L'Internaute > Mer et Voile 
> Chat avec Isabelle Autissier
 CHAT 
Novembre 2005

Isabelle Autissier : "Le bateau a fait 360 degrés et j'ai attendu quatre jours les sauveteurs"

Quelques semaines avant son départ en Antarctique, Isabelle Autissier a fait escale à L'Internaute, lundi 28 novembre, pour répondre en direct à vos questions. Elle a raconté le quotidien des marins qui naviguent autour du globe.
Envoyer à un ami | Imprimer cet article

Sur quel voilier avez-vous été en Antarctique ? Est-ce que c'était Antarctica de Jean-Louis Etienne ?
Isabelle Autissier : Non, c'était sur mon voilier personnel qui est un 50 pieds en aluminium.

A propos des artistes et personnalités participant au projet "Pourquoi pas l'Antarctique" (Erik Orsenna, écrivain, grand conteur et président de l'Ecole nationale supérieure du Paysage, ainsi que Daniel Nouraud, amoureux des espaces lointains et épris de liberté, et puis tous les autres...), pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

Le projet malheureusement n'a pas eu lieu faute d'argent. Mais c'est pour cela que je fais ce même projet en beaucoup plus petit, puisque j'emmène Erik Orsenna pour écrire avec lui sur l'Antarctique, un caméraman et un scientifique du CNRS qui va travailler sur les oiseaux et les mammifères marins.

"J'emmène Erik Orsenna pour écrire avec lui sur l'Antarctique, un caméraman et un scientifique du CNRS qui va travailler sur les oiseaux et les mammifères marins."

Où avez-vous appris à naviguer ?
Avec mon papa et ma maman à Lancieux, dans les Côtes-d'Armor, dans les années 60.

Comment conciliez-vous vie de famille et vos aventures en mer ? Qu'est-ce qui est plus dur : partir ou rentrer chez soi ?

Les deux sont super ! Mais il faut quand même faire des choix en terme de vie de famille et c'est pour cela que je n'ai pas d'enfants.

Au large, que faites-vous de vos déchets ?
Je garde tous les déchets non biodégradables pour les ramener ensuite à terre, ce qui n'est pas vraiment contraignant. Pendant sept semaines en Antarctique, les déchets biodégradables sont jetés à l'eau, mais en principe au cours de la navigation pour ne pas trop "dégueulasser" les baies et mouillages.

Quelle est la hauteur de la plus grosse vague que vous avez vue ?
Pas facile à dire, dans les 15 mètres sans doute, dans le Pacifique sud.

Est-ce que vous avez le mal de mer parfois ?
Oui, je l'ai beaucoup eu quand j'ai commencé à naviguer. Maintenant, ça peut m'arriver mais ce n'est jamais très grave.

Est-ce que vous avez déjà eu très peur en mer ?
Je ne dirais pas très peur. En solitaire, sur un grand bateau, on est tendu tout le temps. Parfois très tendu quand il y a des risques d'avaries, mais en principe on a peur de ce que l'on ne connaît pas... Et je connais assez bien la mer.

En mer, durant des jours de grande tempête, avez-vous invoqué Dieu ?
Je ne crois pas en Dieu.

Quel est votre port préféré ?
Pas facile à dire. Il y a tant d'endroits très variés. J'aime bien Cape Town en Afrique du Sud.

Vous aimez la solitude ?

Si je n'aimais pas un peu cela, je ne partirais pas en solo ! C'est très profitable et agréable de se retrouver seule de temps en temps, et en plus c'est une solitude que j'ai choisie et qui est passagère.

Quel est votre rythme de sommeil quand vous êtes en course ?
Environ 4 h 30 par 24 h, réparties en siestes de 30 min à 1 h.

Est-ce que vous suivez un régime ou un entraînement physique particulier avant une course ?
Régime non, il n'y a pas de raison. Entraînement physique pour être en forme, oui, à base de footing, piscine et vélo, et un peu de musculation. Mais il est beaucoup plus important pour la voile au large d'aller travailler sur un ordinateur pour maîtriser la météo.

Que prend-on avec soi pour se rappeler la maison pendant de longues périodes ?
De la musique et des bouquins, choisis par les proches et mes amis. Je pense à chacun d'entre eux quand j'écoute ou quand je lis.

Quand vous êtes-vous intéressée à ce métier ?

