Professeur agrégé de Lettres Modernes, Jean-Pierre
Siméon enseigne longtemps à l'IUFM de Clermont-Ferrand,
et y crée en 1986 la "Semaine de la Poésie".
Fondateur du festival "Les Langagières" à
la Comédie de Reims, il est aussi auteur associé
au Théâtre National Populaire de Villeurbanne
et membre de la commission poésie du Centre National
du Livre. Chargé du théâtre à la
mission pour l'Art et la Culture du Ministère de l'Education
Nationale, il participe aux comités de rédaction
de plusieurs revues et dirige avec Jean-Marie Barnaud la collection
"Grand Fonds" à Cheyne Editeur. Auteur d'une
vingtaine de recueils de poésie, son oeuvre poétique
lui a valu le prix Théophile Briant en 1978, le prix
Maurice Scève en 1981, le prix Antonin Artaud en 1984
pour "Fuite de l'immobile" et le prix Guillaume
Apollinaire en 1994 pour "Le sentiment du monde".
Comment est venue cette idée d'instaurer un "Printemps
des Poètes" ?
L'idée première est celle de Jack Lang et d'Emmanuel Hoog
(actuel président de l'ENA). L'intention était et demeure
de rendre la poésie disponible au grand public, de permettre
à tous de se l'approprier. Un peu comme la fête de la musique.
Cette année est la huitième édition, quel est le
chemin parcouru depuis la première, en quelques mots ?
On peut dire aujourd'hui que nous avons gagné notre pari
pour l'essentiel. Des milliers et des milliers d'initiatives
sont prises à travers tout le pays pendant les 8 jours de
la manifestation (et même au-delà car cela déborde jusqu'en
avril et c'est tant mieux), nous avons convaincu des grands
partenaires de s'emparer de la poésie (La Poste, la SNCF par
exemple) et les médias écrits et audiovisuels font maintenant
un large écho du Printemps des Poètes. La principale satisfaction
pour nous est que les idées sur la poésie sont en train de
changer. Nous avons prouvé, je crois, que la poésie est vivante,
dynamique, qu'elle n'est ni intégrale ni désuète, qu'elle
est le plus souvent lisible pour tous, moyennant sans doute
un effort d'attention, mais comme tous les autres arts.
Quelle est la place d'un poète dans nos sociétés actuelles
?
Le poète incarne toujours (et depuis toujours) dans une
société une volonté de résistance, la passion de tenir la
langue à son plus haut degré d'intensité et de sortir des
représentations obligées, consensuelles de la réalité. La
poésie dissone dans le brouhaha moderne et cette "dissonance"
est capitale : elle dit qu'il y a d'autres façons de voir
et de penser le monde. Notre but est justement que les poètes
retrouvent une présence dans l'espace public : ils manifestent
par leur présence, par l'exigence de leur parole, une contradiction,
une objection à la médiocrité de la société du spectacle et
du divertissement à tout crin. Comme une objection de conscience
!
Sentez-vous un engouement fort vis-à-vis de cette manifestation
?
Oui, et chaque année davantage. Mais cela ne tombe pas
du ciel. L'équipe du "Printemps des Poètes" travaille
chaque jour depuis des années pour informer, susciter, encourager,
conseiller, créer des synergies. Nous nous appuyons sur l'effort
de milliers de "militants" de la poésie, bibliothécaires,
libraires, éditeurs, comédiens, enseignants, et les poètes
eux-mêmes. Le succès prouve une chose : ce n'est pas parce
que les médias ne parlaient pas de poésie qu'elle n'existait
pas. Beaucoup plus de gens qu'on ne le croit n'ont cessé de
s'intéresser à la poésie. Nous contribuons simplement à leur
redonner un droit à l'expression publique.
L'édition 2006 du Printemps des Poètes s'intitule "Le
Chant des Villes", il peut donc y avoir aussi de la poésie
dans les villes ?
Bien sûr, le poésie touche à tous les aspects de l'existence,
à tous les niveaux de la réalité. Rien de ce qui est humain
ne lui est étranger. Depuis l'antiquité, des poètes ont écrit
sur la ville. Pensez à Villon, Baudelaire ou Apollinaire
En
outre, la poésie n'est pas seulement le chant du beau, du
chou, de l'agréable. Elle dit aussi la violence, la révolte,
la misère, la difficulté de vivre. Ce sont peut-être les poètes
qui disent le mieux la réalité remuante des villes.
Qu'elle est la réaction des citadins face à l'irruption
de la poésie un peu partout pendant quelques jours ?
Toutes sortes de réaction, surprise, plaisir, enthousiasme,
malaise parfois, mais jamais l'indifférence. La plupart du
temps les gens sont heureux qu'on leur offre une poésie, ils
le vivent comme un moment de liberté imprévue, ils sont émus,
amusés ou étonnés mais ne se sentent jamais agressés. Le plus
souvent, ils en redemandent !
Le "Printemps des Poètes" ne montre-t-il pas surtout que
la poésie, ce n'est pas seulement des poèmes écrits ou lus,
mais qu'elle peut se décliner de mille façons différentes
?
Oui, sans aucun doute. Mais s'il y a mille façons de transmettre
la poésie, si la lecture orale, le chant, la profération sont
d'excellents moyens de conquérir un public nouveau, je crois
qu'il est toujours bon, au bout du compte, d'en revenir au
livre car il permet une lecture intime, libre, lente : il
permet la rêverie et d' "habiter" le poème, de vivre avec
lui un moment dont on choisit la durée. Plus on propose d'accès
différents comme la poésie, plus on permet à chacun de choisir
selon ses goûts propres, celui qui lui convient.
En savoir plus Le
Printemps des Poètes
|