"La chasse n'est pas la seule menace qui pèse sur la baleine, même si c'est la plus médiatisée"

"La chasse n'est pas la seule menace qui pèse sur la baleine, même si c'est la plus médiatisée" Chartier, directeur de la campagne pour les baleines chez Greenpeace, a répondu aux questions sur les menaces qui pèsent sur le cétacé.

Le tourisme peut-il sauver les baleines ?

On peut dire qu'il y a une vraie économie du tourisme de la baleine, ce qu'on appelle le "whale watching". Si on prend le cas de l'Islande, le potentiel économique du "whale watching" est nettement plus important que celui de la chasse baleinière.

Dans l'implication de pays comme l'Australie ou la Nouvelle Zélande, dans la lutte contre la chasse baleinière dans l'Antarctique, l'importance du "whale watching" n'est pas négligeable. Il y a une réelle économie de la baleine.

Y a-t-il des cétacés qui ne sont pas encore être menacés d'extinction ?
Le problème est moins le risque d'extinction de telle ou telle espèce, même s'il existe. Le problème principal, c'est un ensemble de menaces sur des écosystèmes, dont les baleines ou les autres cétacés font partie. Si on veut protéger ces écosystèmes marins, il ne faut pas raisonner espèce par espèce sur la quantité qui reste ou pas, mais raisonner de manière globale sur des écosystèmes, la pression de la surpêche, le réchauffement climatique....

La baleine bleue est-elle inexorablement appelée à disparaître ?
Si on prend les choses en main, rien n'est inexorable. Mais en mettant en place une vraie logique de protection de l'ensemble des cétacés, on peut espérer que les stocks se régénèrent. Une des pistes à suivre est la création des réserves marines, en haute mer. Ce sont des zones extrêmement vastes et l'objectif est d'arriver pour les baleines à ce qu'on pourra appeler un retour à l'époque "d'avant la chasse industrielle".

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François Chartier © Marie Bruggeman / L'Internaute Magazine

Savez-vous dans quelle proportion la chasse japonaise est responsable de la disparition des baleines ?
La chasse industrielle à la baleine, n'est maintenant pratiquée que par les Japonais, les islandais et les norvégiens. Elle est à l'origine de l'effondrement massif des stocks de baleines et de mammifères marins... Aujourd'hui la chasse à la baleine japonaise n'est plus la principale menace sur les espèces, mais en revanche, tuer dans l'Antarctique quelques dizaines d'individus d'un même groupe peut amener à la disparition de petits groupes de populations.
 

Ne risque-t-on pas de bousculer la sensibilité japonaise en leur interdisant la pêche à la baleine, qu`ils disent inscrite dans leurs traditions ?
Les questions de sensibilité nationale jouent un rôle énorme dans le problème de la chasse à la baleine, mais il y a quelques éléments à rectifier : ce n'est pas de l'extérieur qu'on impose aux Japonais. Le moratoire sur la chasse commerciale à la baleine qui date de 1986, a été décidé dans le cadre de la CBI (Commission Baleinière Internationale), à laquelle le Japon appartient.

Pour la question des traditions, il existe une chasse baleinière côtière traditionnelle au Japon, comme dans beaucoup d'îles du Pacifique et dans les régions arctiques. Cependant lorsqu'on parle du programme de chasse japonais dans l'Antarctique, il date des années 1930, c'est une chasse purement industrielle, qui est pratiquée à 10 000 km des côtes japonaises.

Est-il possible de soigner une baleine harponnée ?
Ca dépend évidemment de la blessure. Ce qu'il faut voir avec cette question, c'est que les harpons utilisés sont des harpons à tête explosive, qui explosent à l'intérieur de la baleine, alors que c'est censé être un programme scientifique...

La commission baleinière tend-elle plus vers un organisme de protection de la baleine ou vers un regroupement de pays pros-chasse ?
On est au cœur du débat actuel sur l'évolution de la CBI, avec ce que les pays pros-chasse appellent un processus de normalisation, c'est à dire une CBI dont la vocation est de se partager une ressource économique entre pays chasseurs et c'est cette approche que l'on retrouve dans l'ensemble des organismes régionaux de gestion des pêches et qui accompagne espèce après espèce l'effondrement de l'ensemble des ressources marines.

L'autre approche, c'est ce qu'on appelle un processus de modernisation de la CBI, pour qu'elle devienne une structure de protection dédiée à la protection des cétacés.

Adopter le principe de précaution, soit arrêter le programme scientifique létal, revient à interdire la chasse scientifique et à mettre en place une approche écosystémique et non espèce par espèce ou stock par stock. C'est cette approche que préconisent évidemment les ONG, dont Greenpeace.

