Mort de Jean Pormanove : ce que révèle l'autopsie sur les causes du décès

Mathilde Georges

Mort de Jean Pormanove : ce que révèle l'autopsie sur les causes du décès L'autopsie de Jean Pormanove, streamer français décédé en direct sur la plateforme Kick le 18 août, a écarté l'intervention d'un tiers. Ses collègues, pointés du doigt pour leur responsabilité, évoquent des violences mises en scène.

Jean Pormanove, de son vrai nom Raphaël Graven, est mort dans la nuit du dimanche 17 au lundi 18 août à Contes, près de Nice (Alpes-Maritimes). L'homme de 46 ans est décédé face caméra lors d'un live marathon sur la plateforme Kick, entamé douze jours plus tôt. Une séquence marqué par des humiliations et des violences, en présence de deux streamers du collectif "Le Lokal" : Owen C., alias "Narutovie", et Yassin S., alias "Safine". 

Alors que le parquet de Nice a ouvert une enquête pour déterminer si les violences subies lors du live ont un lien avec la mort, les conclusions de l'autopsie réalisée le jeudi 21 août indiquent que la mort de Jean Pormanove "n’a pas une origine traumatique et n’est pas en lien avec l’intervention d’un tiers". Les examens ont mis en évidence le "présence de quelques ecchymoses et lésions cicatrisées plus particulièrement sur les membres inférieurs", mais ont confirmé "l'absence de lésions traumatiques tant au niveau interne qu'externe, ce notamment au niveau du visage et du crâne, pouvant expliquer le décès et l'absence de lésions correspondant à des brûlures".

Excluant l'hypothèse d'une mort causée par un tiers, l'autopsie a indiqué que "les causes probables du décès apparaissent donc d’origine médicale et/ou toxicologique". "Des analyses complémentaires, toxicologiques et anatomopathologiques, ont été ordonnées pour préciser ces causes", a écrit le parquet dans le communiqué. Ces résultats seront "mis en relation" avec les antécédents médicaux connus de Raphaël Graven. Le streamer décédé souffrait de "difficultés cardiaques mises en évidence" lors d'une intervention dentaire en 2024 et suivait un traitement médical pour la glande thyroïde, précise le communiqué du parquet.

Des violences "simulées" et "consenties" selon les avocats des streamers

Ces éléments qui affaiblissent les accusations visant "Narutovie" et "Safine" concernant une responsabilité dans la mort de Jean Pormanove. Me Tom Michel, l'avocat du streamer Safine assure que son client "n'avait pas connaissance de potentielles problématiques d'ordre cardiaque" de "JP". Il ajoute par ailleurs toutes les séquences d'humiliations et de violences diffusées par les streamers sur Kick "étaient consenties" et que certaines étaient simulées sur BFMTV : "Une partie était simulée, mais quand vous donnez des coups, comme quand vous êtes au catch ou au cinéma, il y a bien sûr de la simulation, mais surtout du consentement".

Par ailleurs, Me Philippe-Henry Honneger, avocat de NarutoVie, a expliqué, vendredi 22 août, que les lives étaient des moments de "fiction". "Sur la question de savoir “est-ce que c'était de la fiction ou pas?”, il y a des enquêteurs qui ont enquêté au début de l'année 2025, ils ont visionné les vidéos, ils ont réuni tous les éléments qu'ils pouvaient rassembler, ils ont entendu l'ensemble des protagonistes, ils ont entendu le principal intéressé, monsieur Graven, ils ont tous dit que c'était de la fiction, ils ont tous expliqué pourquoi c'était de la fiction, comment c'était de la fiction, et à l'issue des gardes à vue qui ont eu lieu, ils ont été remis en liberté, on les a laissé continuer leurs activités", a souligné l'avocat, cité par CNews.

L'enquête confiée à la brigade de recherches de Nice doit, entre autres, vérifier que les violences, simulées ou non, étaient bien consenties. Un point important qui fait écho à une précédente enquête ouverte pour soupçons de maltraitances envers des personnes vulnérables en 2024 suite aux révélations de Médiapart sur les violences subies par Jean Pormanove. Une procédure durant laquelle "Narutovie" et "Safine" avaient été placés en garde à vue en janvier 2025, avant d'être finalement relâchés. 

