Dossier
 
Décembre 2007

"Paris est devenue une ville pour "rupins" très "oseillés"!"

Claude Dubois est journaliste et historien de Paris. Dans son dernier livre "Je me souviens de Paris", il revient sur le passé populaire de la capitale. Il a répondu en direct aux questions des lecteurs lors d'un chat.
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Photo © Marie Bruggeman/L'Internaute
 
"Dans ce Paris-là,
les vieilles rues mal éclairées et les vieilles baraques calamiteuses créaient
une ambiance poétique qui nous enchantait"

Comment l'idée du livre "Je me souviens de Paris" est-elle née ?

Cette question du Paris populaire revient souvent. Les plus vieux disent que Paris est fini... Les plus jeunes que, encore à Belleville ou Ménilmontant, ce Paris-là existe encore... Bref ! Mon éditeur m'a un jour demandé : "C'était quoi, le Paris populaire?" Mon livre tâche de répondre à ces interrogations.


Existe-t-il encore un Paris populaire ?

En tant que tel, et c'est une première dans l'histoire, le Paris populaire que nous avons connu et aimé n'existe plus... Quelques individualités demeurent çà et là, mais pour combien de temps ? Paris est devenue une ville pour "rupins" très "oseillés"!

Que préférez-vous dans ce Paris dont vous êtes nostalgique ?

Bien sûr, il s'agit du Paris de mon enfance... Les souvenirs embellissent la réalité, parfois... Néanmoins, ce Paris-là, Paname, nous permettait de nous émerveiller. Contrairement à ce que l'on pense, les vieilles rues mal éclairées, les vieilles baraques calamiteuses créaient une ambiance poétique qui nous enchantait. Le menu peuple était davantage à tu et à toi... Le terme de "convivialité" était inconnu au bataillon, mais, entre eux, les gens étaient plus spontanés dans leurs propos et dans leurs actes : quand quelque chose déplaisait, en deux coups les gros, un coup de poing réglait l'affaire... Quitte à aller boire un gorgeon après ! C'était ça, Paname !

 

Pouvez-vous nous expliquer d'où vient le surnom "Paname", donné à Paris ?

Dans le livre, je tente d'expliciter les différents petits noms qui, au cours des siècles, ont désigné Paris : Parouart, au XVe, employé par François Villon, Pampeluche, au début du XIXe, qui apparaît chez Vidocq, Pantin, au XIXe, qu'utilise Victor Hugo, Pantruche, au XIXe, argot de Pantin, qu'on entend dans les chansons de Bruant, la Grand'Ville, qui existe depuis longtemps, et, enfin : Paname. L'origine de "Paname" est claire et obscure. Panama, le scandale de Paname ont eu leur mot à dire. Alors, un paname était un chapeau porté par les élégants... Paname a pu signifier la ville des élégants puis, à cause du scandale, la ville du chatoiement, des illusions et des désillusions... En tout cas, c'est pendant la guerre de 14 que le terme, qui s'employait déjà aux dires du linguiste Albert Dauzat, a pris son essor. "Tu le r'verras, Paname !" est le titre d' une chanson de 1916 ou 17. Après l'Armistice, on ne dit plus "Pantruche", mais seulement "Paname". A ce moment, Francis Carco écrit un recueil de fort beaux textes qu'il intitule "Panam" sans "e"... Plus tard, il écrira un roman, "Paname" avec un "e"... Au début, les deux orthographes coexistaient.

"Quand quelque chose déplaisait (...) un coup
de poing réglait l'affaire... Quitte à aller boire
un gorgeon après ! C'était ça, Paname !"


Parlez-vous le patois parisien ? Pouvez-vous nous faire une démonstration ?

Dans le livre, ce que je nomme le "patois parisien" est le langage qui s'utilisait dans le peuple et le bas-peuple avant la Révolution. Je suis viocard, mais pas suffisamment pour jacter ce patois-là ! Exemple : pour dire "J'ai été sa maîtresse", une femme disait : "J'ons été sa toupie"... Alors, à Paris, on parlait quasiment comme à la campagne. A partir des premières décennies du XIXe, ce langage s'est renouvelé. On l'a nommé l'"argot parisien". J'en suis familier et, dans mon bouquin, souvent j'ai raconté des historiettes en argot... Par exemple, feu mon vieux Robert de la Butte aux Radis, Robert Lageat, patron du Balajo, pour faire comprendre qu'il ne fallait pas trop plaisanter sortait : "La main au fion, j' suis pas bon, hein !" Raccourci terrib' qui dit bien ce qu'il veut dire. J'espère que vous n'avez pas la comprenette trop engorgée et que vous avez pigé ! De toute façon, pour terminer, bien amical, je vous serre la quintuplée, la pogne, la paluche, la pince... En parlant de l'argot, Maurice Chevalier chantait, "goualait" : "Vous gênez pas, y a du choix dans les mots : un plume, un pucier, un pageot..." : pour dire un paddock, pardagon… ou tout simplement un lit !

