Josef Ladik (Ecrivain) L'origine du monde

Paris, le 7 mars 2045.

Elle posa la mallette par terre et fit sauter les clapets. Elle prit une inspiration. Elle appuya sur le bouton d'une main. L'écran afficha identification. De l'autre, elle saisit la carte à puce. Sa main tremblait. Le garde la regardait faire.

Anne Ripley s'exécutait avec sérieux. En dépit de ses trente-quatre ans, il y avait toujours en elle une petite fille appliquée. Mais ce jour-là tout se mélangeait. Les jours précédents, la vie et la mort s'étaient trouvées tellement mêlées que son organisation interne avait été bousculée. C'était comme si, en elle, des êtres couraient dans une pièce noire et se heurtaient contre les murs. Malgré cette panique à laquelle la fillette avait envie de céder, Anne Ripley, adulte, se concentrait, ordonnait, canalisait et agissait.

Au moment où elle inséra la carte à puce dans le mécanisme d'armement, Anne vit défiler sa vie. Ce film accéléré était sous-titré d'un absurde " pas maintenant ". Une partie d'elle ne voulait pas mourir. L'autre partie était en train d'armer une bombe électromagnétique dont le mécanisme de retardement était hors service.

Elle savait ce que cela signifiait. Elle serait exposée aux effets de la déflagration. Bien sûr, comme les autres, pour se rassurer, elle s'était répété : " Les bombes électromagnétiques sont normalement dépourvues d'effets sur les êtres vivants. " Normalement. À cet instant précis, ce mot prenait une tournure amère. Un goût qui poisse, reste en bouche et descend lentement dans la gorge. Quelque chose qui ne veut pas passer.

Elle eut le temps de songer que les contradictions se résolvent toujours dans la violence. Que la petite fille en elle n'allait pas réussir. Que la grande allait l'aider. Que ce serait peut-être l'inverse. Tout cela allait se produire, mais elle ne s'en rendrait même pas compte.

Elle vit le visage de sa fille, Lola. Elle vit Sam, son mari. Elle vit les millions de visages anonymes, des pères, des mères, des enfants, des optimistes, des désespérés, des citoyens qui avaient tous dans leur cou une capsule d'identification localisée en temps réel...