La science-fiction dans les BD et les mangas
Le Salon du Livre 2012 mettait le Japon à l'honneur, et de nombreux auteurs étaient présents pour donner des conférences. Parmi eux, la talentueuse Moto Hagio, auteur culte de mangas de science-fiction, qui a été confrontée le temps d'une conférence au dessinateur de la série de BD "Valérian et Laureline", Jean-Claude Mézières.
Quelles sont les différences entre le manga et la BD franco-belge de SF ?
Quelle influence la catastrophe de Fukushima a-t-elle eu sur les ouvrages japonais ?
Un débat chaleureux et plein d'émotions s'est déroulé entre ces deux auteurs aux univers radicalement différents.
Qui sont-ils ?

Jean-Claude Mézières est un poids-lourd de la bande-dessinée française, co-créateur de la série "Valérian et Laureline", un best-seller depuis 40 ans. A un peu plus de 70 ans, il est un pionnier de la SF française et a inspiré beaucoup d'auteurs et de réalisateurs de films.

De son côté, Moto Hagio, est une mangaka méconnue en France mais incontournable au Japon et aux Etats-Unis, notamment pour le remarquable "They Were 11" (= Ils étaient 11, "Jûichinin iru!" en VO). Elle dessine depuis les années 1970 et son œuvre empreinte de féminisme et de questions sur les genres n'est pas encore traduite en France.
BD-Manga : SF connexion

La rencontre entre Jean-Claude Mézières et Moto Hagio
Avant de se rendre dans la salle de conférence, Mézières s'étonne tout de même : "je n'ai pas du tout vu où était la science-fiction dans le livre qu'on m'a passé". Il faut dire que la majorité des livres de Moto Hagio sont des shôjos (mangas pour filles)... La SF n'est qu'une partie de son travail ! Tout au long de la discussion, brillamment menée par la journaliste Karyn Poupée, l'apparente décontenance du Français s'estompe, et les deux auteurs se découvrent une multitude de points communs.
Les différences entre la SF au Japon et en France
L'un comme l'autre trouvent difficile de déterminer s'il existe des spécificités nationales dans la BD de science fiction. Ils y voient une grande diversité dans les styles de leurs compatriotes. Moto Hagio considère que chaque auteur, de Osamu Tezuka (Astroboy) à Naoki Urasawa (20th Century Boys) en passant par Otomo Katsuhiro (Akira) ont tous une façon bien différente de faire de la SF, tandis que Mézières affirme que c'est un genre qui doit être personnel : "Ce que je veux, c'est voir des créations de mondes qui n'existent pas ou d'événements qui sont imprévisibles". Il cite alors Druillet, Bilal, Moebius et leurs styles reconnaissables entre tous, peut-être en opposition au manga, bien plus codifié que la BD franco-belge et donc moins identifiable pour un occidental.

Mais il n'y a pas que le dessin. Les thèmes évoqués varient aussi beaucoup, mais semblent se cristalliser autour de chaque pays. Par exemple, Moto Hagio pense que le comic-book américain de science-fiction est personnifié par Superman : "Alors que si on regarde "Valérian et Laureline", les personnages sont des gens du commun, des Terriens ordinaires qui voyagent dans des mondes différents, et rencontrent des extra-terrestres ; leur attitude est plutôt d'essayer de faire connaissance. Le superhéros américain, lui, lutte contre le mal."

