Eran Riklis (réalisateur) "S'il y a un parti que je prends, c'est celui de l'humain"

Après "Les Citronniers" et "La Fiancée syrienne", le réalisateur Eran Riklis est de retour au cinéma avec "Zaytoun", qui montre la rencontre inattendue entre un jeune réfugié palestinien et un pilote de chasse israélien. Rencontre.

Linternaute.com : L'acteur américain Stephen Dorff, 39 ans, interprète un pilote de l'aviation israélienne dont l'âge moyen est habituellement d'une vingtaine d'années. Qu'est-ce qui vous a convaincu de lui confier ce rôle ?
Eran Riklis : Dans l'armée israélienne, on commence à se former à 20 ans, puis on reste pilote jusqu'à environ 40 ans. Effectivement, Stephen Dorff a 39 ans, mais dans le film il fait à peu près 35 ans et je crois qu'il a le grade de Major. Des pilotes dans l'armée israélienne, il y en a de tous âges, car c'est une armée assez vaste. Il est certain qu'à 35-40 ans son personnage est plutôt à la fin de sa carrière. J'ai choisi cet acteur parce que je pensais qu'il pouvait donner au personnage à la fois ce côté expérimenté, mais aussi une ouverture d'esprit qui est importante pour moi, pour le film et pour le personnage. 
 

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Stephen Dorff © Eitan Riklis / Pathé Distribution

Comment avez-vous choisi Abdallah El Akal, le jeune interprète de Fahed, âgé d'une dizaine d'années ?
A l'époque où on a tourné, il avait 12 ans. J'avais déjà réalisé un court-métrage avec lui il y a environ trois ans. On avait tourné pendant une journée et j'avais remarqué qu'il était très talentueux et surtout très cinégénique. Pour le rôle de Fahed, il m'a semblé qu'il pouvait être quelqu'un en qui je pouvais avoir confiance parce qu'il porte quand même le film sur ses épaules. Il me semble après coup que j'ai fait le bon choix car on peut voir à la fois le côté très sensible du personnage qu'il interprète, mais aussi son intelligence. D'ailleurs, il faut penser également que ce n'est pas forcément facile pour lui de jouer ce rôle parce qu'aujourd'hui il habite à Tel Aviv et vit dans la "culture McDo, Iphone, jeux vidéo". C'est difficile de se projeter en 1982, à Beyrouth, dans le rôle d'un réfugié palestinien et de bien rendre la conscience politique du personnage dans le film.
 

On sent entre eux une réelle complicité qui se noue au fur et à mesure de leur périple pour rejoindre la frontière israélienne. Comment cela s'est-il passé sur le tournage ?
C'est surtout pendant les répétitions que j'ai essayé de mettre cela en place. J'ai voulu créer une relation d'amitié entre eux, mais j'ai aussi veillé à ce qu'ils gardent une certaine distance, ce qui aide le film parce qu'ils avaient également cette distance à jouer à l'écran. J'ai fait en sorte finalement qu'ils aient les mêmes rapports que ceux qu'ils devaient interpréter dans le film. Pour Abdallah, jouer avec cet acteur américain, c'était un grand événement dans sa vie. Stephen Dorff, c'est quelqu'un qui, après le tournage, aime bien faire la fête, aller dans les bars, etc. Je crois qu'Abdallah avait très envie de faire partie de ce monde-là, même si c'est un enfant et qu'à ma connaissance il ne peut pas boire d'alcool. C'était donc à moi de contrôler leur relation, de les faire s'entendre bien, mais pas forcément trop bien et de guider Abdallah. Stephen Dorff est un très bon acteur, mais Abdallah est un acteur instinctif. Ce n'est pas son métier. C'était donc ça mon rôle : lui donner les cartes et le faire avancer dans le bon sens.
 