Au moment de son décès, Raphaël Graven participait à un live sur la plateforme de stream Kick depuis "298 heures", soit douze jours, avec ses deux acolytes issus des quartiers populaires niçois. Plusieurs internautes, cités par RMC BFMTV, affirment que le quadragénaire venait de subir "dix jours et nuits de torture", retransmis en direct : violences physiques "extrêmes", "privation de sommeil", "l'ingurgitation de produits toxiques". Médiapart qui a consulté l'intégralité du live ayant été supprimé décrit certaines séquences : "On y voit Raphaël Graven se faire frapper et humilier à de très nombreuses reprises, par d'autres membres de la chaîne hilares, le tout sous messages d'insultes des spectateurs". "Narutovie", Safine H et un autre homme surnommé "3Cheveux" "frappent, étranglent, moquent et humilient" Raphaël Graven et "Coudoux", un homme handicapé sous curatelle.

Le live a subitement pris fin après la découverte de la mort de Jean Pormanove, retrouvé parmi d’autres personnes endormies, la tête dissimulée sous une couette. L'interruption du direct a provoqué l'inquiétude des fans du collectif "Lokal" sur le forum Discord. Certains affirmaient que Raphaël Graven aurait fait "une sorte d'étouffement dans son sommeil".

"Dis devant la caméra que c’est pas notre responsabilité si tu meurs"

Raphaël Graven, allias "JP", a menacé à plusieurs reprises d'appeler la police au cours des douze jours de direct selon les images vues par Médiapart. Ces menaces ont été régulièrement "tournées en ridicule par les autres membres de la chaîne". Un extrait relayé par le compte X de Cerfia montre également "Narutovie" lire un message de détresse de "Jean Pormanove" à sa mère quelques jours avant son décès : "Là ça va trop loin. J'ai l'impression d'être séquestré avec leur concept de merde". Sa mère, inquiète, lui aurait répondu : "C'est de pire en pire, je te plains mon fils", en notant qu'il avait beaucoup maigri. Mais "Narutovie", moqueur, a lâché devant l’écran : "T'as jamais eu aussi bonne mine fils de p*te".

Les protagonistes étaient-ils au courant des problèmes de santé de Jean Pormanove ? Non selon leurs avocats. Reste que l'hypothèse du décès du streamer avait été évoquée par Narutovie et Safine lors d'un précédent live : "Si demain, il meurt en plein live, c’est dû à son état de santé de merde et pas à nous. (…) Dis devant la caméra que c'est pas notre responsabilité si tu meurs en plein live", lançait "Narutovie" avant que "Jean Pormanove" s'exécute.

Pointé du doigt par les internautes depuis la mort de "JP", Yassin S. a annoncé via un communiqué de son avocat son intention de déposer plainte suite à une "campagne de cyberharcèlement". De son côté, "Narutovie" a affirmé sur Instagram que "personne ne sait, mais tout le monde parle", ajoutant sur sa relation avec le streamer : "On s’aimait et c’est tout ce qui compte." Le frère de ce dernier, qui a déjà participé à certains des streams, a tenu à défendre leur version auprès de RTL. "On faisait pas mal de conneries, de défis, mais c'était quand même assez contrôlé, scénarisé", a expliqué Gwen. D'après lui, l'équipe de streamers faisait en sorte que les scènes paraissent spectaculaires, mais qu'ils étaient "à des années lumières de penser qu'il pouvait arriver quelque chose comme ça".

Les streamers Narutovie et Safine bannis, l'Arcom saisi

"Profondément attristés" par la disparition du streamer, la compte X Kick France a annoncé mercredi 20 août avoir banni "tous ses costreameurs", dont ses deux acolytes "Naruto" et "Safine", dans l'attente de l'enquête en cours. "Nous nous engageons à collaborer pleinement avec les autorités dans le cadre de ce processus. En outre, nous avons mis fin à notre collaboration avec l’ancienne agence française de réseaux sociaux et entreprenons une révision complète de notre contenu en français" a écrit la plateforme.

Le gouvernement s'est aussi saisi de l'affaire. La ministre en charge du Numérique Clara Chappaz a saisi l'Arcom et a signalé les contenus sur la plateforme Pharos, tout en exigeant des explications de Kick. "Si l’enquête de l’Arcom montre la responsabilité de la plateforme Kick, il y aura des sanctions. Notre main ne tremblera pas", a averti la ministre, jeudi 21 août. Elle a aussi demandé à "sortir du Far West numérique". "Kick a annoncé revoir l'ensemble de ses procédés en matière de modération des contenus, de définition de ses conditions générales d'utilisation et de protection des mineurs", a annoncé dans un communiqué l'Arcom, jeudi 21 août, après un échange avec les dirigeants australiens de la plateforme. Selon le communiqué, repris par franceinfo, Kick s'est engagée à coopérer pleinement avec les régulateurs européens afin de se conformer à la directive européenne sur les services numériques.

