Cahuzac : le compte en Suisse, le divorce, les labos... Tout comprendre à l'affaire

Cahuzac : le compte en Suisse, le divorce, les labos... Tout comprendre à l'affaire Jérôme Cahuzac, qui a admis avoir un compte à l'étranger, est mis en examen pour blanchiment de fraude fiscale. Mensonge, divorce, détectives privés, enregistrement secret, laboratoires... L'affaire est digne d'un polar financier. Explications.

[Mis à jour le 8 avril 2013 à 16h25] L'affaire Cahuzac aura des retentissements considérables sur le quinquennat de François Hollande. Lui qui souhaitait instaurer, avec son arrivée à L'Elysée, l'exemplarité morale à la tête de l'Etat, doit faire face à la mise en examen de l'un de ses ministres pour blanchiment de fraude fiscale. Le coup est rude, à plusieurs égards : Jérôme Cahuzac, ministre du budget, était l'un des poids lourds du gouvernement. Le premier ministre lui avait par ailleurs accordé sa confiance, tout comme François Hollande à qui le ministre du Budget aurait clamé son innocence "les yeux dans les yeux". Enfin, le discours solennel de ce ministre déchu devant l'Assemblée nationale, affirmant ne jamais avoir possédé de compte en Suisse, restera comme l'un des mensonges les plus ahurissants de l'histoire de la Ve République.

Si le gouvernement parle de "trahison", la chute de Jérôme Cahuzac s'inscrit dans une constellation d'affaires et d'histoires qui s'entremêlent : un compte en Suisse, un divorce, un enregistrement secret, un appartement qui aurait été acheté avec de l'argent suspect, des laboratoires qui auraient fourni de l'argent, des détectives privés... Tous les ingrédients sont réunis pour que l'affaire prenne une dimension digne d'un polar financier. LInternaute.com fait le point.

 

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Jérôme Chuzac © Solfé Communication

Un divorce et des détectives

L'affaire politico-judiciaire a un background bien singulier : une procédure de divorce, avec Patricia Cahuzac, dermatologue de métier, associée de Jérôme Cahuzac lorsque l'ancien ministre tirait l'essentiel de ses revenus de sa clinique privée, située à deux pas des Champs-Elysées. L'affaire marche alors très bien. La clinique, spécialisée dans la greffe de cheveux, est fréquentée par des stars du show-bizz et des hommes politiques. Jérôme Cahuzac et son épouse font fortune, d'autant que le futur ministre a exercé également, dans les années 1990, des activités très lucratives de conseil auprès de laboratoires pharmaceutiques.

Le Canard Enchaîné révélait fin 2012 que Patricia Cahuzac a engagé des détectives privés pour enquêter sur le patrimoine de son mari. L'un d'eux, Alain Letellier, se rend vite compte qu'il n'est pas le seul à se renseigner sur le passé de Jérôme Cahuzac : "En ce qui nous concerne, nous ne nous sommes occupés que d'une banale affaire de divorce. Mais, très vite, nous avons découvert que des officines travaillaient à la recherche d'informations compromettantes" indique-t-il alors au Canard Enchaîné.

Mediapart, qui a lancé les suspicions sur un compte suisse frauduleux détenu par Jérôme Cahuzac, a de son côté révélé qu'Alain Letellier a été entendu, au moins de février 2013 en tant que témoin, par les enquêteurs. Le détective privé aurait déclaré à la police que Patricia Cahuzac lui aurait parlé de ce compte à l'étranger, mais celle-ci affirme ne pas se souvenir d'une telle conversation.

Selon les informations de Paris Match, toutefois, les détectives auraient bien eu accès à certains éléments leur permettant de suivre la piste d'un compte suspect, ouvert à l'UBS de Genève.

