Masakazu Katsura : "j'aimerais faire une suite à Zetman"

Masakazu Katsura : "j'aimerais faire une suite à Zetman" Wingman, Video Girl Ai, DNA², I''S, Zetman… On ne compte plus les succès de Masakazu Katsura, le mangaka fan de SF et roi des belles courbes. À l'occasion des célébrations de ses 40 ans de carrière, Linternaute.com a pu l'interviewer à Tokyo. Morceaux choisis.

La première rencontre entre Masakazu Katsura et le public francophone est le dessin animé Wingman, diffusé pour la première fois en 1989 au sein de l'émission culte le "Club Dorothée". Mais c'est avec Video Girl Ai qu'il rentre par la grande porte dans l'histoire du manga en France. En effet, lorsque les éditions Tonkam publient en 1994 cette comédie romantique tirée du magazine Weekly Shônen Jump, il s'agit du premier manga publié chez nous avec une jaquette. Les mangas en France n'en sont alors qu'à leurs balbutiements éditoriaux et, hormis les blockbusters adaptés en dessins animés, très peu d'oeuvres originales étaient arrivées jusqu'à nos frontières, ou alors pour un public plus adulte (Akira par exemple). Avec Video Girl Ai, les adolescents francophones découvrent leur première romance en manga, et à l'âge des premiers émois sentimentaux, ce genre de découverte marque. Les séries suivantes de Masakazu Katsura ne sont pas en reste et l'auteur devient une référence pour plusieurs générations de lecteurs. Retour sur une carrière particulièrement riche.

VIDEO GIRL AI/LEN © 1989 by Masakazu Katsura/SHUEISHA Inc.

Linternaute.com : quand avez-vous su que vous vouliez devenir mangaka

(Il hésite) C'est difficile de répondre avec un évènement spécifique… Quand j'étais en classe de 4e au collège, j'ai commencé à dessiner des mangas et à les soumettre à des concours. À cette époque, je n'avais aucune velléité à devenir mangaka professionnel. Je voulais juste remporter le prix Tezuka pour la prime et m'acheter du matériel hi-fi. Puis à force de continuer, j'ai commencé à me poser la question : "Est-ce que je pourrais devenir mangaka?". Je dessinais tout le temps pendant le lycée, même dans les transports en commun. Et puis un jour, alors que je n'avais toujours pas pris la résolution d'en faire mon métier, j'ai reçu un coup de fil de Shueisha… Mais initialement, c'était avant tout l'appât du gain (rires).

Quand est-ce devenu un métier de passionné ?

Dès le départ, j'aimais ça. C'est parce que j'adorais dessiner et raconter des histoires que j'ai pu faire une carrière en tant que mangaka. Depuis l'adolescence, je m'épanouis en dessinant des mangas, mais jamais alors je n'avais pu songer à en faire mon métier. À l'époque, ça n'était pas vraiment un choix de carrière répandu ou même attractif.

Je pense que les jeunes aujourd'hui ont cette volonté de "rentrer au Weekly Shōnen Jump" ou ont pour objectif de devenir mangaka. Je suis impressionné par la vision dont fait preuve cette nouvelle génération. Rétrospectivement, j'ai l'impression que je vivais plutôt au jour le jour. D'ailleurs, me voilà aujourd'hui à 60 ans, encore mangaka, arrivé là en me laissant guider par le vent. Peut-être que je suis une sorte de génie (rires). Mon plus gros point faible, c'est que je n'avais pas assez de vision de ce qui marchait ou ne marchait pas. Je ne maîtrisais pas les astuces du médium.

Akira Toriyama (les deux auteurs sont de très bons amis et s'appelaient presque tous les jours il y a 20 ans, NDLR) aussi est arrivé là sans la vocation de devenir mangaka. Mais lui, quand il est passé pro, il a tout de suite développé ses stratégies "si je fais comme ça, ce sera drôle et ça marchera" ou encore "si je mets en scène ainsi, ça sera plus dynamique". C'est quelqu'un qui maîtrise ces questions, c'est pour cela qu'il a réussi à produire des best-sellers au succès mondial. Dans mon cas, même après 40 ans de métier, je ne maîtrise pas ces clés.