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Abdallah El Akal © Eitan Riklis / Pathé Distribution

Comment avez-vous fait pour reconstituer de manière crédible le Liban des années 1980, notamment la séquence d'ouverture du film censée se passer dans les rues de Beyrouth ?
Il y a trois choses. La première, c'est de faire beaucoup de recherches sur Beyrouth, de trouver des photos, de trouver des films, d'essayer de se rendre compte très précisément de ce à quoi la ville ressemblait. La deuxième chose, c'est de trouver des lieux de tournage appropriés. J'ai eu pas mal de chance. Haïfa, qui est une grande ville du nord d'Israël, ressemble beaucoup à Beyrouth. Il y a des quartiers arabes et on y trouve un peu la même ambiance. Et puis on a trouvé des villages dans lesquels on pouvait vraiment rendre l'histoire plausible et qui ressemblaient infiniment à ce que l'on peut trouver autour de Beyrouth en Cisjordanie. La troisième chose, ce sont les effets spéciaux. Nous avons passé beaucoup de temps, et dépensé beaucoup d'argent aussi, à retravailler l'image de façon justement à créer quelque chose qui soit plausible. Il faut penser qu'en 1982, après des années de guerre civile, Beyrouth était vraiment une ville détruite. On a essayé de rendre le sentiment que cela avait été une très belle ville, ce qui était le cas, mais qu'elle fut détruite et laissée à l'abandon après la guerre. Je dois dire que je suis assez fier de cette reconstitution. Le résultat, pour moi, est probant.
 

Le film prend bien soin d'éviter de prendre parti pour les Israéliens ou pour les Palestiniens. C'était important pour vous de ne pas vous engager dans cette voie ?
Je ne suis pas journaliste, donc je n'ai pas besoin d'être objectif. Ce à quoi je ne crois pas, c'est à une sorte d'équilibre, c'est-à-dire au fait qu'on accorde le même temps de parole aux uns et aux autres. Dans le film, il y a des moments où on est du côté de l'enfant, d'autres où on est du côté du pilote. J'ai l'impression que le film essaie effectivement d'aller vers une sorte d'équilibre des points de vue. Selon moi, on peut appliquer les règles de relation entre deux personnes - on se met à la place de l'autre, on essaie de le comprendre, de l'écouter - à des rapports plus vastes et plus grands, entre pays, entre communautés. Peut-être que ce que je dis vous paraît un peu simplet, mais j'y crois. En tout cas, s'il y a bien une chose qu'on a évité de faire, c'est de filmer une scène où les Israéliens sont les gentils, puis une scène où ils sont les méchants, parce que ça, ça ne marche pas.
 

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En danger permanent © Eitan Riklis / Pathé Distribution

Ne pensez-vous pas que le fait de ne pas prendre parti peut frustrer un public avide de prises de position forte à ce sujet ?
Si jamais le public est déçu par le fait que je ne prends pas position pour ou contre, alors ce public-là me déçoit énormément. Il n'y a pas de films où tout est noir ou tout est blanc. En tout cas, si jamais le public cherche un film qui soit tout noir ou tout blanc, moi je revendique d'être technicolor. S'il y a un parti que je prends, c'est celui de l'humain. Même si les hommes ont fait des choix extrêmes, parce que je pense qu'il y a toujours, chez tout le monde, de l'humain.
 

D'ailleurs le film fournit finalement assez peu d'éléments sur les événements de l'époque au Liban et en Israël. Etait-ce une manière de vous concentrer avant tout sur l'humain ?
Le film se passe quand même clairement en juin 1982 et, si on connaît l'histoire, on sait que trois mois plus tard il y aura les massacres de Sabra et Chatila. C'est une époque qui est évoquée à plusieurs moments dans le film, notamment à travers les scènes où on entend la radio. Le film est très ancré dans cette réalité et d'ailleurs il ne pourrait pas se passer trois mois plus tard ou trois mois plus tôt. Il faut savoir que 1982 est une année charnière pendant laquelle Israël envahit le Liban. L'OLP en est donc expropriée et doit aller se replier en Tunisie. Ce sont des choses qu'on entend dans le film, qui est finalement un road-movie dont la particularité est d'être tout le temps sur la route. Or on traverse sur la route énormément d'épisodes qui ont trait à la situation politique de l'époque : les milices chrétiennes, les factions diverses qui se partageaient la ville pendant cette période... On essaie quand même de rendre compte dans le film que le Liban, à l'époque, c'est un chaos total.
 

