Elections italiennes : pourquoi j'ai voté pour Beppe Grillo

Puisque toute l'Europe et le reste du monde semble s'étonner que le mouvement de Beppe Grillo ait obtenu 8,5 millions de vote et soit devenu le premier parti italien, que beaucoup s'inquiètent d'un tel choix, laissez-moi vous expliquer pourquoi j'ai voté moi-aussi pour lui aux dernières élections législatives

Le cadre italien actuel est le suivant : un pays riche en pleine récession, 3 millions de précaires, 8 millions de pauvres (soit 13,8 % de la population, données Istat 2010), dont plus d' 1 million en situation de pauvreté absolue, les salaires bloqués depuis le début de la crise jusqu'en 2014 (et probablement prolongé après cette date vu qu'il n'est pas dit que la crise soit finie en 2014).
Avec le gouvernement Monti les salaires ont baissé en plus du blocage d'environ 10 à 15 % (une perte sèche d'un minimum de 150 euro à beaucoup plus par mois pour chaque famille), une baisse tout aussi considérable des retraites dépassant les 1000 euro mensuel (d'environ 150 euro par retraité en moins par mois sous le gouvernement Monti), une taxation de la maison principale augmentée de 60% par Monti, dont une bonne partie a servi à renflouer la faillite de la Banque privée Monte dei Paschi di Siena, avec l'accord de Monti et de Bersani, le leader de la gauche italienne.

Le taux de chômage a explosé: 11,1 % en Nov. 2012 (données Eurostat) et touche avec violence en particuliers les jeunes, bloquant leurs projets de vie, les obligeant à rester chez leurs parents pour survivre, les salaires des jeunes étant de 60 % moins élevés de ceux des seniors. Le coût de la vie augmente continuellement alors que la population s'appauvrit vu que les salaires sont bloqués et ont baissé, voilà le cadre actuel, plus que sinistre.

Photo des deux fondateurs du Mouvement 5 étoiles: Beppe Grillo et le "gourou" Casaleggio

Face à une telle situation, on ne pouvait plus voter pour le PDL qui a porté le pays à la ruine (et pourtant, le parti de Berlusconi a remporté un tiers des votes, à la surprise de tous, après 19 ans de pouvoir exercé (1993-2012) et des scandales en tous genres tout au long de ses mandats). On ne pouvait pas non plus voter PD, la gauche de Bersani qui a eut de nombreuses fois l'occasion de faire tomber le gouvernement Berlusconi mais ne l'a jamais fait, pendant que ce dernier se concoctait des lois ad personam pour ses propres affaires perso : voter pour PDL (Berlusconi) ou PD (Bersani) correspond dans les faits à voter pour bonnet blanc et blanc bonnet, avec la certitude que rien ne changera puisqu'ils n'ont jamais rien changé en 19 ans de pouvoir et de prétendue opposition.

Pratiquement, le mouvement de Beppe Grillo a ramassé tous les mécontents de tous poils et de tous les partis : de gauche comme de droite et les ex-Lega. La Ligue du Nord a implosé suite aux scandales touchant ses leaders, pris la main dans le sac, ce qui leur a fait perdre toute crédibilité : la ligue l'a payé très cher en passant d'un tiers des votes à une minorité de moins de 4 % des votes aujourd'hui.

Tous ceux qui n'en peuvent plus de cette classe politique surnommée içi « la bande » (la crica) comme s'ils n'étaient plus qu'une bande de délinquants abusant de leurs pouvoirs pour augmenter leurs propres profits personnels, tous les déçus et les indignés parce qu'ils sont en train de perdre tout sans filet de sauvetage, dans un pays où n'existe pas le RMI ni même un salaire minimum (içi vous pouvez bosser 40 heures par semaine pour 600-800 euro par mois), tous ceux-ci ont voté pour Beppe Grillo comme vote de protestation.

