Akira Toriyama nous a quitté, mais son oeuvre est immortelle. Retour sur le parcours du mangaka légendaire

Akira Toriyama nous a quitté, mais son oeuvre est immortelle. Retour sur le parcours du mangaka légendaire L'annonce du décès d'Akira Toriyama est une onde de choc qui a surpris le monde ce 8 mars 2024. Humble tentative de rendre hommage à l'artiste qui a révolutionné le genre appelé "shonen" et à inspiré un nombre de carrières incalculable.

Avec plus de 300 millions de volumes en circulation dans le monde, le manga Dragon Ball, d'Akira Toriyama n'est devancé au top des ventes que par le manga One Piece. Alors que l'on entre dans l'année du quarantenaire de ce titre phare, qui a marqué l'âge d'or du Shonen Jump, dans l'année astrologique du dragon de surcroît, la fête tout à coup s'arrête : Akira Toriyama n'est plus.

Il y a des mots que l'on n'a jamais envie d'écrire, des chroniques auxquelles on n'a pas envie de participer. Aujourd'hui, ce papier est de cet acabit. Comment rendre hommage à l'un des plus grands artistes du XXe siècle ? Peut-être en essayant de retracer, brièvement, son incroyable parcours.

Des lignes de force aux onomatopées, tout dans l'art d'Akira Toriyama dénote et attire le regard des lecteurs aussi bien nippon qu'occidentaux. Sa passion pour les véhicules (et les armes) lui permet de réaliser des designs réalistes et incroyablement détaillés. Mais ce que les fans citent en premier lieu c'est le talent de Toriyama pour rendre ses personnages vivants. Que ce soit en jouant avec le style Super Deformed (SD) à la limite de la caricature dont il raffole, ou sur des scènes de combats où les muscles saillants sont légèrement déformés. Son trait précis, dynamique et sans fioriture reste aujourd'hui inégalé. Mais comment ce petit garçon issu d'une famille modeste est devenu le mangaka le plus respecté du monde entier ?

Une patte graphique sans égale

Akira Toriyama, c'est un graphisme original né d'une influence partagée entre Osamu Tezuka et Walt Disney (particulièrement le film les 101 Dalmatiens, puisqu'à une période, il réalisait un dessin quotidien d'Atom - Astro boy - et des 101 dalmatiens) mais aussi un art de la composition graphique avec une lecture limpide probablement héritée de son court passage en tant que graphiste publicitaire.

Car oui, l'illustre mangaka a commencé sa carrière professionnelle en tant que designer dans une agence de publicité ! Mais après deux ans et demi au sein de cette société, l'artiste a bien compris que ce métier n'était pas pour lui. Il devient illustrateur freelance et alors qu'il vivotait de ses revenus irréguliers, il voit dans Weekly Shonen Jump une annonce de recherche de mangaka. Le premier prix devait recevoir la somme de 500 000 yens (ndlr : environ 3500 euros, sans compter l'inflation). C'est décidé, le jeune (23 ans à l'époque) Akira Toriyama va écrire son premier manga.

Ce dernier choisit de partir sur un manga de gag, non par appétence particulière pour le genre, mais pour une raison simple : la récompense est la même alors que le nombre de pages est deux fois moindre que pour une histoire " classique" ! Il ne remporte pas le concours, mais tape dans l'œil d'un jeune éditeur : Kazuhiko Torishima. Ce dernier l'invite à lui soumettre d'autres projets. Fan de Star Wars, Toriyama réalise alors plusieurs parodies de la saga de Georges Lucas.

Pendant un an, l'éditeur - fervent défenseur d'un management à la dure - va rejeter toutes les propositions du jeune mangaka. Ce dernier ne se décourage pas malgré 500 pages de manga refusées et persiste pour notre futur bonheur. Ces refus ont quand même impacté sa confiance en lui, raison pour laquelle il n'a pas pris de nom de plume en se disant que les ventes de ses mangas resteraient anecdotiques. C'est son plus gros regret vis à vis de sa longue et belle carrière de mangaka.

Des débuts compliqués puis une vraie success story

C'est en 1978 qu'il fait des débuts officiels avec le one shot "Wonder Island". Cette première publication n'emporte pas les faveurs des lecteurs qui la classent en dernière position des sondages de popularité… Torishima et Toriyama n'abandonnent pas et continuent d'œuvrer pour publier une histoire qui ravira les lecteurs. Après plusieurs échecs, naît la série qui va asseoir la notoriété du mangaka : Dr Slump… Le succès commercial est au rendez-vous  : 18 volumes, plus de 30 millions de tomes vendus au Japon, deux adaptations en dessin animé, et d'estime : grand prix du Manga Shogakukan de 1981. 44 ans après ses débuts, le personnage d'Arale, le petit robot d'ailleurs reste une icône indémodable au Japon et au delà.