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Politique et émotion © Eitan Riklis / Pathé Distribution

Malgré le contexte difficile du film et son lot de drames, on en ressort avec une certaine légèreté. Est-ce que c'était votre volonté dès le départ ?
Je crois que, dans tous mes films, j'ai essayé de faire cohabiter un réalisme politique et une sorte de légèreté. C'est mon caractère, mais ça permet aussi de rendre le film accessible au public. Je dirais que je suis assez influencé par le cinéma italien. Dans les films italiens, on va à un enterrement le matin et à un mariage l'après-midi. Si on pense au contexte politique du film, on voit qu'il est quand même extrêmement lourd. Regardez ce gamin : il vient de perdre sa mère, il perd son père, il perd son meilleur ami. Vous voyez ce qui arrive dans sa vie en l'espace de quinze jours. Pourtant il garde tout le temps son sens de la vie et son sens de l'humour. Cela ne vient pas tellement de moi, cela vient plutôt de lui qui croit au fait qu'on peut toujours avancer. Sa motivation est aussi le moteur et l'épine dorsale du film.
 

Comme dans "Les Citronniers" et "La Fiancée syrienne", le film se concentre sur le point de vue d'un personnage en particulier, tout en montrant les souffrances des deux côtés du conflit de manière équitable. N'aviez-vous pas peur de vous répéter avec ce film ?
Si jamais on se répète, d'ailleurs pourquoi pas, on ne se répète jamais de la même façon. J'ai réalisé en effet pas mal de films qui concernent le Moyen-Orient, mais non, je ne me lasse pas d'exposer les deux côtés des choses. Je pense que le public et les gens en ont besoin. Regardez aujourd'hui, pour prendre un exemple concret, le sort de la Syrie. Regardez le sang versé et tout le monde s'en fout, les Français y compris. Si jamais vous voyez ce qui se passe aujourd'hui en Syrie, vous allez comprendre pourquoi moi, aujourd'hui, je tourne Zaytoun et quelles sont mes motivations.

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Amitié improbable © Eitan Riklis / Pathé Distribution

"Zaytoun" est produit par le même producteur que "Le Discours d'un roi" et on y retrouve d'ailleurs ce qui faisait le sel du film : l'amitié improbable entre deux personnages opposés qui doivent s'allier pour atteindre leur objectif. Une recette qui gagne ?
Le producteur est arrivé assez tard sur le film et finalement, même s'il a fait Le Discours d'un roi (un énorme succès à la fois économique et artistique), peut-être que son intérêt pour le film montre quelque chose. Il avait envie de se lancer dans la production d'un plus petit film, quelque chose qui se passe au Moyen-Orient. Je me suis dit que s'il s'intéressait au projet, c'est qu'il y voyait quelque chose d'accessible pour le public et ça, ça m'intéresse énormément. Moi, ce que je cherche à faire, c'est du cinéma populaire. Il faut entendre ça, même si peut-être qu'en France on n'en a pas la même acceptation. Ce que je veux dire par là, c'est que j'aime bien les festivals et recevoir des prix, mais ce n'est pas ce que je cherche. Ce qui m'intéresse, c'est de m'adresser à un public. J'assume de vouloir faire un cinéma populaire. Que les critiques soient bonnes, c'est très bien, mais ce sont les gens qui vont au cinéma qui sont vraiment mon public et c'est à eux que j'ai envie de m'adresser.

 Voir la fiche du film "Zaytoun" (Extrait vidéo)

EN VIDEO : la bande-annonce du film


"Zaytoun"