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François Chartier © Marie Bruggeman / L'Internaute Magazine

Beaucoup d'associations œuvrent pour la sauvegarde des espèces, sont-elles efficaces ou au contraire leur nombre n'est-il pas nuisible à une stratégie mondiale cohérente. Si une telle stratégie existe comment se nomme-t-elle ?
Ce n'est pas à Greenpeace de juger le travail des autres ONG, il y a des approches et des cultures différentes. Certaines sont plus proches de la protection du bien-être animal, d'autres sont dans un mouvement écologiste plus politique. Ceci dit, il n'y a pas de stratégie concertée et même s'il est indispensable qu'il y ait une mobilisation internationale qui passe par ces ONG, il faut qu'il y ait une évolution des mentalités et du rapport de forces au Japon.

Quelles sont les actions de Greenpeace sur le terrain pour préserver les baleines ?
Quand on parle d'actions sur le terrain, on pense le plus souvent en Antarctique pendant la saison de chasse japonaise. Dans ce cas là il s'agit de trouver la flotte, qui est composée d'un navire usine et de plusieurs navires plus petits qui sont harponneurs, généralement aussi accompagnés d'un navire ravitailleur. Après cela, il s'agit de s'interposer pour empêcher physiquement les harponneurs d'atteindre les baleines. Ce qu'il faut préciser c'est que ce que Greenpeace appelle l'action directe non violente, même si elle est souvent spectaculaire, est évidemment toujours non violente.

Autre exemple, cette année la simple présence de l'Esperanza dans le sillage du navire usine japonais a permis d'empêcher l'ensemble de la flotte de pêcher pendant une quinzaine de jours. Tout ce travail en mer, s'accompagne d'un travail de communication et de lobbying, partout où Greenpeace est présent.

Y aura-t-il assez de krill pour tous les animaux qui s'en nourrissent ?
Ce sont les nouvelles menaces qui pèsent sur l'ensemble des cétacés. Le problème c'est que le développement de la surpêche du krill est beaucoup plus rapide que l'évolution des connaissances sur cette question.

Il y a de plus en plus de navires usines géants, qui ratissent les eaux de l'Antarctique. Le krill pêché a pour destination l'industrie de l'aquaculture des pays développés. Le problème majeur de l'aquaculture, c'est qu'il faut souvent plusieurs kilos de poissons sauvages pour arriver à un kilo de poisson d'élevage.

Les sanctuaires qui existent sont-ils bien protégés ?
C'est un premier pas. Pour le sanctuaire de l'Antarctique, au sud de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande, on n'empêche pas la flotte dite "scientifique" japonaise d'y opérer. Si on prend l'exemple du sanctuaire Pélagos entre la France, l'Italie et la Corse en Méditerranée, il s'apparente davantage à une boîte vide. En revanche, la notion de sanctuaire ou d'aire marine protégée va dans la direction de la mise en place de réserves marines dans laquelle la protection doit être respectée.

Dans combien d'années pensez-vous inverser le phénomène de disparition des baleines ?
Si on projette l'état des menaces qui existent sur les écosystèmes marins, dans l'avenir, on va clairement à la catastrophe. On peut rappeler l'étude du biologiste américain Boris Worm, qui estime qu'en 2048 il n'y aura plus que des méduses dans les océans, si on continue avec le même niveau de surpêche.

Les solutions existent, c'est juste une question de volonté politique.

En revanche, rien n'est désespéré non plus. Les solutions existent, c'est juste une question de volonté politique.

Par exemple, le programme de chasse scientifique japonais ne correspond même plus à une économie de la viande de baleine. La viande finit de plus en plus dans des entrepôts, stockée.

Seriez-vous d'accord pour dire qu'il ne faut plus de commerce par voie maritime ?
Il y a un lien entre le commerce maritime et les menaces pesant sur les baleines. L'explosion du trafic maritime et le nombre de collisions souvent mortelles avec les cétacés a fortement augmenté, le développement des technologies comme les sonars multi-fréquentiels sont également une menace pour l'ensemble des cétacés et c'est pour cela que la CBI ne doit pas s'occuper que de chasse, mais de l'ensemble de ces menaces qui pèsent sur les cétacés.

Vous soulevez la question des élevages de poissons, aussi nocifs que les élevages sur terre. Pourquoi ne promouvoir le végétalisme ?
Il ne faut jamais oublier que pour 30 % de la population sur Terre, le poisson est la seule source de protéines, comme c'est le cas en Afrique. Si pour nous, c'est devenu un choix gastronomique, ce ne sont pas les choix individuels qui régleront des problèmes globaux.

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François Chartier © Marie Bruggeman / L'Internaute Magazine

La chasse à la baleine, la pollution, les marées noires, les ailerons de requins, le thon rouge, les phoques chassés, le monde est-il de plus en plus fou ou les médias sont-ils de plus en plus sensibles à ce qui se passe dans l'Océan ? Qu'en pensez-vous ?
A force d'essayer de sensibiliser, de mobiliser... les mentalités évoluent sur les questions d'environnement et sur les problématiques concernant les océans, malheureusement pas assez !