Autre élément qui vient se greffer à la dimension "privée" de l'affaire : Patrica Cahuzac a été défendue, dans la procédure, par une certaine Isabelle Copé-Bessis, qui n'est autre que la soeur de Jean-François Copé. Rien n'indique que l'avocate ne puisse être associée au scandale. Cependant, son nom apparaît dans un autre dossier de suspicion de fraude fiscale, lorsque Jean-François Copé entretenait de bons rapports avec l'homme d'affaires Ziad Takkieddine, en 2005. A l'époque le président de l'UMP était ministre du Budget. Depuis, toutes les rumeurs laissant supposer qu'Isabelle Copé ait pu ouvrir un compte en Suisse par un intermédiaire basé à Genève ont été démenties.

Remi Garnier, l'inspecteur des impôts

Selon le Canard Enchaïné, "les officines qui travaillaient à la recherche d'informations compromettantes" auraient réussi à contacter Rémy Garnier, un agent du fisc à la retraite, qui a rédigé en 2008 un mémoire accusant fermement Jérôme Cahuzac, de posséder un compte dissimulé en Suisse. Rémy Garnier avait alors consulté le dossier du futur ministre sans autorisation de sa hiérarchie, ce qui lui aurait valu un avertissement.

Le journal Sud-Ouest a révélé que l'inspecteur des impôts souhaitait à cette époque en savoir plus sur Jérôme Cahuzac, qui aurait, selon Rémy Garnier, effacé le redressement fiscal d'une entreprise de sa circonscription. Une initiative qui aurait fait sortir de ses gonds l'agent du fisc.

L'appartement, l'enregistrement, le compte en Suisse : les révélations de Mediapart

Jérôme Cahuzac doit sa chute aux révélations du site d'informations Mediapart. Tout commence lorsque le site affirme, le 4 décembre 2012, que le ministre du Budget a possédé un compte au sein de la banque UBS, en Suisse, qu'il n'a jamais déclaré au fisc français. Un compte qu'il aurait fermé en 2010 pour transférer l'argent qu'il contenait dans une banque de Singapour.

Le lendemain, Mediapart révèle l'existence d'un enregistrement d'une conversation téléphonique compromettante. Sur la bande, la voix d'un homme, que Mediapart attribue à Jérôme Cahuzac, qui confie : "Moi, ce qui m'embête, c'est que j'ai toujours un compte ouvert à l'UBS, mais il n'y a plus rien là-bas, non ? La seule façon de le fermer, c'est d'y aller ? [...] Ça me fait chier d'avoir un compte ouvert là-bas, l'UBS c'est quand même pas forcément la plus planquée des banques...". Le message enregistré, qui date de la fin de l'année 2000, et dont on ignore qui en était le destinataire, est détenu par Michel Gonelle, ancien avocat et ancien rival politique du ministre dans le Lot-et-Garonne.

Autre information que met en avant le site d'informations : le ministre a acheté en 1994 un appartement de 210 mètres carrés dans le VIIe arrondissement de Paris dont le mode d'acquisition pourrait se révéler suspect. Selon le mémoire de Rémi Garnier, Jérôme Cahuzac aurait "financé comptant" son appartement pour les deux tiers. Mediapart publie également un acte notarié de la vente qui révèle que le ministre a déboursé quatre millions de francs de ses "deniers personnels" pour cet achat. Le ministre répond alors à ces accusations. Il affirme que cet argent provient d'un prêt accordé par le groupe BNP Paribas - qui n'existait pas, puisque le groupe s'est formé en 2000 - et d'un prêt personnel de ses parents - qui est en réalité postérieur d'un mois à l'achat de l'appartement -...

 

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Jérôme Cahuzac © Solfé Communication

La chirurgie esthétique et les labos : l'origine de l'argent ? 

Comment a donc été financé l'achat de l'appartement ? D'où vient l'argent de Cahuzac ? Depuis la mise en examen pour blanchiment de fraude fiscale, la possibilité que l'ex-ministre ait pu recevoir de l'argent non déclaré de la part des laboratoires pour lesquels il travaillait est tout à fait prise au sérieux. Un témoin a d'ailleurs affirmé, lors de l'enquête préliminaire, que des sommes versées sur le compte obscur du ministre pourraient provenir de laboratoires pharmaceutiques.