Toutefois, après la mort de Jean Pormanove, la plateforme Kick a décidé de réactiver la chaîne du streamer pour permettre aux autorités de découvrir d'éventuels manquements. L'Arcom a condamné, vendredi 22 août, la levée du blocage de la chaîne. "La mise à la disposition des autorités de ces enregistrements ne peut justifier la levée du blocage pour l'ensemble du public", a fustigé l'Arcom dans un communiqué cité par BFM TV. Le régulateur français a demandé à Kick de rétablir le blocage de la chaîne de Jean Pormanove rapidement. La chaîne était à nouveau inaccessible en France vendredi 22 août au soir, un message d'erreur s'affichant sur la plateforme Kick.

Qui était Raphaël Graven alias "Jean Pormanove" ?

Comme le racontre Le Parisien, Raphaël Graven est un ex-militaire qui a exercé à la base aérienne 128 de Metz-Frescaty de 1997 à 2007, selon ses dires sur les réseaux sociaux. Après une décennie de silence, il refait surface en 2020, en pleine pandémie, dans le monde du gaming sur Twitch. Ses réactions rageuses sur Fortnite, souvent aux côtés de figures comme The Kairi 78 ou Le Bouseuh, lui valent une certaine notoriété. Les premières moqueries s’accumulent, tant sur le plan physique qu’intellectuel, mais son audience explose, cumulant les centaines de milliers d’abonnés sur Twitch, TikTok ou encore Instagram.

Le tournant survient lorsqu’il rencontre "Narutovie" et "Safine". Avec eux, il abandonne progressivement le gaming pour se lancer dans les défis extrêmes. En juillet 2022, il diffuse sur YouTube une vidéo intitulée "Je me fais bouffer par des chiens d’attaque", la première d'une longue série. Dès lors, ses contenus prennent une tournure de plus en plus violente, principalement sur Kick et la chaîne YouTube "Le Lokal TV". "Coudoux", un homme en situation de handicap sous curatelle, se joint au trio. En décembre 2024, Mediapart révèle que ces “défis” tournent en humiliations répétées de Coudoux et "Jean Pormanove", alimentant ce qu’ils qualifient de "business de la maltraitance". Leurs vidéos leur rapportaient effectivement beaucoup d'argent, à raison de plusieurs milliers d'euros par mois. Selon le procureur de Nice, Coudoux avait déclaré gagner jusqu’à 2 000 euros par mois, tandis que Raphaël Graven évoquait "des sommes à hauteur de 6 000 euros" via "une société qu’il avait créée (et) sur la base des contrats établis avec les plateformes". Les streamers de Kick bénéficient d’une répartition des revenus particulièrement avantageuse (95 % pour eux, 5 % pour la plateforme).

Sur RTL, la mère du streamer décrit son fils comme un garçon "au grand cœur" qui s'était créé une seconde famille à Nice auprès de ces streamers. "Il avait des frères à Metz, mais il s’était trouvé des frères à Nice, c'était une famille il était invité partout", a-t-elle raconté le mercredi 18 août. Sa sœur, quand à elle, qualifie son décès "d'intolérable" et estime que son frère est mort d'épuisement. "J'étais très très fière de ce qu’est devenu son frère", a-t-elle indique. "Je ne regardais pas tout mais j'estime qu'il n’aurait pas dû mourir comme ça, qu’il est décédé d’épuisement. Ce qu'il a vécu est inacceptable".

Une enquête déjà ouverte en 2024

A la suite des révélations, le parquet de Nice avait ouvert une enquête préliminaire le 16 décembre visant "Safine" et "Naruto" pour trois chefs d'accusation : "provocation publique par un moyen de communication au public par voie électronique à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur handicap", "violences volontaires en réunion sur personnes vulnérables ayant entraîné une ITT inférieure à 8 jours" et "diffusion d'enregistrement d'images relatives à la commission d'infractions d'atteintes volontaires à l'intégrité de la personne".  

Le duo avait été placé en garde à vue début janvier, et leur matériel de tournage saisi. Ils niaient les faits, tout comme Jean Pormanove et Coudoux, qui au cours de leur audition, "contestaient fermement être victimes de violences, indiquant que les faits s’inscrivaient dans des mises en scène visant à “faire le buzz” pour gagner de l’argent" selon le procureur de Nice. "L’un et l’autre indiquaient n’avoir jamais été blessés, être totalement libres de leurs mouvements et de leurs décisions et refusaient d’être examinés par un médecin et un psychiatre", a-t-il ajouté.

Mais "tant les personnes susceptibles d’être mises en cause que celles d’être victimes contestaient la commission d’infractions", avait à l’époque souligné le parquet. Ils ont par la suite été relâchés. Leur chaîne Kick, suspendue un temps, avait été réactivée ces derniers mois. Jusqu’à ce drame.