Eric Sellato "Le regard grave des enfants peuls"
Le photographe Eric Sellato a suivi ces enfants d'Afrique de l'ouest dans leur vie quotidienne au cœur de la brousse nigérienne. Il raconte son expérience.
L'Internaute Magazine : Vous avez déjà publié plusieurs livres sur l'Afrique en générale, pourquoi avoir choisi le Niger en particulier pour celui-ci ?
Eric Sellato : J'ai, depuis près de 20 ans, une passion particulière pour l'Afrique, où je suis né et où j'ai vécu une douzaine d'années. Les grands espaces surtout m'attirent, par cette ambiance particulière où l'on ressent que l'homme, villageois en habitat dispersé ou nomade, tient tête à la nature.
Le Niger est l'une de ces contrées, écartelée entre le désert et les massifs qui dominent au nord, le fleuve rejeté à l'ouest et quelques zones fertiles au sud.
"Niger, la magie d'un fleuve" (Editions Vilo), mon précédent livre, racontait l'histoire du Niger, de ses riverains et de ses génies. L'un de ces esprits, Dikko, était une femme peule qui, dans son âge mûr, se retira sous les eaux, où 4 serpents-rivières gardaient son royaume. Lors des séjours qui m'ont permis d'illustrer les aventures des génies du fleuve, j'ai aussi voyagé dans la région de Tahoua et d'Agadez, où j'ai rencontré les Wodaabé, les Peuls nomades. Entre Dikko et ses frères, le trait d'union était tracé.
Pourquoi les enfants peuls ?
J'ai tout de suite été attiré par la personnalité des Wodaabé et par cette dure vie itinérante qui pousse les enfants à prendre très tôt leurs parts des tâches et des responsabilités du groupe. Il suffit de voir le contraste entre leurs visages enfantins et leurs mains calleuses pour comprendre le mélange de joies et de difficultés qui fait leur quotidien. En racontant leur apprentissage, j'ai aussi voulu raconter l'histoire et la vie des Peuls.
"La vie de ces enfants est celle de la brousse, des longues marches en quête d'eau..."
La vie de ces enfants est celle de la brousse, des campements que l'on démonte parfois chaque jour et des longues marches en quête d'eau et de pâturages. En fin de saison sèche, la fatigue, la soif et la faim sont leur inévitable lot. Mais tout cela disparaît avec les premières pluies de l'hivernage, qui sont le prélude à la période heureuse des regroupements familiaux.
Les enfants retrouvent alors leurs cousins et les plus grands se préparent pour les danses. Les filles frappent des mains et chantent entre elles, en petits cercles ; les garçons, revêtus de leurs tenues traditionnelles de cuir et de coton brodé, se parent longuement et se fardent le visage de jaune pour le yakee ou le ruume et de rouge pour le geerewol.
En quoi consiste le geerewol ?
Le geerewol est sans doute la plus fascinante de ces danses, par son aspect presque guerrier et ses chants lancinants. Il a souvent lieu de nuit, à la simple lueur d'un feu de bois, sous le regard des jeunes filles.
Pour les garçons, il faut, par un savant maquillage et tout un jeu de mimiques, montrer la finesse de ses traits, la pâleur de son teint, la blancheur de ses yeux et de ses dents. Parce que cela répond aux critères immémoriaux de beauté des Wodaabé.
Le plus beau spectacle se trouve évidemment dans la ligne ou le cercle des danseurs. Mais le plus émouvant est en dehors, dans les recoins du campement où les plus jeunes, qui n'ont pas le droit de danser en public, se peinturlurent maladroitement le visage ou s'exercent à chanter.
Comment réagissaient les peuls lorsque vous photographiez les enfants ?
Lors des fêtes, aux puits ou dans les campements, le voyageur est accepté sans difficulté, et les enfants en particulier s'offrent volontiers à l'objectif du photographe. Mais, vous verrez souvent, sur les images du livre, des visages sérieux qui paraîtront surprenants chez les plus jeunes : dans le monde de la brousse, on enseigne aux enfants à ne jamais se plaindre ni montrer leurs émotions.
Voir les photographies : "La vie nomade des enfants peuls"