Les excès de la « caste » des politiciens ont profondément énervé les Italiens pourtant généralement magnanimes : mais trop c'est trop, surtout en période de récession. Les Italiens reprochent à la « caste » des politiciens d'être au-dessus des lois car ils ne payent jamais leurs erreurs et leurs abus et d'être au-dessus du malheur des autres - leurs propres concitoyens - alors qu'ils devraient eux-aussi contribuer à sortir le pays de la crise grave qui le secoue.

Ces trois dernières années donc le Mouvement 5 étoiles (fondé le 4 Octobre 2009) a sillonné les places publiques du pays tout entier pour rencontrer les gens et écouter leurs « doléances ». Dans le blog du mouvement www.beppegrillo.it est exposé ce que les Italiens aimeraient faire pour retrouver confiance dans l'avenir et dans leurs représentants républicains.
Parmi ces nombreuses résolutions à porter au parlement par les nouveaux élus, la diminution des coûts de la politique, monstrueusement élevés en Italie, estimée à 23, 9 milliards d' euro par an, c'est à dire 772 euro à payer par chaque citoyen par an pour maintenir avec l'argent des contribuables la caste trop bien payée et trop nombreuse des politiciens italiens se répartissant en: 945 parlementaires dont 630 députés et 315 sénateurs, mais aussi les ministres, les administrateurs des administrations locales : municipales, provinciales, régionales, leurs sous-secrétaires, leurs assesseurs, les conseillers régionaux, municipaux etc. plus 24.000 administrateurs politiques des sociétés publiques payés à prix d'or alors que les Italiens n'ont même pas un Smic, les 44.000 administrateurs des organes de contrôle de l'administration, 390.000 dans l'appareil politique en général et autres 456.000 consultants variés des administrations locales etc. Beaucoup trop.

Cela nous donne la nausée, cette masse de politiciens se nourrissant de notre propre travail (par nos impôts directs et indirects), sans que nous ayons le droit de les nommer (les administrateurs des grandes sociétés publiques ou semi-publiques sont des nominations politiques), sans que nous ayons mot à dire si ces salaires énormes nous semblent justifiés ou non pendant que certains gagnent à peine de quoi survivre en travaillant 40 heures par semaine. Les Suisses là dessus ont dit eux aussi qu'ils en avaient assez et ont voté par référendum un plafond à ces salaires hors-normes payés avec l'argent des contribuables. L'air du temps.

La « caste » vante en outre des privilèges inacceptables par temps de crise : par exemple la retraite dès 5 ans de cotisations modiques pour n'importe quelle législature (parlementaires mais aussi tous les élus régionaux, municipaux etc.) alors que le commun des mortels doit cotiser entre 35 et 40 ans pour avoir une retraite) extensible à leur épouse (ce qui est juste) en cas de décès mais aussi extensible à leurs enfants et jusqu'aux neveux en cas de décès de l'heureux élu (c'est le cas de le dire)....
De tels privilèges alors que beaucoup sont aux prises aux plus grandes difficultés exaspère la population qui demande que tombent de tels privilèges, pour donner l'exemple et démontrer qu'eux aussi contribuent à la rigueur imposée à (presque) tous. Les Italiens veulent plus de justice. Désormais un large fossé (d'autres diront un gouffre) s'est creusé entre les élus et les électeurs, d'où cette incompréhension qui les sépare.

Est à noter que Grillo n'est pas candidat lui-même aux élections, mais a mis son charisme et ses compétences pour faire élire de jeunes inconnus : voter Grillo c'est voter pour des gens nouveaux, pas encore pourris par la politique, provenant de toutes les couches de la population, donc les mieux à même de nous représenter vraiment : parmi eux beaucoup de jeunes alors que l'Italie est un pays de gérontocrates : les jeunes içi comptent pour du beurre : presque tous précaires (les contrats de travail à temps indéterminé ne sont plus renouvelés quand on part à la retraite, faisant place à des contrat à temps déterminés renouvelables pour les jeunes) quand ils ne sont pas au chômage (le chômage touche plus de 35 % des jeunes, http://www.istat.it/it/lavoro), sous-payés, sans avenir.

