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Avril 2006

Thierry Coste : "Un bon lobbyiste doit être un bon espion avant d'être un manipulateur"

Qui sont ces hommes de l'ombre, défenseurs professionnels des intérêts particuliers auprès des politiques ? Le 13 avril, Thierry Coste, auteur du "Vrai pouvoir d'un lobby" a levé le voile sur cette profession mal connue mais souvent décriée.
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"Notre métier est le 2ème plus vieux métier du monde puisque nous fréquentons énormément les couloirs et les trottoirs !"

Quels politiciens français avez-vous conseillé en tant que lobbyiste ?
Thierry Coste : Erreur, un lobbyiste ne conseille pas des hommes politiques mais passe son temps à les influencer. Par contre, je peux donner les noms des politiques qui savent travailler avec les lobbies sans être manipulés par eux : Jean-Pierre Raffarin, qui est un ami, Lionel Jospin, Dominique Voynet, Roselyne Bachelot, Nicolas Sarkozy, et bien d'autres à gauche comme à droite. J'ai déjà influencé tous les Premiers ministres des dix dernières années. La plupart sont des ministres de l'Ecologie, de l'Agriculture et de l'Intérieur, tout simplement parce que je suis spécialisé dans ces secteurs-là.

D'où vient le terme lobby ?
Le lobby c'est le couloir des hôtels et des anti-chambres du Parlement où l'on attendait les politiques qui sortaient des hémicycles. Cela me fait souvent dire que notre métier est le deuxième plus vieux métier du monde puisque nous fréquentons énormément les couloirs et les trottoirs ! Cela nous permet de rencontrer celles et ceux que nous devons influencer.

Vous parlez "d'hommes politiques sous influence", mais vous êtes sous l'influence de vos clients... donc finalement vous êtes juste un pion inutile, non ?
Je suis le défenseur des détenteurs légaux d'armes à feu en tant que Secrétaire général du "Comité Guillaume Tell". Mais pour répondre clairement, je ne suis pas sous l'influence de mes clients, je suis payé par eux pour faire pression sur les politiques qui manquent souvent de courage et qui sont entourés d'une technocratie qui est complètement autiste. Le "Comité Guillaume Tell" réunit les chasseurs, les tireurs sportifs, et les collectionneurs d'armes à feu et le lobbyiste que je suis les défend au Parlement, pour éviter que des lois inutiles apparaissent à chaque fois qu'un fait divers provoque la mort d'une personne par arme à feu.

Un lobby comme la NRA (la National Rifle Association qui défend les armes à feu aux Etats-Unis) n'est-il pas immoral ?
Je défends un Comité qui est la "NRA" à la française, mais nous ne revendiquons absolument pas la liberté du port d'armes. Notre action de lobbying consiste à faire en sorte que les ministres de l'Intérieur s'occupent des armes de guerre dans les banlieues, plutôt que des armes de chasse dans les campagnes.

"Je suis sans états d'âme lorsque je mets en place une stratégie d'influence. Tout est bon pour influencer le pouvoir politique"

En quoi les lobbies sont-ils des instruments essentiels à la démocratie ?
La réponse est simple : le monde politique est de moins en moins en contact avec la réalité parce que la moitié des parlementaires sont des fonctionnaires et que 90 % des conseillers qui entourent les politiques sont issus de la fonction publique. Les lobbies défendent des intérêts très diversifiés qui ne sont pas tous liés à l'argent. Ceux qui sont influents peuvent aussi utiliser la rue comme on a pu le voir dans l'histoire du CPE. Le lobbying n'est pas réservé aux multinationales. Les écologistes, les associations de consommateurs, les syndicats savent parfaitement utiliser l'arme du lobbying. Certains groupes d'extrême gauche et de gauche ont parfaitement exploité les erreurs du gouvernement pour faire monter la pression comme si toutes les manifestations étaient spontanées. Beaucoup de ceux qui étaient dans la rue ne se sont pas aperçus qu'ils étaient complètement manipulés par un petit noyau d'activistes très organisés qui cherchaient une occasion pour déstabiliser le gouvernement. On peut dire que l'opération a parfaitement réussi. Hélas, ils sont suffisamment professionnels pour ne pas m'avoir contacté.

