandes que j'avais faites depuis l'année dernière ont finalement été accordées, donc je me retrouve avec plein de titres d'un coup qui normalement aurait dû être distillés entre 2022 et 2023 et qui vont tous sortir en 2023 parce qu'il va falloir faire les contrats, les payer et donc récupérer de l'argent le plus vite possible. Mais c'est une situation classique. C'est pour ça que vers septembre, les éditeurs dévoilent le catalogue de l'année suivante à la presse parce qu'ils ont quasiment tout de prêt à envoyer aux imprimeurs. On ne peut plus être comme avant et faire ses emplettes une fois tous les trois mois. Il faut être en permanence dans l'anticipation et la réaction.