Pas étonnant que ces dernières années les jeunes italiens aient commencé à émigrer en masse à l'étranger, à la recherche d'un avenir qu'içi, ils n'ont pas : 80.000 jeunes qualifiés (avec une Maîtrise ou plus) ont émigré en 2011 (données Istat) vers des lieux plus accueillants, ce qui n'est certes pas bon signe.

Comme vous l'aurez compris, les 8,5 millions d'Italiens qui ont voté Grillo sont donc des gens comme vous et moi, dégoûtés des politiciens habituels, la nausée au bord des lèvres parce que l'on sait que les politiciens ayant été condamnés pour corruption, fraude, collusion avec la mafia et j'en passe, ont encore le droit d'être élus à des postes clés où ils pourront continuer à s'en mettre plein les poches (par exemple, l' ex-gouverneur de la Lombardie Roberto Formigoni, liste Berlusconi, malgré ses précédents en fraudes électorales, scandales de corruption qui viennent juste d'éclater aux yeux de tous, est néanmoins devenu sénateur PDL placé par le parti en tête de liste , en remerciement de ses bons et loyaux services au parti de Berlusconi). Viens l'envie de vomir.
Parmi les réformes des Grillini, les condamnés en tous genres n'auront plus le droit d' être élus et de représenter la République Italienne : les mafieux ne pourront plus siéger au parlement ni au sénat, comme c'est encore aujourd'hui le cas, hélas... Les condamnés siégeant au parlement (pour motifs divers, certains très graves) sont encore 116 aujourd'hui : jetez un coup d'oeil à ce site : http://www.stopcensura.com/2010/08/ecco-la-lista-degli-indagaticondannati.html: si vous en avez le courage. La nausée vous viendra à vous aussi....

Bref, beaucoup de choses doivent changer pour le bien de l'Italie ! Voilà pourquoi des millions d'Italiens comme moi ont voté Grillo, dans l'espoir que des choses changent finalement!

Affaire à suivre.....

Extrait du programme de Beppe Grillo en 20 points, exposé dans la « Lettre aux Italiens de Beppe Grillo », 7 Février 2013 :  Vingt points pour sortir du tunnel :

  1. création d'un RMI
    2. Mesures immédiates pour le relancement des PME
    3. Lois anti-corruption
    4. Informatisation et simplification de l'Etat
    5. Abolition des subventions publiques aux partis politiques
    6. Contrôle très sévère de la fortune personnelle des politiciens pour contrer d'éventuels enrichissements illicites portant sur les 20 dernières années.
    7. possibilité de référendum citoyen sans quota minimum
    8. Référendum sur l'Euro (mais je vous rassure que l'immense majorité des Italiens reste fidèle à l'Euro, malgré tout)
    9. Obligation de discuter chaque lois d'initiatives populaires au parlement, vote à l'appui
    10. télévision publique sans publicité et indépendante des partis politiques
    11. Election directe des parlementaires à la chambre des députés et au Sénat
    12. Maximum de deux mandats législatifs
    13. Lois sur les conflits d'intérêt
    14. Remise des fonds supprimés à la Santé Publique et l' Instruction Publique
    15. Abolition des financements directs et indirects des journaux
    16. Accès gratuit au réseau pour les citoyens

    17. Abolition de la taxe d'habitation sur la maison principale
    18. Impossibilité d'exproprier la maison principale en cas de dette
    19. Elimination des Provinces
    20. Abolition d' Equitalia (société publique chargée de récupérer les crédits de l'Etat dus par les citoyens, sans tenir compte de l'état de pauvreté des endettés ni faire un échelonnement de la dette, ce qui pousse beaucoup au suicide)