La science-fiction est très importante dans votre œuvre…

Dans les années 80, nous étions au plein cœur d'un boom gigantesque de la science-fiction au Japon. J'échangeais beaucoup avec mon tantô et avec le comité de rédaction. C'est un genre que j'aime et comme ça avait la côte… Même Den'ei Shôjo (Video Girl Aï), qui est une histoire de romance, est associé à la science-fiction.

Vous étiez quand même l'expert de la romance au sein du Weekly Shônen Jump.

Ah oui, vraiment ? (rires)

Quelles sont vos références pour ce genre ?

Je ne lisais pas tant de mangas que ça à l'époque. Mon inspiration vient plus du cinéma.

Pour ce qui est des relations humaines, les films Some Kind of Wonderful (La Vie à l'envers, 1987) et My life as a dog (Ma vie de chien, 1988) m'ont marqué et probablement inspiré à leur manière.

Est-ce que vos confrères du Shônen Jump comme Akira Toriyama venaient vous demander des conseils sur les romances éventuelles entre leurs protagonistes ?

Non. Maître Toriyama n'est pas intéressé par les romances. D'ailleurs, quand nous avons coécrit un manga ensemble, il m'a dit "pour ça, je te laisse faire ce que tu veux". Il n'avait pas l'intention d'apprendre comme il n'était pas intéressé. Son œuvre majeure est Dragon Ball, un manga qui n'a aucun rapport avec la romance.

Trois de vos premiers one-shots, Tsubasa ("Aile"), Transfer Student, Transform! et Gakuenbutai 3 Parokan ("Les Troupes de l'Académie 3 Parokan"), semblent être les prémices de Wingman.  Racontez-nous la genèse de ce manga.

Pour Tsubasa, j'étais très loin d'avoir déjà Wingman en tête. J'ai eu l'idée du design du personnage principal en premier. Et comme il me plaisait bien et que je ne voulais pas le gâcher, j'ai construit une histoire autour de ce protagoniste pour participer au prix Tezuka. À l'époque, j'étais fan du drama historique historique Hissatsu Shigotonin. Alors je me suis demandé si je ne pouvais pas raconter une histoire du style "un héros mercenaire qui affronte des méchants sur commande" dans un contexte scolaire. Cela a donné Tsubasa. C'est une œuvre qui n'a pas été publiée (elle le sera plus tard dans un recueil, NDLR). J'ai eu par la suite une autre œuvre (Suzumi) primée mais qui n'a pas non plus été publiée sur le moment. Cependant, Shueisha m'a contacté en me disant qu'avec l'encadrement d'un éditeur, ils pensaient que je pourrais réussir à réaliser un manga publiable. Moi j'adorais le style héros de Tokusatsu ou la science-fiction mais mon tantô m'a conseillé d'écrire une comédie romantique. C'est avec cette contrainte que j'ai conçu Transfer Student, Transform! qui est officiellement ma première œuvre publiée. En ce qui concerne Gakuenbutai 3 Parokan, c'est tout simplement une histoire que j'ai écrite car j'adore les super sentai et les metal heroes. À la frontière entre l'hommage et le pastiche.

Wingman est l'une des premières séries à mettre en scène un otaku. Comment vous est venue cette idée ?