 
Photo © Marie Bruggeman/L'Internaute
 
"J'espère que vous n'avez pas la comprenette trop engorgée et que vous avez pigé !"

Racontez-nous une anecdote amusante sur le Paris de votre enfance.

C'est pas grand' chose comme anecdote. Je lisais "But-et-Club" et "Miroir-Sprint " chaque semaine et j'aimais la boxe : Laurent Dauthuille, Robert Villemain, Ray Famechon et tutti quanti... Un dimanche après-midi, avec mon dab - mon père -, nous étions passés dans le Faubourg Saint-Denis. Au 57, il y avait le Central, un stade où débutaient les pugilistes. Nous sommes entrés et avons vu, sur le ring, de jeunes boxeurs combattre. Une belle femme est entrée. De la poulaille, un gars a lancé : "Mézig, si j'avais une belle poule comme ça, l'dimanche, j'resterais au page avec !"

Je lis avec étonnement dans la présentation de votre livre que des japonais tiraient de la Tour Saint Jacques. J'ai eu l'avantage (relatif !) de vivre la Libération de Paris et ne me rappelle pas cet élément. Pouvez-vous m'en dire plus ?

Il y a une erreur. Je n'ai pas dit que des Japonais étaient à Paris à la Libération et avaient tiré... J'ai dit que mon père m'avait raconté, en me montrant la coupole verte de la Sorbonne, rue Saint-Jacques : "A la Libération, on disait que là-haut, il y avait des Japs qui tiraient". L'écrivain Renzo Bianchini m'avait raconté cette rumeur... Et Robert Doisneau aussi. Dans un journal datant de la Libération, illustré par les photos de Doisneau, il est également question de Japonais. La vérité étant qu'il n'y en a pas eu. Il s'est agi d'un bruit, d'une rumeur qui a circulé en août 1944.

Quels sont les quartiers qui ont subi le moins de changements à Paris ?

Curieusement, il semblerait que les "beaux quartiers", comme l'on disait jadis, aient subi moins de changements. Dans certaines rues marchandes de Passy, par exemple, il continue d'y avoir des bouchers, des "volailleux" - pour volaillers, etc. En revanche, les quartiers du centre, du cœur, du ventre de Paname ont totalement été chanstiqués. Je pense aux Halles où, grosso modo, je suis né, au plateau Beaubourg devenu le Centre Beaubourg. Toutes les maisons n'ont pas été détruites, non... C'est la population qui a été chamboulée ! Rue du Plâtre, la rue de mon enfance, créchaient des marchandes de quatre-saisons, des gens qui bossaient aux Halles. Certes, il y avait des taudis : la rue Aubriot, la rue des Guillemites... En 2007, c'est là que le prix du mètre carré est le plus grisolle, chéro ! Pour la première fois, le populo, le trèpe n'est plus dans Paris et personne ne s'en émeut. Historiquement, il s'agit là d'une immense révolution. Après la démolition des Halles, Louis Chevalier, le grand historien de Paris, professeur au Collège de France disait : "Les années zéro du nouveau Paris ont commencé..." Près de quarante pigettes ont passé depuis lors et Paris pâtit encore de ce chamboumenet. En même temps que ses repaires, Paris a perdu ses repères...

"Pour la première fois, le populo, le trèpe n'est plus dans Paris et personne ne s'en émeut"

 

 
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Paris était-il plus sûr dans les années 1950 ? Plus propre ?