Jusqu'où peut aller un lobbyiste pour parvenir à ses fins ? Franchit-il parfois certaines limites morales ou légales ?
Pour ma part, je suis sans états d'âme lorsque je mets en place une stratégie d'influence. Tout est bon pour influencer le pouvoir politique. Ma seule limite, c'est la législation française. Je suis très respectueux des lois en vigueur, car sinon je ne durerais pas longtemps dans ce métier. Cependant, il y a encore des lobbyistes qui franchissent la ligne jaune et qui pratiquent la corruption. Heureusement, ils sont extrêmement rares en France, mais encore très présents dans certaines négociations internationales.

"[Pour les JO], les Français étaient tellement fiers d'avoir un très beau projet qu'ils ont oublié de le vendre auprès de chaque membre du CIO"

A quoi attribuez-vous le retard français en matière de lobbying ?
Il y a plusieurs raisons, hélas assez simples. La première est que le monde politique français s'occupe de tout en fabricant en permanence des lois et des règlements qui encadrent toute l'activité économique. Cela fait que les règles du jeu changent tout le temps. Ce n'est pas le cas dans la plupart des autres pays, notamment les pays anglo-saxons. La seconde raison est que la grande majorité du monde politique est issue de la fonction publique. Cela créé une technocratie qui croit avoir la science infuse et qui refuse d'écouter des avis diversifiés. La moitié des conseillers politiques dans les cabinets ministériels sont issus de l'ENA et de Sciences Po. Le dernier point est que la France est l'un des rares pays où les politiques cumulent les mandats. Ce qui fait qu'ils n'ont pas le temps de s'occuper sérieusement des dossiers. Mais heureusement, une nouvelle génération arrive.

Pourriez-vous revenir sur l'échec de la candidature française aux JO de 2012 et son rapport avec les lobbies ?
Les JO en France ont été pilotés par des politiques alors que Madrid et Londres ont mis en place un pilotage par des professionnels du lobbying avec utilisation des politiques au coup par coup. Tony Blair a été utilisé habilement et juste quand il le fallait. Par contre, les Français étaient tellement fiers d'avoir réussi à obtenir un consensus gauche-droite et d'avoir un très beau projet qu'ils ont oublié de le vendre auprès de chaque membre du CIO. J'ai dénoncé à la télévision l'absence de lobbying plusieurs mois avant l'échéance, mais personne ne m'a téléphoné après mes interventions car les pilotes politiques de l'opération étaient tellement certains de gagner.

"Mes clients me demandent déjà de contacter les responsables politiques de gauche qui sont susceptibles d'arriver en 2007"

Quels sont en France les hommes politiques qui ont intégré la culture des lobbies et ceux qui au contraire en sont loin et restent très réticents ?
Des hommes politiques comme Nicolas Sarkozy, Jean-François Copé, Thierry Breton, Dominique Bussereau ont parfaitement intégré cette culture, sans pour autant perdre leur âme. Un homme comme Lionel Jospin n'avait rien compris au lobbying. Contrairement à une rumeur, le lobbyiste doit être capable de travailler avec le gouvernement et le Parlement quelle que soit sa couleur politique. Cela nous oblige à avoir des amis ou des informateurs dans tous les univers politiques en permanence. Aujourd'hui, je travaille énormément avec les hommes de droite qui sont au gouvernement ou au Parlement. Mais mes clients me demandent déjà de contacter les responsables politiques de gauche qui sont susceptibles d'arriver en cas d'alternance en 2007.