Aujourd'hui on pourrait dire que c'est un otaku, en effet, mais c'était avant tout un fan. Un peu comme moi, c'était un fan de Tokusatsu de chez Toei (les héros en combinaison type Bioman, NDLR) qui pensait qu'il pouvait lui aussi devenir un héros. Dans le monde du comics, le protagoniste de Kick-Ass suit un peu le même cheminement. Je trouvais ça intéressant comme approche, c'est quelque chose qui n'existait pas à l'époque. On avait des gens qui devenaient héros suite à une irradiation, à une morsure d'araignée, qui étaient extra-terrestres, etc. Il y avait énormément d'origin stories, mais une personne qui voulait devenir un héros car il était fan de héros, ça, ça n'existait pas. Voici pourquoi j'ai eu cette idée. Plus pour ce côté fan que pour le côté otaku.

Pour le fond de l'histoire, j'avais 20 ans et j'étais obsédé par le passage à l'âge adulte, comment on se transforme d'un jeune garçon à un adulte accompli au regard de la société. Mais mon tantô m'a dit qu'il fallait que ce soit un collégien ou un lycéen. Alors j'ai déplacé l'histoire au collège. Après cette contrainte, j'ai commencé à imaginer les objets qui pourraient permettre au héros, Hirono Kenta, de se transformer en super-héros. Là aussi, mes éditeurs m'ont conseillé d'utiliser un objet lié à l'école, comme une gomme, une trousse, etc. Je me disais que c'était la honte de se transformer avec un compas ou une règle. Puis j'ai eu l'idée du livre des rêves, un cahier où ce que l'on écrit devient la réalité.

Si le personnage principal est fan de héros, alors il va dessiner ce dont il rêve, des super-héros. Voici le cheminement qui a donné naissance à Wingman. Encore une fois, je n'avais que 20 ans, je n'avais pas de recul pour avoir une vision globale de ce qui pourrait marcher auprès des lecteurs. L'histoire s'est mise en place au fil des réflexions. Je pense que j'ai choisi inconsciemment de faire un héros de ce type car c'était original. C'est un peu miraculeux qu'au final l'histoire tienne debout et ait plu aux lecteurs.

Si vous aviez un livre des rêves, que dessineriez-vous dedans ?

Qu'est-ce que j'écrirais… Je voudrais dessiner plein de choses dans un tel livre (rires). Par exemple rajeunir, devenir riche, des trucs comme ça ! Mais surtout dessiner plus vite.

Quelle est la source d'inspiration de Video Girl Ai ?

Au départ, mon tantô m'a parlé d'un épisode d'Amazing Stories (Histoires fantastiques, 1985-1987, co-créé par Steven Spielberg), où un scientifique fou renverse deux substances chimiques sur une photo qui prend alors vie (épisode Miscalculation, saison 2 épisode 2, NDLR). On s'est alors demandé ce qu'il se passerait si on versait la même substance sur un magazine de top-modèles, mais reprendre l'idée telle quelle aurait été du plagiat. Alors on a cherché comment être original avec un high concept proche. Les vidéo-clubs à l'époque avaient pignon sur rue. Où que l'on aille, on en trouvait, avec des familles entières, adultes et enfants, qui y louaient des vidéos. Cela m'a donné l'idée d'un vidéo-club mystérieux et d'une VHS d'où sortirait une jeune fille…

Video Girl Ai est votre seul manga à avoir eu une séquelle (sequel en anglais), Video Girl Len. Pouvez- vous nous raconter pourquoi et comment cette dernière est apparue ?

En toute sincérité, car c'est une manie du Shônen Jump : quand il y a du succès, ils font en sorte de faire durer. Pour moi, l'histoire était terminée, mais on m'a demandé de dessiner une suite. J'ai alors dessiné la suite. Dans le Shônen Jump, on peut reprendre le même personnage pour une suite, mais ça m'ennuyait alors j'ai créé un autre personnage : Len.

VIDEO GIRL AI/LEN © 1989 by Masakazu Katsura/SHUEISHA Inc.

Masato Shindo, le tantô actuel de monsieur Katsura, intervient : on t'a demandé de faire une suite après avoir fini la série ?