La première adaptation en anime a culminé à près de 37% de part d'audience. C'est l'un des premiers shonen (manga pour garçon) à aussi exploser auprès du lectorat féminin. Avec Dr Slump, Akira Toriyama est déjà une star au Japon. Mais c'est sa série suivante Dragon Ball qui va lui permettre de conquérir le monde entier.

Dragon Ball, plus qu'une histoire, une aventure

Très librement inspiré du roman chinois : La pérégrination vers l'Ouest, l'univers de Dragon Ball mélange harmonieusement les genres de la fantasy, du fantastique et de la science-fiction. Dragon Ball propose un folklore et un bestiaire d'une richesse faramineuse. Presque trop riches d'ailleurs, assez vite l'auteur et son éditeur décident de recentrer l'histoire autour de trois personnages clé : Goku, Krilin et leur maître Kamé-Sennin. Le manga tend alors plus vers un manga d'action, l'humour diminue un petit peu et les enjeux deviennent majeurs. Le héros ne se contente plus d'une quête de puissance mais doit de surcroît sauver le monde.

C'est d'ailleurs à ce moment que l'auteur décide de faire grandir son protagoniste, une croissance qui accompagne fort à propos celle du lectorat, même si de l'aveu de l'auteur, elle était avant tout faite pour rendre plus réalistes et intéressantes les scènes d'action. Au fil de la série Dragon Ball, le trait de l'artiste perd de sa rondeur presque cartoonesque pour aller sur des traits et des profils plus aquilins.

L'auteur ne s'arrêtera pas à cette seule transformation d'ailleurs, le héros et les autres protagonistes connaîtront de nombreux changements. Principalement pour accompagner une évolution sur l'échelle de puissance imaginée par l'auteur et qui trouve un écho incroyable auprès du jeune lectorat, avide de comparaisons chiffrées. Et parfois pour marquer une autre évolution du personnage. Son Goku passe par exemple d'enfant à père puis même grand-père.

Les magazines de prépublication au Japon ont un lectorat très ciblé. Le Weekly Shonen Jump vise les jeunes garçons, du primaire à la fin du lycée. Un certain nombre de valeurs sont véhiculées par la majorité des œuvres qui fleurissent au sein de ce magazine : dépassement de soi, ténacité, sacrifice, esprit d'équipe, amitié… Dragon Ball n'est pas en reste, et l'universalisme et l'intemporalité de ces valeurs trouvent encore un écho dans le lectorat contemporain.

La licence est aujourd'hui l'une des plus célèbres dans le monde entier. Bien aidé par une exploitation à tous les formats possibles. Dragon Ball est l'un des mangas fondateurs de l'exploitation 360 des licences populaires au Japon : jeux vidéo, dessins animés, merchandising, pas un pan de la société de consommation ne semble échapper à la conquête des guerriers de l'espace. En France, Dragon Ball est la licence qui a marqué l'âge d'or du Club Dorothée. Impossible d'imaginer les années 90 sans ce monument de la culture populaire, tant l'œuvre a conquis les après-midi des adolescents du pays entier (jusqu'à 87% de part d'audience). Un nouvel ersatz - Dragon Ball Daima - est prévu pour l'automne 2024.

Au-delà de la licence même, le manga Dragon Ball a posé des bases de narration qui servent encore aujourd'hui de carcan pour une grande partie de la production de manga pour adolescents : tournoi, équipe de 5, l'antagoniste taciturne qui devient " gentil", les unités de mesures pour la puissance des protagonistes et de leurs adversaires, etc.

Mais n'oublions pas les autres œuvres du maître, son apport en tant que chara designer sur la licence Dragon Quest, par l'intermédiaire de Yuki Horii a également marqué l'histoire du jeu vidéo. Son titre Jaco le patrouilleur galactique co-écrit avec son meilleur ami Masakazu Katsura publié en 2013 lui a permis de revenir à ses amours de SF déjanté.

Son manga Sand-Land vient aussi d'être adapté en film d'animation au Japon (et sortira en France en 2024).

Le lecteur curieux, entre deux larmes pourra se procurer le recueil de ses histoires courtes, soit en un tome dans la langue de Shakespeare, soit dans l'édition française en trois volumes.

Dragon Ball a indéniablement marqué l'Histoire du manga et de la pop culture dans le monde entier. Des vocations sont nées grâce à l'œuvre de maître Toriyama. L'ancien ministre des affaires étrangères Yoshimasa Hayashi a reconnu l'influence du mangaka sur le " soft power" japonais. Akira Toriyama a été intronisé chevalier des Arts et des Lettres en 2019.

Au revoir maître Toriyama, si votre départ provoque un flot d'émotions chez le fan que je suis je ne doute pas une minute que votre œuvre restera intemporelle. Merci encore pour ces heures de joie que la lecture de vos histoires m'a procuré. Aujourd'hui nous somme nombreux à regretter que les Dragon ball n'existent pas, nous aurions aimé invoquer Shenron pour vous faire revenir parmi nous et profiter encore de nombreuses années de votre bienveillance.