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Septembre 2005

"Je n'éprouve pour lui aucun mépris. C'est humainement un vrai sale type"

En rédigeant une biographie de Michel Houellebecq, Denis Demonpion (journaliste au Point) a mis à jour ses mensonges et ses inventions. Il a fait part de ses découvertes lors d'un chat avec les lecteurs de L'Internaute.
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Avouez-le, c'est parce que Michel vous a piqué une petite amie que vous faites ce livre ?
Denis Demonpion Si seulement c'était vrai. Mais il n'aime que les chiens.

Connaissez-vous personnellement Michel Houellebecq ?
Je l'ai souvent croisé. Je raconte dans mon livre la soirée passée dans une boîte des Champs Elysées le soir de la première au cinéma du film "Extension du domaine de la lutte". Epique !

A-t-il réagi à la sortie de votre livre ?
Oui, très longuement. Sur un site dont je peux vous donner les références, dans un texte qui s'appelle "Mourir". A son habitude, il travestit quelque peu les faits, attaque sa mère mais me rend d'une certaine manière hommage en confessant que depuis l`âge de 15 ans, il a toujours ambitionné de se construire un personnage, ce qu'il trouve du reste "pathétique". Je lui ai répondu sur le site du Point.

De l'homme ou de l'écrivain, quelle partie de Houellebecq préférez-vous ?
Sans hésitation l'écrivain, dans l'ordre "Extension du domaine de la lutte", puis "Les Particules élémentaires". "Plate-forme" est plus discutable. "La possibilité d`une île" est un peu long et lent bien qu'ambitieux. Le voyage chez le Prophète (Raël) est fatigant.

Houellebecq est-il un disciple de Raël ?
Au sens où il serait embrigadé, non. Mais en tant que sympathisant sincère, oui. Ce sont deux bons copains qui jouent à la pétanque ensemble.

Est-ce que vous vous êtes autocensuré pour que le livre soit publié ? Quelles ont été vos relations avec votre éditeur ?
"J'ai seulement pris soin de ne pas donner le prénom de son fils et de sa première femme, par égard pour leur tranquillité."
Autocensuré non. Jamais. J'ai simplement axé mon enquête sur Houellebecq que je présente d'une certaine manière en majesté. J'ai seulement pris soin de ne pas donner le prénom de son fils et de sa première femme, par égard pour leur tranquillité. Il y a également deux éléments que j'ai passé sous silence, faute d'avoir pu en parler préalablement avec Houellebecq. Je lui ai écrit que je reste disposé à évoquer ces informations avec lui à tout moment. Ce sont deux points qui touchent trop à son intimité et à celle de ses parents. Quant à mon éditeur, Maren Sell, elle a été épatante de bout en bout car elle a immédiatement cru au projet.

N'avez-vous pas l'impression avec ce livre d'ajouter votre pierre au phénomène Houellebecq ?
Oh la la, quelle pierre ? J'ai simplement voulu décrypter le personnage dans toute son ambiguïté et montrer combien Houellebecq était retors, malin et moins paumé qu'il n'y paraît. Il est même d'une maîtrise stupéfiante. Ce que je démontre.

Comment se fait-il que seuls trois médias aient reçu "La Possibilité d`une île" en exemplaire presse ? D'où viennent leurs privilèges vis-à-vis de Houellebecq ?
Demandez à Fayard et à Houellebecq lui-même. Ce que je sais, c'est que compte tenu des enjeux financiers misés sur Houellebecq, son éditeur ne voulait pas prendre le risque que son roman reçoive un mauvais accueil. L'idée était donc d'en confier la primeur à des journalistes de confiance qui auraient donné le la. Une entreprise de marketing que je juge totalement foireuse.

Vous avez l'air très cinéphile. Trouvez-vous les écrits de Houellebecq cinégéniques après l'échec du film "Extension du domaine de la lutte" ?
J"aime bien le cinéma, le noir et blanc, Chaplin, Fellini, etc. "Extension du domaine de la lutte" n'était pas à proprement raté, mais trop confidentiel, il faut bien le dire. Attendez que Houellebecq adapte "La possibilité d'une île" pour juger de son talent en la matière. Il a là-dessus de grandes ambitions.

"c'est le seul écrivain qui se soit imposé par la force des thèmes actuels"
Quel est votre sentiment profond vis-à-vis de Houellebecq en tant qu'homme ? Peur, fascination, mépris... ?
Je le dis en exergue de mon livre citant Shakespeare : "c'était un homme, prenez-le pour ce qu`il est". Il ne me fascine pas, ni ne me fait peur. Je n'éprouve pour lui aucun mépris. C'est humainement un vrai sale type qui use du roman pour déverser sa haine, qui est son carburant. J'ai de la sympathie pour le malheur qui est le sien de ne pas avoir été embrassé comme il l'aurait souhaité par sa mère. De là à transformer cette carence affective en dégoût généralisé, je dis non. Je trouve les femmes plutôt belles et ne les vois pas comme des pétasses, ainsi qu'il le clame.

