LIVRE
14/07/2006
Belle du Seigneur, une romance douce-amère
Sous-secrétaire général de la Société des Nations, Solal est beau, énigmatique et d'une intelligence rare. Les femmes tombent toutes sous son charme et le jeune homme souffre d'être aimé aussi facilement et pour sa pure apparence. Il tombe un jour fou amoureux de la femme d'Adrien Deume, un de ses employés de bureau. Noble de naissance, Ariane est mariée à ce vulgaire fonctionnaire carriériste et s'accommode mal à sa nouvelle vie bourgeoise. Aguerri par ce constat, Solal envoie le mari d'Ariane en mission à l'étranger et se présente déguisé en vieillard édenté devant la belle, comptant la séduire par la beauté de son âme. Celle-ci le chasse. Dépité, il se résigne alors à user de ses techniques habituelles de séduction : il se pare de virilité et joue à contrecur la comédie du grand seigneur. Cette fois, la jeune femme se laisse conquérir et joue avec grand plaisir le rôle de la "Belle du Seigneur". Suivent alors des pages flamboyantes décrivant la passion des deux amants. Solal enlève Ariane et ils vont vivre leur passion sur la Côte d'Azur. Mais bien vite, l'idylle tourne à la tragédie. Ariane et Solal étouffent dans cette comédie de passion parfaite qu'ils se jouent l'un à l'autre. De plus, l'illégitimité du couple éloigne les deux héros du monde des hommes et leur relation se détériore, victime de l'antisémitisme montant.
Si l'auteur parle de ses personnages avec beaucoup de tendresse, il ridiculise aussi leurs différents comportements. Qualifié d'antiroman d'amour par certains critiques littéraires, "Belle du Seigneur" démystifie la frivolité d'une société qui, à l'aube de la guerre, favorise le déchaînement des passions, la violence et l'exclusion. Loin d'être pesantes, les quelques 1100 pages de ce roman sont bien souvent désopilantes. Aussi soucieux de séduire son lecteur que son héros, Albert Cohen lisait d'ailleurs ses épreuves à son épouse, rajoutant certaines lignes improvisées au gré de ses réactions, afin de déclencher son hilarité. Le roman sortira prochainement sur les écrans de cinéma, avec dans le rôle d'Ariane, Ludivine Sagnier, et dans le rôle de Solal, Alessio Boni.
Quelques extraits du livre"Angoissée, elle guettait les bruits de moteur, allumait une cigarette pour se donner une contenance, éteignait aussitôt pour ne pas souiller ses dents et son haleine, trouvait fatigant de rester assise, et d'ailleurs ça donnerait un mauvais pli à sa jupe, mieux valait sortir. Sur le seuil, dans la nuit chaude, elle attendait, avec la peur de transpirer, et ce serait affreux car son nez luirait." "Juliette aurait-elle aimé Roméo si Roméo avait eu quatre incisives manquantes, un grand trou noir au milieu ?" "Devenus protocole et politesses rituelles, les mots d'amour glissaient sur la toile cirée de l'habitude." "Un dimanche, alors qu'elle lui téléphonait au Ritz, sa voix s'étant soudain enrouée, elle n'avait pas osé se racler la gorge pour l'éclaircir, de peur du son ignoble qui la déshonorerait, et il l'aimerait moins. Alors, sans hésiter, elle avait brusquement raccroché, avait chassé une famille nombreuse de chats, avait prononcé quelques mots pour s'assurer que sa voix était redevenue divine, avait téléphoné de nouveau et bravement expliqué qu'ils avaient été coupés."
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