De quel pays sont issus les meilleurs lobbyistes ?
C'est au Etats-Unis qu'il y a les meilleurs lobbyistes mais les Indiens et les Chinois commencent à parfaitement intégrer ces méthodes. Un autre pays très performant est le Japon, qui était déjà le n°1 dans l'espionnage industriel. Il faut savoir que le lobbying c'est d'abord du renseignement économique et ensuite seulement de l'influence. Pour être un bon lobbyiste, il faut d'abord être un bon espion avant d'être un manipulateur.

Les lobbies sont-ils à l'origine de la décision de Villepin hier de ne pas faire adopter l'interdiction de fumer dans tous les lieux publics ?
C'est le CPE qui a torpillé l'interdiction de fumer, plus que les industriels du tabac qui savaient que le vent n'allait plus dans leur sens.

Le lobbying semble nécessiter un réseau particulièrement étendu et "pertinent". Comment fait-on pour développer ce genre de réseau ?
Hélas, pour avoir un réseau efficace, il faut d'abord beaucoup travailler car il est impératif d'avoir de nombreux contacts sur un même sujet. Cela veut dire, qu'un lobbyiste ne peut pas se disperser sur tous les sujets économiques. Nous avons des spécialités et c'est ce qui nous permet d'infiltrer des réseaux et des milieux qui sont souvent très cloisonnés. Il faut donc du temps pour être efficace et avoir des copains dans l'univers politique ne suffit pas !

"Il faut du temps pour être efficace et avoir des copains dans l'univers politique ne suffit pas !"

En quoi est-il intéressant d'influencer un ministère comme celui de l'Ecologie, qui n'a que 0,32 % du budget annuel de l'Etat, et dont l'actuel ministre ne brille pas nécessairement par son charisme, ou tout du moins son "influence" ?
Le ministère de l'Environnement est un ministère qui définit des normes pour de nombreuses activités industrielles. Ce n'est pas son budget qui intéresse les lobbies, mais sa capacité à modifier les règles du jeu du marché lorsque l'on change les normes. Les Allemands sont devenus les spécialistes du lobbying européen dans le domaine de l'environnement pour imposer des normes qui favorisent leurs entreprises. C'est le cas dans la dépollution, dans la construction automobile, etc.

Pour quelle "cause" travaillez-vous actuellement ?
La grande distribution, la sécurité, la chasse, la ruralité, la santé et l'agroalimentaire. Mais, aussi pour d'autres causes dont je ne peux pas vous parler !

Est-ce que vous vous définiriez comme un "pompier pyromane" ?
La question est judicieuse, mais nous ne faisons pas le même métier que les avocats. Pour nous, ce qui compte c'est d'avoir des résultats et de faire gagner nos clients. Dans ce cas, ils renouvellent nos contrats non plus pour gérer des crises, mais pour les anticiper. Notre job n'est pas d'attendre que le feu soit dans la maison.

Y a-t-il un profil-type du lobbyiste : études, parcours, mentalité ?
Avant de faire ce métier qui est une passion, j'ai exercé des métiers très différents et en particulier j'ai été agriculteur pendant 10 ans. Je suis donc très mal placé pour affirmer qu'il y a un parcours type. Je peux juste décrire les qualités qui font un bon lobbyiste : il faut être très curieux et s'intéresser à tout, il faut être un peu "fouille merde", il faut ensuite être un bon stratège qui intègre beaucoup de paramètres différents.

Thierry Coste : Nous sommes tous des lobbyistes en puissance y compris dans notre vie personnelle. Mais moi, j'en ai fait un métier. Merci à toutes et à tous et essayez d'arrêter de vous faire manipuler tous les jours en écoutant la radio ou la télévision ! Par contre, faites confiance à L'Internaute Magazine !

Titre : "Le Vrai pouvoir d'un lobby"
Parution : 16 mars 2006
Pages 314 pages
Format : 140 x 220
Prix : 20 euros
Editeur : Bourin
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 Claire Planchard, L'InternauteSavoir
 
Magazine Savoir
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