Et Jean-Claude Mézières de répondre : "Dans les premières histoires de Valérian, il y a des confrontations de civilisations mais pas de danger du monstre, ce sont souvent les terriens qui sont les "monstres" [...]. On reprend le modèle du colonialisme, et les histoires de Valérian, surtout dans les années 1970, étaient fortement opposées au colonialisme et à la suprématie de "l'homme blanc". C'est complètement l'inverse du western."
La mangaka s'exclame : "Cette idée, que les méchants soient du côté des terriens, c'est impensable dans la SF américaine !" Le dessinateur rétorque doucement "oh, ça commence..." faisant certainement référence au film Avatar, de James Cameron, dont le scénario rappelle énormément "Bienvenue sur Alflolol", un épisode de Valérian publié dans les années 1970. En réalité plus qu'une copie de l'œuvre de Christin et Mézières, le film s'inspire de l'imaginaire colonialiste...
Moto Hagio s'étonne : "Comment est venue cette idée ? Pourquoi vous avez tenu à faire paraitre les Terriens comme les "méchants" de l'histoire ?"
Jean-Claude Mézières : "C'est d'abord lié à nos opinions politiques. Sans faire du militantisme, on peut être conscient de ce qu'il se passe. J'ai fait mon service militaire pendant un an en Algérie et je n'ai pas aimé ça, même si j'ai eu beaucoup de chance car je n'ai tiré sur personne et que personne ne m'a tiré dessus, mais j'ai le sentiment d'un gâchis épouvantable. Mon attitude était, et est toujours 50 ans après, antimilitariste. Et c'est pour ça que Valérian est une bande-dessinée "civile", le héros n'est pas flic, ni gendarme, ni militaire, ni conquérant, c'est au contraire un témoin. Je ne dirais pas qu'il est conducteur d'autobus, mais presque."

Dans les mangas de Moto Hagio, le fond politique n'est pas forcément aussi facile à observer, mais elle admet une forme de contestation : "Il y a une mentalité assez commune au Japon qui est que chacun doit posséder une conscience de ce qu'il faut faire ou ne pas faire, de ce que l'avenir doit être. C'est quelque chose de lourd à porter et que je n'aime pas." Bien qu'elle soit aujourd'hui considérée comme un personnage important du féminisme au japon, la mangaka refuse une image de "science-fiction au féminin". Pour elle, la différence avec un mangaka homme, c'est qu'elle adore dessiner des jolis garçons ! Mézières renchérit en évoquant Laureline et l'apparition de cette première héroïne de BD destinée aux adolescents, un peu plus sexy que la Castafiore.
Quant aux influences de l'actualité sur leurs œuvres, les deux auteurs hésitent : quand on fait de la science-fiction, on s'inspire plus de ce qui pourrait arriver que de ce qui est déjà arrivé ! Pour Mézières, la conquête de la lune a été très stimulante : "il y avait un désir très fort de croire aux aventures spatiales" mais globalement, l'actualité a eu peu de conséquences sur Valérian et Laureline : "Le scénariste Pierre Christin a toujours essayé d'anticiper. Il a été professeur de journalisme pendant 30 ans, il comprend les événements pour les transposer dans le futur, donc on essaye d'être en avance. Plusieurs épisodes parlent de choses qui sont arrivées après coup. En plus, comme je mets 2 à 3 ans à dessiner un album, l'actualité est bien moins intéressante !"
C'est la romancière américaine Ursula Le Guin, qui avec un roman tel que "La Main gauche de la nuit", a inspiré Moto Hagio : "Dans l'une de mes histoires, le personnage vit sur une planète où jusqu'à un certain âge, les enfants doivent décider s'ils deviennent homme ou femme. Lui voudrait devenir un garçon mais des règles sociales font qu'on l'empêche de devenir un homme et on l'oblige à devenir une femme, à se marier et avoir des enfants. On découvre donc la difficulté du personnage à choisir entre les conventions sociales et ce qu'elle veut vraiment. J'ai d'ailleurs reçu de nombreuses lettres de lectrices qui disaient ressentir la même chose que le personnage de mon histoire. Je pense que c'est parce qu'à cette époque, la société était beaucoup plus inconfortable pour les femmes que cette série a eu autant de succès."