Masakazu Katsura : non, on me l'a dit pendant que j'étais en train de terminer la série. Pour moi, c'était fini, car le drame touchait à sa fin. Et c'est là la grosse différence entre moi et la majorité des autres auteurs à succès. Dans le genre des comédies romantiques, on peut jongler indéfiniment avec des situations mais je trouve que cela enlève un côté réaliste aux protagonistes, ils sont un peu figés dans un cycle. Dans mon cas, j'aime que mes personnages évoluent et pas seulement leurs relations. Est-ce qu'un cœur brisé, une âme meurtrie peut revenir en arrière sans conséquence ? Une grande partie des comédies romantiques ignorent ces questionnements et se focalisent sur les situations. Un cycle d'amour infini, c'est l'essence de la romcom, en ce sens je ne sais pas faire de comédie romantique. Je réalise plutôt des drames avec de la romance.

Quand les équipes éditoriales du Weekly Shônen Jump me demandent de dessiner une comédie-romance, ça prend toujours la forme d'une histoire d'amour. Et il y a donc une fin inéluctable. C'était aussi le cas de I''s. Mais si on réfléchit bien, c'est pareil pour Jojo. Je pense que monsieur Araki dessine, comme moi, ses histoires avec une idée plus ou moins vague de la fin de chaque série. Les émotions des protagonistes progressent au fil de l'histoire, forcément cela finit par influer sur cette dernière. Mais il faut une fin, une conclusion, sinon le voyage ne sert à rien.

Les héros de shônen sont souvent lisses et sages

VIDEO GIRL AI/LEN © 1989 by Masakazu Katsura/SHUEISHA Inc.

Il y a un côté Pinocchio dans la manière dont Aï devient humaine. Est-ce que vous aimez ce mythe ? Si oui, quelles sont vos principales références en culture occidentale ?

Je connais à peu près l'histoire de Pinocchio, l'atmosphère, mais je ne la connais pas en détail. Je sais juste que s'il ment, son nez s'allonge. C'est un miracle de se transformer en humain, n'est-ce pas ? Peut-être que ce phénomène inexplicable scientifiquement est un point commun entre mon manga et cette œuvre... Même si dans le cas de Pinocchio, il s'agit d'un pantin construit par un humain qui reçoit une âme. Mais en effet, Aï et Pinocchio deviennent humains grâce à une force qui peut être qualifiée de magie. Je n'avais jamais songé à cette analogie. Et pourtant j'admire la culture occidentale. Les paysages en France par exemple, surtout la campagne, pas Paris. J'aime bien les lieux où il reste beaucoup d'histoire, par exemple, je me dis que ce serait bien d'y travailler. J'ai été plusieurs fois en France. C'est apaisant, j'ai l'impression de revenir chez moi. Mais je suis hermétique au français alors je ne peux pas y vivre.

Quelle part de vous se retrouve dans Yota ? Globalement, quelle est la part de vous dans votre manga ?

Il y a des points qui me ressemblent mais il y en a d'autres qui ne me ressemblent pas du tout. Je pense que chaque auteur met une partie de lui dans ses personnages, aussi bien les héros que les antagonistes. C'est très difficile de mettre en scène des inconnus. Et ce n'est pas parce que l'on met en scène un méchant que l'on est nous-mêmes méchants bien entendu. De même, un protagoniste peut avoir des moments de faiblesses, et se laisser aller à des choses condamnables. Mais dans un manga pour jeunes adolescents, les parents peuvent se plaindre, alors les héros de shônen sont souvent lisses et sages.

En effet, mes parents aussi m'ont fait une réflexion sur certains passages de Video Girl… (rires)

Dans Video Girl, alors même que je cachais les parties intimes, la rédaction du Jump a reçu de nombreux appels de parents qui se plaignaient. Ce qui m'a entraîné à faire encore plus attention à ce sujet.

Masato Shindo : est-ce qu'il y a eu une hausse de popularité après des scènes érotiques ?