J'ai toujours aimé la navigation. J'ai un diplôme d'ingénieur agronome spécialisé en halieutique, et j'ai travaillé pour la pêche pendant 5 ans. C'est plus tard vers 30 ans que j'ai fait ma première course, et vers 34/35 ans que j'ai commencé à en vivre.

Ce n'est pas trop dur d'être une femme dans ce sport ? Le milieu de la voile est-il encore d'accès difficile pour les femmes ?
Je ne pense pas qu'il soit plus difficile, au contraire. Pour le moment, une femme en course intéresse plus les sponsors et quant aux autres marins, il suffit de bien naviguer pour gagner leur respect.

Pensez-vous que c'est un milieu machiste ?
Non, sûrement beaucoup moins que d'autres, car dès que l'on est meilleure qu'eux sur l'eau, on n'a aucun problème.

"Je suis de l'époque où les grands marins s'appelaient Moitessier et Tabarly."

Qui étaient les héros/héroïnes de votre enfance ?
Je suis de l'époque où les grands marins s'appelaient Moitessier et Tabarly. En fait, j'étais plus intéressée au début par la croisière, donc j'aimais beaucoup Moitessier et les deux copains Jérôme Poncet et Gérard Janichon qui naviguaient ensemble, et avaient été les premiers à remonter l'Amazone ou à aller en Antarctique.

Qu'est devenu "Parole", votre sloop ?

Il est au port de Toulouse car je l'ai prêté à un copain qui navigue en Méditerranée.

Vous êtes de la génération "Damien" ("L`Antarctique à la voile", 1975). Ce livre est-il en partie à l'origine de votre projet personnel ?
Oui, j'ai été très tôt fascinée par cette histoire où deux copains sans le sou pouvaient partir et faire des grandes choses en mer. Du coup, il m'a toujours semblé qu'avec juste beaucoup de volonté ça pouvait marcher... et c'est assez vrai.

Y a-t-il toujours une démarche écologique dans vos expéditions, en dehors de l'amour pour la mer ?
Dans tous les témoignages que j'ai ramenés, j'ai toujours essayé de mettre en valeur la défense de la planète et de la mer. C'est aussi le thème de mon voyage en Antarctique. Par ailleurs, je travaille avec plusieurs associations de protection de la nature et des droits de l'Homme.

Si vous deviez citer trois associations de défense du milieu maritime qui vous tiennent à cœur, quelles seraient-elles ?
L'association que je préside ! L'Ecole de la mer où nous faisons de la sensibilisation pour les jeunes. Bien sûr le travail de l'UICN (Union mondiale pour la nature) et Longitude 181 Nature, qui milite pour la protection des requins.

Quel est votre plus beau souvenir en mer ?
Il y en a plein, donc j'en prends un au hasard : un anniversaire en solo par 40 degré sud dans mon premier tour du monde, où j'ai vu des albatros pour la première fois. Je n'avais pas imaginé leur grâce et leur beauté.

Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui rêve de courses ?

Naviguer ! Il faut saisir toutes les occasions, en famille, avec des amis, des clubs ou plus tard faire ses propres expériences. La Mini-Transat est très formatrice de ce point de vue. La navigation est avant tout une question d'expérience, donc il faut les accumuler.

Mon petit cousin veut faire de la voile mais il a un peu peur. Que lui dire pour le rassurer ?
Je connais beaucoup plus de gens qui sont morts sur la route que sur la mer. Il faut bien penser qu'en mer, on peut toujours naviguer à son niveau. D'abord sur un petit bateau, pas loin de terre, et puis si ça vous plaît, on peut aller plus loin. De toute façon, on peut se faire plaisir à tout moment.

Quel autre métier auriez-vous aimé exercer ?
Astronaute.

Est-ce qu'il y a une navigatrice que vous soutenez particulièrement ?
Pas vraiment, je crois que les femmes et les hommes sont à égalité en ce qui concerne la voile au large. Je ne soutiens pas plus les navigatrices que les navigateurs !

Que pensez-vous d'Ellen Mac Arthur ?
Je la connais assez bien et j'aime bien son style qui est resté simple malgré le haro médiatique. C'est une fille très déterminée et qui apprend très vite... Donc ça marche !

"Je crois que les femmes et les hommes sont à égalité en ce qui concerne la voile au large donc je ne soutiens pas plus les navigatrices que les navigateurs."