L'information judiciaire, qui a poussé le ministre à la démission le 19 mars, s'intéresse de près aux "avantages" dont il aurait pu bénéficier de ces laboratoires lorsqu'il était consultant. Jérôme Cahuzac aurait-il blanchi l'argent non déclaré de ces "avantages" en achetant son appartement ?

Selon l'avocat de l'ancien ministre, "l'essentiel de ses revenus provenait de son activité de chirurgien" et, "accessoirement de l'activité de consultant" lorsque celui-ci était conseiller du ministre de la Santé Claude Evin.

Les multiples démentis du ministre

Jérôme Cahuzac a toujours clamé son innocence, estimant être victime de "calomnies" et de "mensonges". Le ministre affirme dès le mois de décembre au président de la République, au premier ministre, et face à l'Assemblée nationale que tout ce qu'on lui reproche est faux. Le ministre du budget nie "en bloc et en détails" toutes les accusations, affirmant être au centre d'un complot. Dans les médias, il affirme lui-même, ou par l'intermédiaire de son avocat, que Rémi Garnier, l'ancien agent du fisc "invente" : "il a également prétendu que Jérôme Cahuzac avait, je cite, 'une villa à Marrakech et une maison à La Baule'. Moi je dis pourquoi pas une hacienda au Mexique ?" explique alors Me August sur Europe 1.

Lorsqu'en janvier 2013, le parquet de Paris ouvre une "enquête préliminaire au chef de blanchiment de fraude fiscale", Jérôme Cahuzac réagit ainsi dans un communiqué rédigé par son avocat : "Cette démarche permettra, comme il l'a toujours affirmé, de démontrer sa complète innocence des accusations absurdes dont il fait l'objet". Le ministre dépose même plainte avec constitution de partie civile en diffamation contre le site d'informations Mediapart.

Le 10 février, le Journal du Dimanche semble donner raison à Jérôme Cahuzac : "Selon nos sources, les vérifications bancaires complètes effectuées par l'UBS excluent non seulement que Jérôme Cahuzac ait été titulaire en son nom d'un compte à l'UBS, mais aussi qu'il était "ayant droit économique" d'un compte, autrement dit qu'il ait été titulaire d'un compte en sous-main, via une société" écrit le journal. Le ministre, qui a par ailleurs entamé des démarches pour que la banque confirme qu'il n'a pas de compte caché, apparaît presque blanchi.

L'information judiciaire ouverte le 19 mars le pousse à démissionner de Bercy. Jérôme Cahuzac est alors soutenu par l'ensemble de la majorité et par le président de la République lui-même. Jérôme Cahuzac apparaît ému lors de son discours de départ au ministère, il affirme alors dans un autre communiqué : "Cela ne change rien, ni à mon innocence, ni au caractère calomniateur des accusations lancées contre moi et c'est à le démontrer que je vais désormais consacrer toute mon énergie".

Les aveux sur son blog

Mardi 3 avril, l'ancien ministre est entendu par les juges. A la surprise de tous les observateurs, Jérôme Cahuzac avoue avoir possédé un compte de 600 000 euros à l'étranger. Il est mis en examen pour blanchiment de fraude fiscale. Sur son blog personnel, l'ancien ministre publie un message d'excuse :

"J'ai rencontré les deux juges aujourd'hui. Je leur ai confirmé l'existence de ce compte et je les ai informés de ce que j'avais d'ores et déjà donné les instructions nécessaires pour que l'intégralité des actifs déposés sur ce compte, qui n'a pas été abondé depuis une douzaine d'années, soit environ 600 000 euros, soient rapatriés sur mon compte bancaire à Paris.
A Monsieur le Président de la République, au Premier Ministre, à mes anciens collègues du gouvernement, je demande pardon du dommage que je leur ai causé. A mes collègues parlementaires, à mes électeurs, aux Françaises et aux Français j'exprime mes sincères et plus profonds regrets. Je pense aussi à mes collaborateurs, à mes amis et à ma famille que j'ai tant déçus.
J'ai mené une lutte intérieure taraudante pour tenter de résoudre le conflit entre le devoir de vérité auquel j'ai manqué et le souci de remplir les missions qui m'ont été confiées et notamment la dernière que je n'ai pu mener à bien. J'ai été pris dans une spirale du mensonge et m'y suis fourvoyé. Je suis dévasté par le remords."