Combien d'espèces de baleines sont menacées en ce moment ?
La question est moins de savoir espèce par espèce avec une évaluation quantitative laquelle est la plus ou la moins menacée, la question est d'avoir une approche écosystémique. C'est l'ensemble de l'écosystème qu'il faut protéger d'un ensemble de menaces. On ne cherche pas à protéger les baleines car elles sont plus attachantes que les méduses, mais comme pour le cas du thon rouge ou de la morue, ce sont les grands prédateurs qui sont finalement en première ligne.

Que peut-on faire à notre échelle ?
Arrêter de manger de la viande de baleine !

Plus globalement sur la question de la protection des baleines, ce n'est pas un enjeu majeur en France, mais plus la mobilisation internationale est grande, plus les mentalités évolueront au Japon et par ailleurs, il faut de plus en plus faire attention aux types de poissons qu'on mange en fonction des saisons de reproduction, de la manière dont le poisson a été pêché, sa légalité...

De la même manière que nous pouvons être sensibilisés au problème de la protection des baleines par voies médiatiques, les japonais n'ont ils pas les mêmes informations que nous ? Les plus jeunes d'entre eux ne sont-ils pas plus sensibles au problème (via internet par exemple) ? Est-ce réellement une histoire de traditions ou de gros sous ? La viande de baleine pour les japonais, est-ce un luxe ou un plat "classique" ?
Les médias au Japon sont clairement plus favorables à la chasse baleinière, de même que globalement l'ensemble des dirigeants politiques. Mais il est vrai aussi que les mentalités évoluent "un petit peu". La question de l'argent joue souvent un rôle dans cette situation, d'une part le fait que la viande de baleine ne soit plus un marché qui n'est plus preneur pour ce type de produits dans la population, fait que le programme de chasse dans l'Antarctique est financé par le contribuable japonais. D'autre part, la "mauvaise image" que donne le sujet de la chasse à la baleine, en particulier dans certains pays anglo-saxons, commence à inquiéter les milieux économiques japonais. Il y a eu des campagnes de mobilisation contre des sociétés comme Canon, qui n'a pas voulu s'opposer au programme de chasse à la baleine.

Cette évolution commence à entraîner une contestation au Japon par certaines élites économiques et politiques du programme de chasse, qui commence à être "embarrassantes".

Est-ce que vous pensez réellement que l'initiative appartient aux consommateurs ? Ne pensez-vous pas que cette reconnaissance doit être réalisée plus en amont ? (Politiques, chasseurs)
Il faut une mobilisation du public, des acteurs économiques et politiques.

La lenteur de la CBI ne sera-t-elle pas fatale à certaines espèces ?
C'est autant la lenteur de l'évolution de la CBI qui pose problème, que l'impasse politique dans laquelle elle est depuis une vingtaine d'années. On est dans une situation où les pros-chasse et anti-chasse sont face à face et la situation est bloquée.

Comment pensez-vous impliquer le public européen qui n'est pas directement impacté par cette situation ?
La chasse à la baleine n'est pas la seule menace qui pèse sur ces espèces, même si c'est la plus médiatisée.

Plus près de chez nous, l'augmentation du trafic des ferries pour le tourisme en Méditerranée, la pollution par les sacs plastiques qu'on oublie sur la plage en vacances sont aussi des menaces réelles et peut être plus proches que la chasse dans l'Antarctique.

Quels sont les arguments des pros-chasse?
En toute objectivité, l'argument principal de ceux qui sont favorables à un retour à une chasse commerciale, c'est qu'une chasse avec des quotas très faibles pourrait être durable. Mais la question, c'est pour quels débouchés, quelle économie ? Et on voit très clairement que le mode de gestion par quotas ne fonctionne pas. On l'a vu avec la morue de Terre-Neuve et le thon de Méditerranée...

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François Chartier © Marie Bruggeman / L'Internaute Magazine

Y a-t-il plus urgent dans l'océan que d'arrêter le Japon de chasser la baleine ?
Effectivement et malheureusement la crise des écosystèmes marins est majeure et c'est toujours un peu bizarre d'arbitrer ce qui est le plus urgent. Si on parle des baleines, il est indispensable que le programme de chasse japonais dans l'Antarctique s'arrête, mais aussi que dans le cadre de la CBI par exemple, l'ensemble des menaces qui pèsent sur les cétacés soit pris en compte pour la mise en place de vraies politiques de protection.

Plus largement, avec le niveau de surpêche actuel dans l'ensemble des océans, c'est la grande majorité des stocks que nous mangeons qui sont menacés d'effondrement. Des techniques de pêche comme le chalutage de fond sont en train de transformer le fond des océans en un véritable désert.

Mais encore une fois, il existe des solutions et le problème est avant tout celui du choix politique. Par exemple, le partage du "gâteau" européen qui a lieu tous les ans pour déterminer les quotas montre bien que les égoïsmes priment au niveau des décisions gouvernementales.

Il faut donc mettre en place au plus vite un vrai réseau de réserves marines. Pour Greenpeace, ce sont 40 % des océans qui doivent être protégés. Et enfin, il faut une vraie gouvernance face à l'ampleur de problèmes comme la pêche pirate, la pollution en mer...