Pensez-vous comme moi que les grands navigateurs font partie des derniers véritables héros sur terre ? Y aura-t-il toujours cette aura de mystère autour d'eux ?
Je ne sais pas très bien ce qu'est un héros, c'est toujours relatif à une époque et à des valeurs. Je peux avoir autant de respect pour un grand savant ou un politique hors du commun... L'aura de mystère est relative au fait qu'il y a peu de façons de nous toucher quand nous sommes en mer, et je pense que cela doit continuer car cela permet aux autres de rêver. Il faut donc limiter l'accès à la vidéo en direct qui se développe à l'heure actuelle. Les marins sont soumis à forte pression de leurs sponsors pour être en direct au JT de 20h. Je ne suis pas sûre que cela soit toujours une bonne idée.

Connaissez-vous Jean-Louis Etienne, et si oui, quels sont vos rapports ?

Bien sûr. Je connais Jean-Louis, encore que nous n'ayons jamais travaillé ensemble. J'apprécie son professionnalisme et son souci de défendre la planète à travers ses actions.

Quel est votre plus grand rêve ?
Le seul rêve que je ne réaliserai pas, c'est d'aller dans l'espace ; mais c'est bien aussi d'avoir dans la tête des choses qui resteront des rêves.

Allez-vous de nouveau courir ?
De moins en moins, et seulement si je suis invitée sur un bateau. En fait, je crois avoir un peu fait le tour de ce qui m'intéressait avec les quatre tours du monde. Maintenant, j'ai envie de naviguer en prenant mon temps pour découvrir des lieux et des gens.

J'ai lu que vous aviez chaviré loin au large ! Est-ce terrorisant ? Q'est-ce qu'on retire d'une telle expérience ?
J'ai chaviré deux fois : une première fois, le bateau a fait 360 degrés et j'ai attendu quatre jours les sauveteurs. Une autre fois, le bateau est resté à l'envers et c'est un autre concurrent qui est venu me récupérer. Bien sûr, ça n'est pas drôle, mais quand on part faire le tour du monde en solo, on y a beaucoup réfléchi avant. On a pris toutes les précautions pour avoir à bord de l'outillage et des procédures pour s'en tirer. Donc quand ça arrive, on est moins paniqué qu'un plaisancier normal.

Lors d'un chavirage et en dehors de la préoccupation omniprésente de son bateau, à quoi pense-t-on lorsque le bateau ne se redresse pas ? Comment gère-t-on cette situation, éloignée de tout ?
On est vraiment focalisé sur la survie du bateau qui signifie sa propre survie. Ce n'est pas le moment d'avoir trop d'états d'âme. J'ai essayé de penser le moins possible à mes proches pour ne pas avoir en plus le cafard, et de rester positive dans ma tête en imaginant toutes les solutions pour m'en sortir.

"Le seul rêve que je ne réaliserai pas, c'est d'aller dans l'espace ; mais c'est bien aussi d'avoir dans la tête des choses qui resteront des rêves."

A vous voir aussi sérieuse dans la webcam, vous êtes très loin des clichés classiques de la navigatrice en solitaire. Mais, de nos jours, concilier course et liberté ne demande t-il pas à être chef d'entreprise pour boucler les budgets ?
Oui et tout cela est bien sérieux. Les moments où je m'éclate le plus sont bien sûr sur l'eau, et à terre avec mes potes. Un ordinateur n'est pas pour moi le comble de la convivialité, si je pouvais je préférerais vous parler en direct.

Si vous deviez modifier votre parcours sportif, que changeriez vous ?
Je ne crois pas avoir un parcours réellement sportif dans le sens où je n'ai pas décidé à 16 ans de faire carrière dans la voile. Ce que j'ai fait en course, je l'ai fait plus pour le bonheur, et c'est pour cela que je m'en éloigne aujourd'hui sans problème pour aller vers d'autres bonheurs. Si j'avais voulu faire vraiment une carrière de course au large, j'aurai dû faire plus de dériveur et sans doute une PO (Préparation Olympique), et enchaîner les Figaro pendant une dizaine d'années, c'est ce qui permet d'être au top aujourd'hui.

Qu'aimeriez-vous faire si vous ne pouviez plus naviguer ?
Continuer à me promener sur la planète, à pied, à cheval... Et surtout continuer à aller là où peu de gens vont, parce qu'on y trouve encore matière à réflexion et à alimenter la réflexion commune. Ce qui me fout le plus le bourdon, c'est que tout le monde soit standardisé.