Masakazu Katsura : c'est plutôt la popularité de certains personnages qui progresse dans ce type de cas. Nobuko, par exemple, a énormément gagné en popularité, mais pas Yota. Mais les scènes érotiques ne sont ni une fin en soit ni une formule magique. C'est quand l'histoire et les sentiments des personnages se synchronisent que leur popularité augmente.

Avec DNA2  vous avez pu revenir à votre amour de la SF. Pouvez-vous nous raconter comment cela s'est passé ?

Pour DNA2, c'était une demande de Shueisha. Je ne sais pas si les Français vont comprendre mais au Japon, à ce moment-là, il y avait le Trendy Drama (dramas fin 80/début 90 un peu proches des films chorales, avec beaucoup de personnages, garçons et filles, NDLR) qui était à la mode. C'est en réfléchissant à une base où il y aurait énormément de personnages que j'ai eu cette idée. Dans une romcom de type shônen, le héros est forcément populaire auprès de plein de jeunes filles. J'ai décidé de justifier ce postulat: on lui a injecté un sérum pour plaire aux femmes. Dans l'histoire c'est normal qu'il soit populaire, il a reçu un sérum pour être irrésistible. C'est alors que mon ami Toriyama m'a donné un mauvais conseil, il m'a dit "pour que l'histoire devienne populaire, tu n'as qu'à la transformer en une histoire de combat".

D・N・A2 © 1993 by Masakazu Katsura/SHUEISHA Inc.

Masato Shindo : vous êtes un auteur très influençable (rires).

Masakazu Katsura : je suis un auteur facile à influencer, en effet. Mais de surcroît quand le conseil vient de mon aîné, qui a beaucoup plus de succès que moi… Mais le résultat est raté.

Masato Shindo : moi j'aime beaucoup cette série, je ne trouve pas qu'elle est ratée.

Masakazu Katsura : mais ça n'a rien à voir avec la couleur du début. Le manga a connu une dérive incroyable et n'a plus rien à avoir avec le concept initial. En cela, j'ai raté mon engagement.

Dans Shadow Lady, est-ce qu'Aïmi est une sorte d'hommage à Catwoman dans Batman ? Ou une autre référence ? 

S'il y a le moindre hommage dans le personnage d'Aïmi, alors c'est assurément la première proposition. J'adore le Batman de Tim Burton de 1989. Je ne suis fan que de ce Batman, le monde entier le sait, c'est mon film préféré et de loin. En ce qui concerne Aïmi, ce n'est pas qu'elle ressemble à Catwoman, mais plutôt que les antagonistes féminins ont depuis toujours un archétype de femmes fatales. Je l'ai imaginée comme un Batman en version féminine. Et au moment où je tournais autour de son concept, une autre influence m'a frappée, le film The Mask avec Jim Carrey. C'est pour cela qu'Aïmi a ce caractère festif, extravagant, c'est une fêtarde comme Jim Carrey. Une voleuse extravagante et sexy, c'est intéressant, non ?

Ensuite un grand nombre de choses se sont produites pour la naissance de ce titre. J'aidais à l'époque aussi au chara-design d'un jeu vidéo, qui n'est finalement jamais sorti, dont le nom avait été imaginé par monsieur Torishima (Kazuhiko Torishima est le premier tantô de monsieur Katsura mai aussi celui d'Akira Toriyama, NDLR), "Shadow Lady". Alors on a gardé le nom pour une histoire finalement publiée dans le V Jump. On a conçu cette œuvre avec un jeu vidéo en tête. Plus tard, j'ai revisité ce personnage dans le Weekly Shônen Jump, un one-shot paru en 1995.

D・N・A2 © 1993 by Masakazu Katsura/SHUEISHA Inc.

Les différentes couleurs du mascara d'Aïmi font un peu penser aux transformations de Wingman. Est-ce une auto-référence ? Ou alors une référence aux Tokusatsu ?