Dire que Paris était plus propre en 1950 qu'en 2007 prêterait surement à discussion. Les maisons étaient souvent calamiteuses, décrépies, lépreuses... Il n'empêche : une poésie s'en dégageait, célébrée par les Carco, Mac Orlan et consorts. Les "intérieurs" étaient ce qu'ils étaient, on se débarbouillait souvent dans la cuisine, les "tartisses" étaient au 3e alors qu'on vivait au 1er, etc. Ceci étant, le confort engendre-t-il automatiquement le bonheur ? A entendre, en 2007, les gens groumer contre la baisse de leur fameux "pouvoir d'achat", il semblerait que non... En 1950, on espérait que le modernisme apporterait beaucoup. Qu'en est-il exactement, près de soixante ans plus tard ? Quant à la sûreté des rues, je pense qu'elle était plus grande autrefois, en 50. La nuit aux Halles, par exemple, un gars qui aurait fauché le sac d'une passante ne serait pas allé bien loin... Les porteurs, les forts l'auraient vite alpagué ! Longtemps, dans le métro, le voyageur ne risquait absolument rien. Je me rappelle un fait-divers au coin de la rue du Four et de la rue de Rennes, une nuit de réveillon de ces années-là. D'un coup de couteau, une sorte de "blouson noir" avait tué un homme avec lequel il s'était pris de bec. Pendant des jours, "Le Parisien libéré" avait disséqué l'affaire. Idem, la nuit, peut-être la même d'ailleurs, du 31 décembre 1959 au 1er janvier 1960. Des bandes de blousons noirs avaient défilé dans Paris et avaient cassé quelques vitrines, peut-être... Mais quelle affaire, le lendemain dans la presse ! Rentrant chez moi, je les avais aperçus alors que je me trouvais au coin de la rue Saint-Martin et de la rue de Rivoli, à la Tour Saint-Jacques, eux étaient au coin du boulevard de Sébastopol... Ce vieux Topol, comme l'on ne dégoise plus du tout...

"En 1950, un gars qui aurait fauché le sac d'une passante ne serait pas allé bien loin !"

 

Détestez-vous le Paris d'aujourd'hui et ses banlieues ?

"Détester" est peut-être un bien grand mot, mais, c'est certain, je préfère le Paname de jadis... Les souvenirs ont une force incroyable chez "mézigo", chez moi, quoi... C'est ainsi.

Quelle personnalité représente le mieux le Parisien ? Et la Parisienne ?

Cette notion de Parisien, de titi de Paname, a disparu aujourd'hui. J'ai la chance de connaître quelques lascars qui sont encore des gavroches, ainsi ce fameux Gilbert de la Butte-aux-Cailles, un ancien lutteur et catcheur, un gars de mon âge... Il y aurait aussi Gérad Bouvet, lutteur et catcheur idem. Lui a un accent parisien à ne pas croire ! Autrefois, il suffisait de monter dans le métro : des Gabin, des Maurice Chevalier "in vivo", il y en avait à la pelle ! Ah ! Au Balajo, ce que j'ai pu rigoler avec Jo Privat, le roi de la boîte à frissons... Il était de Ménilmont' cézig, de Ménilmuche, c'était un prince de la bagoulette, du langage, dirait-on en parler académique... Jo et Robert, le taulier, valaient Ventura et Gabin dans "Touchez pas au grisbi" ! Je vous le certifie, parole d'homme !

 
Photo © Marie Bruggeman/L'Internaute
 
"Dans le métro, des Gabin, des Maurice Chevalier "in vivo", il
y en avait à la pelle !"

Que pensez-vous de l'actuel maire de Paris ?

D'une certaine façon, Bertrand Delanoë poursuit la politique entreprise au temps de Jacques Chirac et de Jean Tiberi. Il est dans une continuité politique. L'embourgeoisement de Paris a commencé à l'époque de Chirac... Aujourd'hui, élections et ré-élections obligent, Bertrand Delanoë fait du clientélisme. Par exemple, la construction du tramway, l'opération Vélib'... Ce qu'il faut, maintenant, c'est offrir des possibilités pratiques aux Parisiens, ou plutôt aux habitants de Paris. On nous parle de crise des matières premières et Paris est illuminé plus que jamais ! A quoi sert-il d'éclairer l'Hôtel-de-Ville, la nuit, sinon à faire augmenter les impôts locaux ? Je suis très négatif, mais à mes yeux, Bertrand Delanoë n'a pas le sens de Paris. Il l'a déclaré d'ailleurs : "Je ne suis pas un poète, je suis un aménageur !" Mon vieil ami Louis Chevalier, trente ans durant titulaire de la chaire d'histoire de Paris aux XIXe et XXe siècles expliquait qu'à Paris, il fallait en faire le moins possible... pour garder à la Grand' Ville son caractère... Paris est une vieille ville et les maires successifs de Paris en font, au contraire, le plus possible, c'est-à-dire le pire ... Même si les Parisiens sont opposés aux tours, je crois qu'un jour, les tours dénatureront Paris encore plus... Hélas ! Mais que faire contre ces Messieurs de la politique?

 

 


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"Je me souviens de Paris" de Claude Dubois
Editions Parigramme, 463 pages, 19 €
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