Pensez-vous vraiment qu'il est le symbole de la littérature postmoderne comme vous l'indiquez dans votre livre ?
En tout cas, c'est le seul écrivain qui se soit imposé par la force des thèmes actuels qu'il a abordés à bras le corps : le racisme, l'eugénisme, la manipulation génétique, la misère sexuelle, ou encore le capitalisme sauvage et brutal qui laisse pas mal de monde sur le carreau.

Combien de temps de travail pour ce livre ?
J'ai signé le contrat d'édition le 29 juin 2004. Fin février 2005, l'économie du livre était achevée. Il était écrit. Je n'avais que quelques retouches à y apporter ici et là pour le rendre plus fluide, plus clair, plus articulé.

Quel est selon vous le côté le plus passionnant dans la rédaction d'une biographie ?
Dans le cas de Houellebecq, l'enquête a été passionnante. La rencontre avec les 130 personnes qui l'ont connu à un moment donné m'est apparue comme une mine. Ensuite, la rédaction-même était très stimulante, le défi étant d'approcher au plus près l'artiste et d'en montrer aussi précisément que possible la complexité et la malice.

Et pourquoi pas une enquête sur Amélie Nothomb ? Moins attrayante ? Le challenge était moins palpitant ?
Je dois confesser que les livres d'Amélie Nothomb me font passer un bon moment, très court, mais très vite oublié. J'ai le sentiment qu'elle manque d'épaisseur. Peut-être que je me trompe.

Vous êtes vous fait des ennemis ?
Jamais durables. Il y a eu pas mal de pressions de la part du cercle rapproché de Houellebecq avant parution, mais depuis que mon livre est sorti, ils se sont calmés en réalisant qu`il y avait un réel travail sans a priori et sans hostilité gratuite, même si tout ce que j'écris n'est pas forcément bon pour l'icône que les médias ont fait.

Un écrivain a-t-il le droit de tout dire ?
Oui. Cent fois oui. Encore faut-il qu'il ait du talent. Il y a quand même beaucoup de romans nuls, non ?

Aimeriez-vous qu'on écrive un livre sur vous ?
Pourquoi pas ? Ca ne me gênerait aucunement. Et si l'auteur en question sollicitait un entretien, je l'accorderais. Pas comme Houellebecq avec son goût stalinien du contrôle et des notes en bas de page.

Pensez-vous que des zones d`ombre subsistent autour de Houellebecq ? Des choses que vous n'avez pas réussi à expliquer ?
Sans doute. J'apporte des éléments. Un entretien avec lui m'aurait permis d`aller encore beaucoup plus loin sur son mépris de l'humanité et sa misanthropie.

Quelles sont vos relations avec Houellebecq ?

Nous nous sommes écrits. Il a répondu à mon enquête par Internet. C`est un homme moderne qui refuse le close contact. Quel dommage ! Je suis plutôt favorable au tête-à-tête.

Houellebecq n'est-il pas surtout un professionnel de la communication ? (interview exclusives, etc...)

Absolument. Il en connaît toutes les ficelles.

Selon vous, être un écrivain provocateur est-il un exercice de style ?
"Ca sent parfois le Houellebecq marketé, mais il y a des fulgurances. Ce n'est clairement pas son meilleur roman."
Houellebecq n'est pas que provocateur. Il aborde des sujets d'actualité qui secouent la société actuelle et manifeste une préoccupation réelle pour la civilisation occidentale agonisante dont il voudrait précipiter la chute comme un sale gosse qui s'en amuserait.

Je n'ai pas lu le dernier Houellebecq, quel est votre avis sur ce livre ? Pourquoi tant de bruit autour ?
C'est ambitieux. Bien construit. Les chapitres alternent entre naturalisme et science-fiction, ce qui n'est pas évident. Ca sent parfois le Houellebecq marketé, mais il y a des fulgurances. Ce n'est clairement pas son meilleur roman. Les critiques les plus favorables disent d'ailleurs qu'il faut se forcer pour aller jusqu'au bout. Et puis son affection exclusive pour Fox, qui n'est autre que son chien Clément dans la vie réelle, me bassine.

Si vous étiez en face de lui, qu'aimeriez-vous lui dire ?
On en aurait pour deux jours car je commence à le connaître. N'étant pas confit en dévotion devant lui, je lui poserais de nombreuses questions sur son enfance, ses relations avec ses parents, la manière dont il s'est extrait de la vie pour se bâtir et nous apparaître tel qu`il est, et je l'interrogerais sur la littérature. Ce que les journalistes font trop peu. On ne sait pas, par exemple, ce qu'il connaît de Céline, à quel âge il l'a lu, etc...