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Jérôme Cahuzac © Solfé Communication

Le blanchiment de fraude fiscale et les suites judiciaires

Jérôme Cahuzac encourt désormais jusqu'à 5 ans de prison et 375 000 euros d'amende. Le blanchiment de fraude fiscal, pour lequel il a été mis en examen est défini par l'article 324-1 du code pénal comme " le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l'origine des biens ou des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect. Constitue également un blanchiment le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit." En clair, Jérôme Cahuzac est soupçonné d'avoir réinvesti dans l'économie légale le fruit de l'argent soustrait au fisc français. Me Jean Veil, le conseiller de l'ancien ministre a indiqué à l'AFP que le compte à l'étranger n'avait "pas été abondé depuis 2001" mais reconnait le blanchiment de fraude fiscale, sur un montant estimé à 30 000 euros.

D'autre part, Jérôme Cahuzac est également mis en examen pour " blanchiment de perception par un membre d'une profession médicale d'avantages procurés par une entreprise dont les services ou les produits sont pris en charge par la sécurité sociale ".

Philippe Péninque et Marine Le Pen 

Les aveux de Jérôme Cahuzac ont provoqué un séisme politique tel que l'ensemble de l'opposition appelle au remaniement du gouvernement. François Hollande a réagi mercredi 3 avril lors d'une intervention télévisée pour condamner les mensonges de son ancien ministre. Le président de la République a également annoncé une série de mesures pour "moraliser" la vie publique et responsabiliser les acteurs de la vie politique.

Si la droite attend des explications de la part de François Hollande, le Front National appelle le chef de l'Etat à dissoudre l'Assemblée nationale. Mais la présidente du parti d'extrême droite est elle-même atteinte par le scandale : Le Monde a en effet révélé que la personne qui aurait ouvert le compte en banque en Suisse de Jérôme Cahuzac est un proche de Marine de Pen, Philippe Péninque, ancien membre du GUD, une organisation étudiante d'extrême droite. Cet ancien avocat, spécialisé dans les montages fiscaux, entretiendrait des relations amicales avec Jérôme Cahuzac, tout autant qu'avec Marine le Pen. La présidente du FN affirme quant à elle n'avoir appris l'existence de ce compte en Suisse que lorsque Philippe Péninque lui en a parlé, le jour des aveux publics de Jérôme Cahuzac. La relation entretenue par Jérôme Cahuzac avec Philippe Péninque attire malgré tout l'attention des médias. Les deux hommes se seraient rencontrés grâce à un autre avocat, Me Emié, ancien du GUD également, qui a épousé Dorothée la cousine de Patricia Cahuzac.

Jérôme Cahuzac a-t-il tenté de dissimuler 15 millions d'euros ?

Après être passé aux aveux, l'ancien ministre a immédiatement affirmé que son compte en Suisse était crédité de 600 000 euros. Son avocat, Me Jean Veil a reconnu la fraude fiscale, mais pour un montant estimé à 30 000 euros. Selon plusieurs spécialistes du droit fiscal, les chiffres avancés par la défense de Jérôme Cahuzac sont peu crédibles. Ainci, Antoine Peillon avance qu'"il y a beaucoup de frais sur ces opérations", "un tel montage pour dissimuler un montant pareil ne fait aucun sens".

Les médias suisses ont d'ailleurs révélé, invoquant des "informations bancaires", que Jérôme Cahuzac aurait tenté de dissimuler 15 millions d'euros d'actifs dans un établissement bancaire suisse. Si l'information se confirme, elle viendrait conforter les dires de Mediapart, qui avait fait mention d'un montant similaire. Par ailleurs, toujours selon les médias suisses, l'ancien ministre aurait menti à la banque suisse Julius Baer, en fournissant à l'établissement un certificat fiscal falsifié, afin de transférer ses fonds à Singapour sans que la banque ne puisse se douter que l'argent de son compte n'avait pas été déclaré au fisc français.

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