Les sondages et les primaires (partie 1) : Quelle influence sur le vote ?

En plaçant systématiquement François Hollande et Martine Aubry en tête d’affiche, les sondages peuvent-ils renforcer leur crédibilité et inciter le plus grand nombre de votants à s’y rallier ? Premier épisode d’une série de quatre tribunes consacrées aux sondages de la primaire socialiste.

Les sondages d'intention de vote sont régulièrement accusés de fausser le jeu électoral. Si les instituts considèrent que leurs enquêtes ne font que "photographier" l'état de l'opinion à un instant T, certains candidats leur reprochent souvent de manquer de rigueur, voire de manipuler leurs données. Ce sont de telles dénonciations que suscitent les innombrables sondages consacrés aux primaires socialistes. Les critiques les plus récentes sont venues de l'entourage de Ségolène Royal. Dans une lettre adressée le 7 septembre à la Haute autorité des primaires, la députée Delphine Batho en appelle à une régulation de ces enquêtes qui, selon elle, "perturbe[nt] la sincérité des débats et l'égalité entre candidats". A ses yeux, la photographie que prétendent saisir les instituts serait floue, mal cadrée, imprudemment retouchée. Or, ces imprécisions méthodologiques n'empêcheraient pas les sondages de produire des effets. Au contraire même, puisqu'en plaçant systématiquement François Hollande et Martine Aubry en tête d'affiche, ils renforceraient leur crédibilité et inciteraient le plus grand nombre à s'y rallier. De telles accusations sont-elles justifiées ?

La primaire d'Europe Écologie-Les Verts qui s'est tenue en juin dernier constitue un précédent aux conclusions ambivalentes.
Alors que le scrutin vient de s'ouvrir, Libération titre lundi 20 juin, "L'avance de M. Hulot", prenant appui sur une enquête Viavoice selon laquelle 63 % des 133 "sympathisants écologistes" interviewés "préféreraient" que Nicolas Hulot soit le candidat d'EELV (contre 28 % pour Eva Joly). Cette préférence supposée pour le présentateur de TF1 sera vite démentie puisque, au terme du second tour de la primaire, l'ancienne juge l'emportera par 58 % des voix... Bien que ni Viavoice ni Libération n'aient prétendu livrer un pronostic du résultat final, certaines affirmations du quotidien paraissent rétrospectivement très maladroites. On cherche encore "la longueur d'avance" de l'animateur, "favori" du scrutin... Confrontés à ces données qu'ils ont crues prédictives, les journalistes se sont même efforcés de rechercher les clés explicatives de l'inévitable succès à venir du candidat Hulot.

Quels enseignements tirer de cet épisode ? Il rappelle, d'un côté, que les sondages industriels ne constituent pas des outils appropriés pour analyser des élections qui ne concernent qu'une population peu nombreuse et dont les contours sont incertains. Militants actifs et simples sympathisants ne sont pas interchangeables. Répondre à un enquêteur qui vous sollicite par téléphone et vous soumet des alternatives que vous ne vous êtes peut-être jamais posées, ce n'est évidemment pas la même chose que de s'impliquer dans une organisation, de s'interroger sur ses enjeux internes et de se déplacer pour en choisir les représentants. D'un autre côté, cet épisode montre que les participants à cette primaire n'ont pas calqué leur vote sur les verdicts sondagiers. Les militants ne sont pas uniquement guidés par de cyniques logiques de popularité : Hulot avait beau offrir les meilleures chances de succès électoral, il n'en a pas moins perdu.

Il semble cependant difficile de généraliser ces leçons à la primaire socialiste. D'une part, les situations sont clairement distinctes, que ce soit du point de vue des forces en présence que des règles électorales. D'autre part, à la différence de sa cousine écologiste, la primaire PS donne lieu depuis plusieurs mois déjà à un nombre considérable d'enquêtes d'opinion. Or l'information qui se dégage, non pas ponctuellement, mais sondages après sondages, c'est une très nette "avance" de la candidature Hollande sur ses rivaux et rivales.