Quels sont vos auteurs favoris?
Shakespeare, Flaubert, Balzac, Samuel Beckett, Beaumarchais, Dostoïeveski.

D'un point de vue médiatique, y a-t-il déjà eu un écrivain aussi controversé selon vous ?
Céline, en son temps, avait réveillé le microcosme littéraire mais pas comme Houellebecq car il n'avait pas la connaissance et l'expérience des médias et de l'utilisation de l'image qu'en a notre contemporain.

Comment faites-vous pour admirer un écrivain qui ne vous inspire aucune sympathie ?
Vous savez, j'aime beaucoup lire Céline. Le "Voyage au bout de la nuit" m'arrache des rires formidables. Mais je n'aurais pas souhaité rencontrer le personnage qui était dégueulasse, radin, etc. Arletty m'a raconté que lorsqu'elle allait le voir à Meudon avec ses perroquets et ses feuilles manuscrites qui séchaient sur un fil à linge, il n'offrait que du thé et des gâteaux secs. Un homme qui n'avait pas de besoin.

Pourquoi avoir choisi Houellebecq comme sujet ?

Parce que comme je le raconte dans mon livre, je l'ai souvent croisé. J'ai constaté un décalage entre l'image qu'il donnait et l'air qui était le sien, assez supérieur et méprisant. En 2001, j`ai fait un papier pour Le Point. J'ai alors découvert qu'il n'était pas le lascar qu'il disait être dans les entretiens complaisants qu'il accordait.

Et s'il n'était pas que provocateur et tout simplement très visionnaire ? "Plate-forme" était d'un réalisme terrifiant non ?
Visionnaire, il ne faut pas exagérer. Disons qu'il a du flair. C`est vrai que l'attentat à la fin de "Plate-forme" était assez bien vu avant les attentats de Bali. De là à dire que demain nous serons tous clonés, il y a un pas que je ne franchirai pas.

Ne pensez-vous pas qu'il y a des sujets plus intéressants dans le monde que Houellebecq ? N'est-ce pas un non-événement ?
"la lâcheté veut qu'on puisse dire n`importe quelle saloperie sur les morts"
Je trouve pour ma part que l'arrivée de Houellebecq dans le paysage littéraire somnolent ne manquait pas de sel. Il le démontre d'ailleurs roman après roman. Ce n'est donc pas un non-événement, même si la machine médiatique s'emballe un peu.

Avez-vous lu tous les autres livres qui sont sortis sur Houellebecq ?
Je dois confesser que non. Les pamphlets m'ennuient. Et je préfère toujours l'original aux interprétations. C'est pourquoi je relirai volontiers Houellebecq plutôt que l'avis de tel ou tel.

N'est-il pas plus respectueux d'attendre qu'un écrivain soit mort pour mener une enquête aussi poussée que la vôtre?
Ne trouvez-vous pas qu'on s'occupe beaucoup trop des morts et pas assez des vivants ? Qui plus est, la lâcheté veut qu'on puisse dire n'importe quelle saloperie sur les morts qui ne peuvent pas répliquer. Je préfère les vivants, de loin.

Pourquoi écrire un livre sur Houellebecq ? N`est-ce pas donner trop d'importance au personnage ?
Non. Car à la lecture de ses romans, c'est tout de même un écrivain qui pose un diagnostic de la civilisation assez nette.

Que pensez-vous de Maurice Dantec, lui aussi très ambigu ?
Le pauvre Dantec, j`ai débattu lundi avec lui sur Inter, je l'ai trouvé assommant. Il est un peu vaseux, très parano, écrit des bouquins au kilomètre qui mériteraient d'être relus par son auteur avant publication.

Vous n'avez pas l'impression de profiter du succès de Houellebecq ?
Sachez que lorsque je me suis lancé dans cette aventure, j'ignorais si Houellebecq publierait. C'est en cours de route que mon éditeur a appris l'existence de "La possibilité d`une île". J`ai travaillé vite, simplement pour éviter d'avoir des bâtons dans les roues. Ce qu'ils ont tenté de faire. Qui peut dire que mon bouquin aurait marché ? J'aurais pu complètement me planter, non?

Houellebecq a-t-il lu votre livre ?
Des extraits pour sûr, puisqu'il me répond très précisément sur certains points. J'imagine que malgré tout, il a dû chercher à savoir ce que ses anciens copains disaient de lui, ses parents aussi. Ce qui ne peut que lui éviter d'avoir à faire une psychanalyse. Au lieu de séances à des prix exorbitants, il a mon bouquin pour 20 euros. C'est donné, avouez.

Lire aussi l'article sur "Houellebecq non autorisé. Enquête sur un phénomène'
 
 Aude Chardenon, L'Internaute
 
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