La question brulante du nucléaire...
Plusieurs fois durant la conférence, le sujet tourne autour de la question du nucléaire, qui est redondant au sein de la science-fiction. Avec beaucoup de malice, Jean-Claude Mézières revient sur les événements de Tchernobyl : "Dans la première histoire longue que Christin et moi avons réalisée en 1967, "La Cité des eaux mouvantes", une explosion nucléaire avait fait fondre les pôles, l'eau inondait le globe, et l'histoire se passait dans New-York enseveli sous les eaux. On avait placé ce phénomène-là dans le futur, en 1986. Et nous avons continué à faire nos histoires... Nous sommes arrivés en 1986, on s'est demandé comment réorganiser la suite de l'histoire parce qu'on ne pouvait pas faire comme si ça n'avait pas existé en vrai. Et ce qui est extraordinaire, c'est qu'en 1986, il y a eu Tchernobyl."
L'événement a eu plus d'importance que prévu sur l'univers de la science-fiction française : "Je ne suis pas allé à Tchernobyl mais Pierre Christin s'y est rendu avant 2000 pour voir, enquêter, et il a fait un petit livre avec Enki Bilal, qui s'appelle "Le Sarcophage", où il transpose Tchernobyl dans le futur et imagine que le site deviendra le musée de la catastrophe nucléaire. C'est une utilisation de la SF dans un événement extrêmement dramatique."

Cette fois, c'est à la Japonaise de rétorquer qu'elle aussi, voit le nucléaire comme un thème important de la SF de son pays, avec Godzilla : "A cause de l'influence de la radioactivité après des essais nucléaires, un monstre sort des mers et avance vers Tokyo, qu'il risque de détruire. Pour comprendrece type d'histoires, ce genre de SF, il faut revenir à la défaite de la Seconde Guerre mondiale et à la destruction de Tokyo et des grandes villes japonaises. Le traumatisme de cette expérience est certainement à l'origine de ce thème particulier et du sens qu'il a dans la SF japonaise. C'est l'aspect symbolique de Godzilla qui est important, c'est l'allégorie, la personnification d'une sorte de frayeur."
... et de Fukushima
En fin de conférence, Moto Hagio revient lors d'un émouvant discours sur l'accident de Fukushima, qui a eu lieu exactement un an auparavant. Elle explique que le choc a été tellement fort que même si elle avait des commandes, elle ne parvenait pas à travailler : "Il m'était totalement impossible d'imaginer des histoires gaies. Une de mes amies m'a invitée à aller voir les fleurs qui s'ouvrent au printemps, pour essayer de penser à des choses
Imaginons le territoire de Fukushima avec d'immenses champs de fleurs jaunes
plus positives. Nous étions une vingtaine, nous n'arrivions pas à parler d'autre chose que du tremblement de terre. Une de mes amies nous a raconté qu'à Tchernobyl, après l'accident, le colza et le tournesol amélioraient la terre. Ça m'a donné cette idée : imaginons le territoire de Fukushima avec d'immenses champs de fleurs jaunes, ce serait magnifique ! Voilà, c'est cette image qui m'est venue et grâce à elle j'ai pu à nouveau écrire."
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Source : L'Internaute.com | ||
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C'est ainsi qu'elle a réalisé le manga "Nanohana" (en français : fleur de colza) puis un peu plus tard dans l'année "Miss Pluto", dans lequel elle personnifie l'énergie nucléaire sous la forme d'une belle femme tentatrice. Les deux ouvrages ne sont pas encore sortis en France, mais la mangaka espère que le public français pourra rapidement en profiter. Car pour la première fois, elle considère qu'il y a une réflexion à mener sur un sujet politique : "Après Tchernobyl, on nous avait dit "au Japon, pas de problème, c'est sûr" et je l'ai cru. Maintenant, j'ai envie de me demander pardon à moi-même d'avoir été aussi naïve. Maintenant, j'ai l'intention de réfléchir plus sérieusement sur ce qu'il faut faire pour les générations suivantes."
Les extraits vidéo de la rencontre entre Jean-Claude Mézières et Moto Hagio
Lire les BDs et mangas présentés :
L'intégrale de Valérian et Laureline, de Pierre Christin et Jean-Claude Mézières est en cours de publication, le tome 6 vient tout juste de sortir.
Vous ne parlez pas japonais ? Il est possible de se procurer plusieurs mangas de Hagio Moto en version anglaise ou italienne.