Ce n'est pas une référence aux couleurs des héros de Tokusatsu. C'est un concept né du jeu vidéo. On se demandait comment on pourrait provoquer la transformation d'un personnage féminin. Au fil des discussions, on s'est orienté sur les produits cosmétiques, puis sur le fard à paupière. Chaque couleur donne un pouvoir et renforce un trait de caractère.

 I"s © 1997 by Masakazu Katsura/SHUEISHA Inc.

Lors de la sérialisation de I''s, vous avez expliqué qu'un leitmotiv des réunions éditoriales était "comment est-ce que l'on pourrait introduire des problèmes?"…

Je ne suis pas très doué en romcom. Alors on s'est dit avec mon responsable éditorial que ce serait marrant de commencer une histoire avec un protagoniste qui veut déclarer sa flamme mais qui n'y arrive pas. C'est le pitch initial de la série, trouver des moyens d'empêcher le protagoniste d'avouer ses sentiments à l'élue de son cœur. Il y a presque un côté cartoonesque. Je me souviens encore de la scène où ils sont tous les deux au bord de la mer et, au moment où Ichitaka va se confesser, Iori se bouche les oreilles car elle croit qu'il va lui raconter une histoire d'horreur, vu que le reste du groupe venait de se raconter des histoires qui font peur… Je me rappelle encore très bien de cette scène, qui illustre le pitch de ce manga.

Et l'histoire se met en place, petit à petit. Je voulais montrer qu'il n'était pas facile de déclarer sa flamme. Plus il persévère, plus le destin s'acharne à lui jouer des tours. Il échoue sans cesse, avec des stratagèmes de plus en plus alambiqués pour faire sa déclaration… Ce n'est qu'à la qu'il y arrive, tout naturellement, sans effort ni pression. J'ai dessiné ce manga en songeant en permanence comment mettre des bâtons dans les roues de mon héros.

Est-ce que certains quiproquos ou accidents sont inspirés de faits réels ?

Tout est inventé. D'ailleurs, je ne réfléchissais pas qu'aux quiproquos. Par exemple, dans la scène de tout à l'heure, où Iori se bouche les oreilles, elle a peut-être peur qu'Ichitaka lui déclare sa flamme. C'est peut-être ce sentiment, cette volonté de préserver un statu quo dans leur relation, qui la pousse à se boucher les oreilles, et pas juste un quiproquo. Je réfléchissais à l'histoire comme un tout, à l'évolution de mes personnages et après, selon les scènes, j'incluais des accidents ou quiproquos.

ZETMAN © 2002 by Masakazu Katsura / SHUEISHA Inc.

Zetman est une série très personnelle. Est-ce la première où vous avez eu une totale liberté éditoriale ?

C'est vrai. Bien sûr, lors de la réalisation de la série, j'ai parfois demandé son avis à mon responsable éditorial, qui était le rédacteur en chef du Young Jump. J'avais prévu de dessiner ce manga avec un rythme soutenu et, surtout, que ce soit une histoire courte…

Je n'ai modifié l'histoire qu'une fois, suite aux conseils de mon éditeur, avec la scène de la mort de Goro Kanzaki, que j'ai réécrite de manière plus délicate, plus lente. Pour moi, le plus important à ce moment de l'histoire était l'éveil du Zet, pour affronter Alphas. Je voulais arriver le plus vite possible à ce moment-clé de l'histoire, mais il m'a dit que, dans un seinen, on pouvait prendre le temps de développer avec plus de minutie l'histoire.

C'est pourquoi les étapes précédant à l'éveil du Zet sont devenues beaucoup plus longues que prévues. On dirait un drama fleuve de la NHK (souvent des feuilletons d'époque qui vont durer toute l'année, de janvier à décembre, tous les dimanches à 20h, c'est une véritable institution au Japon, NDLR). Tout ceci est la faute du rédacteur en chef du Young Jump.