Quel projet poursuivez-vous avec ce départ en Antarctique ?
Faire connaître ce continent qui est non seulement indispensable à notre vie, peu de gens le savent, mais porteur d`idées nouvelles et de découvertes. Savez-vous que c'est le seul lieu du monde qui n'appartient à aucun pays et qui est déclaré "Terre de Science et de Paix" (depuis 1991, et pour 50 ans). On aimerait bien que cela s'applique ailleurs, non ?

Avez-vous vu des évolutions dans le milieu maritime, raréfaction de certaines espèces ?
Au regard de mes petites navigations, c'est difficile à dire car les évolutions portent sur de grands phénomènes et c'est d'ailleurs pour cela qu'elles sont dangereuses. Je ne peux pas dire que j'ai observé de changements notables du climat ou des espèces. Mais 1/4 de degrés d'augmentation de la température de l'eau, cela ne se voit pas et pourtant, c'est très grave.

Appréhendez-vous votre départ ?
Tous les marins appréhendent de partir même s'ils en rêvent ! L'Antarctique est un endroit un peu dangereux à cause de la glace. J'ai donc beaucoup travaillé sur le bateau pour le préparer et nous partons à six dont trois marins confirmés qui connaissent déjà le coin. Alors j'espère que tout se passera bien.

En tant que spectatrice de la nature, faites-vous parfois des photos que vous faites ensuite admirer à votre famille ou vos amis ?

Je ne suis pas très bonne pour les photos ou les films, je suis plutôt quelqu'un de l'oral et de l'écriture, donc j'écris par exemple un livre sur Kerguelen qui va sortir en avril, ou un spectacle d'histoires maritimes que je joue avec un copain musicien, et puis les chroniques de France Inter où j'essaye de faire partager ce que j'ai vu.

Le prix d'un bateau devient vite prohibitif pour un ménage normal. Pensez-vous que l'on verra à l'avenir des bateaux à très bas prix, construits par exemple en Chine ?
Sûrement. Il n'y a pas de raison. Vous pouvez aussi le construire vous-même, ce n'est pas si compliqué et c'est un vrai plaisir.

"Naviguer n'est pas une question d'argent, c'est une question de bonheur à être sur l'eau et ça, c'est gratuit."

Les grands yachts de luxe font-ils rêver la grande navigatrice que vous êtes ?
Pas vraiment plus que n'importe quel autre bateau. Certains vieux gréements de luxe sont magnifiques et sont de très bons bateaux, mais naviguer n'est pas une question d'argent, c'est une question de bonheur à être sur l'eau et ça, c'est gratuit.

Justement, à propos de "Damien", pourrions-nous mobiliser les personnalités de la voile pour éviter à ce canot légendaire de pourrir ? Le 45ème anniversaire du salon nautique (de Paris) serait une bonne occasion. Qu'en pensez-vous ? Qui contacter pour agir s'il est encore temps ?
Je connais bien l'histoire puisque le bateau est dans un chantier à 1 km de chez moi. Malheureusement, il est dans un tel état que je ne suis pas sûre qu'il soit encore temps, car si on refait tout, ce n'est plus "Damien". Le meilleur hommage à lui rendre est sans doute de bien naviguer nous-même et de respecter la mer.

Regardez-vous Thalassa ?
Je n'ai pas la télévision.

Vendée Globe, Route du rhum, Figaro ? Allez, encore un petit défi ? Si c'était le cas, plutôt en solitaire ou en équipage ?
Si c'était le cas, mais ça ne l'est pas, je me mettrais plus à l'équipage. Je crois que j'ai bien vécu le solo et que je pourrais passer à autre chose, d'autant qu'à presque 50 ans, je suis plus efficace à une table à cartes qu'à tirer sur une drisse d'un bateau de course. Donc, j'accepte avec plaisir des postes de navigatrice ou de météo sur des équipages. Mais en fait, je préfère ce que je fais en ce moment : musarder sur la planète bleue.


» Biographie d'Isabelle Autissier Lire

 
 Adeline KAYSER, L'InternauteMer & Voiles
 
Magazine Mer & Voile
Envoyer | Imprimer
Haut de page
 
 
newsletter
Mer & Voile Voir un exemple
Photo numérique Voir un exemple
L'Internaute Voir un exemple
Toutes nos newsletters