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 EXPOSITION 
Avril 2006

Rembrandt et Caravage, du drame à la fureur

Comme le clair et l'obscur s'opposent pour mieux se mettre en valeur, Rembrandt le Hollandais se confronte au sulfureux Italien, Le Caravage, et trouve, dans des toiles que rien ne devait rapprocher, d'étranges échos de saints, de drames, de provocation et d'humanité.

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Pratique
Nom : Rembrandt et Caravage
Lieu : Van Gogh Museum, en partenariat avec le Rijksmuseum, Amsterdam.
Tarif : 10 euros, gratuit pour les moins de 18 ans
Date : jusqu'au 18 juin

Sur le Web :
Van Gogh Museum
rijksmuseum.nl

A l'occasion du 400ème anniversaire de la naissance de Rembrandt, le musée d'Amsterdam rapproche les œuvres de ce génie du clair-obscur à celles de Caravage. Plus de 25 tableaux monumentaux, provenant de nombreux musées internationaux, sont réunis pour l'occasion. Les deux peintres ne se sont jamais rencontrés, Le Caravage étant mort quatre ans après la naissance de Rembrandt. S'il est assuré que Rembrandt ne vit jamais l'oeuvre du Caravage, de nombreux parallèles existent entre leurs peintures. Tous deux novateurs dans leur domaine, l'un méridional, l'autre septentrional, ils ont chacun conçu un langage pictural dramatique pour s'exprimer.

Deux vies tumultueuses
Le Caravage, le soufre de la provocation
Michelangelo Merisi, dit Le Caravage, est probablement né à Milan en 1571. Sa vie dissolue, riche en scandales, conserve encore aujourd'hui une réputation sulfureuse. Il grandit à Caravaggio avec sa famille, ce qui lui vaudra son nom d'artiste, avant de s'installer à Rome. Dès ses premières années dans la capitale, il se forge une réputation d'homme violent et querelleur, à la sexualité scandaleuse, fréquentant les bas-fonds et les tavernes. Il est souvent obligé de fuir les conséquences judiciaires de ses rixes et duels.

Vivant dans le dénuement, il copie des tableaux religieux, avant d'être remarqué par le Cardinal Del Monte, qui le met sous sa protection et l'héberge dans son palais. Grâce à cet influent mécène, il reçoit des commandes importantes, notamment pour le clergé. Bien que plusieurs de ses oeuvres soient refusées par leurs commanditaires, jugées trop vulgaires, voire scandaleuses, les commandes continuent à affluer. Toujours aussi bagarreur, il connaît plusieurs séjours en prison et à l'hôpital. Il peint une grande partie de ses tableaux les plus réputés à cette période.

En 1607, suite à une rixe, il tue en duel son adversaire. Il doit alors fuir et commence un long périple en Italie. Rattrapé par sa réputation, il est rapidement jeté en prison et ne doit son salut qu'à son évasion. N'ayant d'autre souhait que de rentrer à Rome, il cherche à obtenir la grâce du Pape. Apprenant que ce dernier serait disposé à la lui accorder, il s'embarque sur un bateau pour se rapprocher de la capitale. Mais, arrêté, il tombe malade en prison, et, relâché, se retrouve seul, perdu et fiévreux. La légende dit que, dépité, il erra sur la plage en plein soleil et finit par mourir dans des conditions mal élucidées.

Rembrandt, l'hécatombe d'une vie
Si Rembrandt n'a jamais quitté sa Hollande natale, sa vie fut néanmoins incessamment ponctuée par des drames. Après avoir été le portraitiste le plus couru d'Amsterdam, et le mari de la riche Saskia Van Uylenburg, il connaît d'abord la mort de leurs trois premiers enfants, peu après leur naissance. Seul son quatrième fils, Titus, survit. C'est ensuite sa femme qui décède de la Tuberculose, en 1642. Il prend alors une nouvelle compagne, qui est peu après emprisonnée dans un asile d'aliéné. Vivant ensuite en concubinage avec sa servante, Hendrickje Stoffels, il a une fille, et reçoit pour cela un blâme de l'Eglise. Endetté, vivant au dessus de ses moyens, il vend sa maison et voit sa renommée chuter. Peu après, en 1663, il subit la mort de sa compagne, avant d'endurer celle de son fils, Titus, en 1668. Seule sa fille Cornelia est à ses côtés lorsqu'il meurt le 4 octobre 1669, pauvre et solitaire.

Des toiles intenses et obscures
Le Caravage, novateur et provocateur
Son œuvre puissante et novatrice révolutionna la peinture du XVIIème siècle. Souvent associée à une vie délinquante, elle est aussi admirée pour son intensité dramatique. Son réalisme cru et sa théâtralité laissent rarement indifférent. Avec un naturalisme parfois brutal et un érotisme troublant, elle est surtout marquée par l'invention de la technique dite du clair-obscur. Ses personnages, placés dans la pénombre, contrastent avec la lumière puissante qui enveloppe le cœur de la scène. Ce procédé confère une atmosphère presque mystique au tableau, d'autant plus que nombre de ses tableaux sont religieux, étant commandés par le clergé.

Mais Le Caravage fait scandale. Il choque, préférant choisir ses modèles parmi le peuple : prostituées, gamins des rues ou mendiants posent souvent pour les personnages de ses toiles, y compris les personnages bibliques. Les Saints, figures des bas-fonds, mais aussi Saints réalistes, aux pieds sales et aux corps écorchés. Car Le Caravage se refuse de corriger les imperfections de ses modèles pour les rendre "plus beaux" et conformes aux visions de l'Eglise. Il prend grand soin de représenter les corps dans leurs moindres détails, jusqu'à la poussière sous les pieds de Saint Mathieu, qui lui sera tant reproché. L'érotisme qui se dégage de ses modèles fait d'ailleurs écho à une sexualité jugée infâme et vigoureusement condamnée par l'Eglise. Sa vie aventureuse et criminelle, ses frasques sexuelles et ses bravades face au pouvoir contrastent étrangement avec le mysticisme qui ressort de ses peintures. On peut considérer que Le Caravage a donné une sorte d'impulsion à la peinture, amorçant ainsi le premier pas vers les ruptures conceptuelles modernes.

Rembrandt, la compassion d'un martyr
Peintre de l'âge d'or hollandais, Rembrandt a produit une œuvre en clair-obscur, avec des scènes intenses et vivantes, en marge du formalisme de son époque. Une compassion et une humanité particulières ressortent dans l'expression de ses personnages, souvent pauvres et âgés. Le clair-obscur lui permet de créer des zones d'ombre et de les opposer à des teintes dorées, créant ainsi un étrange contraste entre des visages baignés d'une lumière presque mystique et des personnages gardés dans l'ombre en signe de martyr et de souffrance. Si le thème religieux est récurrent, ses œuvres explorent les sentiments de ses personnages, invitant le spectateur à une lecture plus intimiste de ses toiles.

Les deux maîtres du clair-obscur comparent leur souffrance et leurs affres sur les murs du musée d'Amsterdam, soulignant la compassion par la provocation, l'érotisme par les sentiments, dans un duel de drames et d'intensité rarement égalé. Difficile d'en sortir indemne.

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14 tableaux

 
 Elodie Rothan, L'InternauteWeek End
 
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