ZETMAN © 2002 by Masakazu Katsura / SHUEISHA Inc.

Masato Shindo : si on définit ce type de scène avec minutie, alors impossible de changer le ton du manga par la suite. Cela pose un contexte narratif.

Masakazu Katsura : tout à fait. La rencontre avec Akemi, et tout le reste, devait respecter ce ton, ce niveau d'empathie. Ce qui fait que l'histoire est bien plus longue que prévu initialement. Je visais un rythme de narration de type shônen, en enchaînant les étapes-clés : le grand-père se fait tuer, Jin se fait kidnapper par le grand-père d'Amagi, il se réveille dans le centre de recherche. Là, j'avais prévu une ellipse temporelle, mais finalement c'est devenu un manga fleuve.

Masato Shindo : les conseils ont des implications.

Masakazu Katsura : dire que ce manga qui devait faire trois tomes en fait finalement vingt…

D'ailleurs, à la fin du 20e tome, vous annoncez ceci: "Zetman reviendra dans Zet Uncovering Halo". Est-ce que vous avez des nouvelles au sujet d'une éventuelle suite à Zetman ?

Tout à fait, j'ai une idée mais la rédaction du Young Jump ne me laisse pas l'écrire.

Masato Shindo : ce n'est pas forcément le cas, vous pouvez l'écrire quand vous voulez.

Masakazu Katsura : menteur ! On n'a pas arrêté de me bloquer dans le processus créatif. J'écrivais comme je le sentais mais les éditeurs me disaient qu'ils voulaient que ça soit comme ci ou comme ça. Les fans du monde entier attendent la suite, n'est-ce pas ?

Dîtes-leur que c'est Shueisha qui ne veut pas me laisser écrire.

Masato Shindo : si c'est maintenant, vous pouvez.

Masakazu Katsura : ha ha ha ha ! Je commence à devenir vieux, j'ai presque 60 ans, cette œuvre demande beaucoup d'énergie. Je suis un peu inquiet de ne plus avoir la force mentale. Mais j'aimerais faire une suite à Zetman.

Masato Shindo : avec un autre tempo.

Masakazu Katsura : oui, avec un tempo un peu plus divertissant. Par rapport à Zetman, il ne faut pas sous-estimer l'évolution et l'omniprésence des héros hollywoodiens. Il y a beaucoup de fans qui pensent que je suis influencé par cette culture, mais par exemple j'ai commencé Zetman bien avant le Batman Dark Knight. Il arrive que des œuvres sans aucun lien voient le jour dans une temporalité proche. Pour moi, on est tous influencés par le contexte d'une époque. Il y a une sorte de vision générationnelle qui s'impose plus ou moins fortement aux créatifs. C'est un hasard si mon Zetman ressemble au Dark Knight. Ce premier acte était une histoire de héros dans un monde réel, sombre. Le second acte, lui, sera plus mystérieux, plus divertissant. Je pense qu'on a fait le tour des héros réalistes et que l'on souhaite aller vers de l'épique, du grand spectacle. Pourquoi pas des monstres même… Mais est-ce que j'arriverais à le dessiner ? Est-ce que j'aurai assez de force ? (rires)

ZETMAN © 2002 by Masakazu Katsura / SHUEISHA Inc.

Est-ce que le rythme de parution plus lent est plus pratique pour développer des histoires plus complexes ?

C'est vrai, et puis il y a mon âge aussi… Je ne suis plus capable de tenir un rythme de publication hebdomadaire. Même si au Japon il est préférable de publier un chapitre toutes les semaines, cela crée plus d'engouement. Il faut publier constamment sinon les lecteurs décrochent… À l'étranger, ce décrochage est bien moins fort. Si l'on pense en termes de succès commercial, alors bien sûr une sortie hebdomadaire est à privilégier. Mais j'ai pris goût à dessiner sans pression. Je pense que c'est mieux ainsi.