Remdesivir, Kaletra et coronavirus : que disent les dernières études ?
En l'espace de quelques jours, deux essais cliniques sur le Remdesivir ont porté des conclusions discordantes. Le Remdesivir est-il un traitement efficace ? Représente-t-il un risque pour les malades ?
[Mis à jours le 30 avril 2020 à 15h30] Le Remdesivir et le Kaletra ont été cités par l'OMS comme des traitements potentiels contre le Covid-19. Ces deux antiviraux pourrait interférer avec la réplication virale du SARS-CoV-2, en empêchant le développement du virus dans les cellules. L'un comme l'autre ont été intégrés à l'essai clinique européen Discovery. Les conclusions de cette étude, portée par l'Inserm en France, sont attendues sous peu.
En attendant, deux études contradictoires sur les effets du Remdesivir ont été publiées à quelques jours d'intervalle. La dernière en date a été menée par les Instituts de santé américains (NIH). Cette expérimentation a concerné 1 063 malades hospitalisés sur 68 sites aux Etats-Unis, en Europe et en Asie. Cet essai randomisé a démontré que les patients sous Remdesivir se rétablissaient en 11 jours contre 15 pour le groupe contrôle. Le taux de mortalité est de 8% avec le Remdesivir et de 11% sans le médicament.
L'autre étude, parue dans The Lancet, est moins encourageante. Selon l'équipe de recherche chinoise, l'essai "a révélé que le Remdesivir par voie intraveineuse n'a pas significativement amélioré le délai d'amélioration clinique, la mortalité ou le délai d'élimination du virus chez les patients atteints de COVID-19." Cette expérimentation portait sur 237 patients et a été réalisée en double-aveugle.
Qu'est-ce que le Kaletra (associant lopinavir et ritonavir) ?
Le premier de ces médicaments, le Kaletra, est un médicament jusqu'ici utilisé dans le traitement du VIH. Il associe le lopinavir un inhibiteur de protéase (ou antiprotéases) ayant des prorpiétés antivirales et le ritonavir, un antirétroviralet. Son fabricant, le laboratoire AbbVie, a obtenu sa mise sur le marché en 2001 au prix de 433,72 euros. Depuis la publication du décret n°2020-337 du 26 mars 2020, ce traitement peut être administré dans les établissements de santé aux "patients atteints de pneumonie oxygéno-réquérante ou d'une défaillance d'organe." Le protocole d'utilisation thérapeutique de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) fixe une dose de lopinavir/ritonavir similaire à "celle du traitement de l'infection à VIH à savoir chez l'adulte : 2 comprimés de lopinavir/ritonavir 200/50 mg deux fois par jour pendant 10 à 14 jours." L'ANSM a par ailleurs signalé "des effets indésirables" suspectés comme importants. Une trentaine d'effets indésirables graves, dont "trois décès" ont jusqu'à présent été signalés chez des patients atteints du coronavirus et traités par le Plaquénil (hydroxychloroquine) mais aussi le Kaletra a indiqué à l'AFP Dominique Martin, le directeur général de l'ANSM. Aussi, le programme Discovery prévoit que l'antiviral soit associé à l'interféron beta (initialement utilisé dans la prise en charge de la sclérose en plaque).
Malgré un engouement certain pour ce traitement, les autorités sanitaires demeurent donc sur la réserve. L'ANSM a rappelé : "Un essai clinique conduit en Chine avec ce médicament n'a pu montrer que des tendances sans données conclusives sur son efficacité dans la maladie COVID-19." Réalisé sur 199 sujets, cet essai randomisé (disposant d'un groupe test, autrement dit d'un groupe de patients traités avec un placebo) prévoyait l'administration de Kaeltra deux fois par jour pendant 14 jours. A l'issue de l'expérimentation, l'équipe du Dr Cao a conclu à l'absence de bénéfice sur le temps d'amélioration clinique entre le groupe traité et le groupe témoin.
Afin de répondre à une demande accrue, AbbVie France a néanmoins fait savoir à BFMTv : "Nous avons pris les mesures nécessaires pour accroître notre capacité d'approvisionnement en Kaeltra/Aluvia, des patients atteints du Covid-19 tout en garantissant la continuité d'approvisionnement pour les patients atteints de VIH, aujourd'hui sous Kaletra." De plus, la société pharmaceutique a renoncé à ses droits, de facto la fabrication de génériques sera plus aisée.
Qu'est-ce que le Remdesivir ?
Le second médicament, le Remdesivir, est un autre antiviral expérimental développé par le laboratoire Gilead Sciences. Initialement, ce dernier était utilisé pour traiter la maladie à virus Ebola et les les infections à virus Marburg3. Intégré dans le programme de recherche Discovery, il est "le seul médicament dont on peut penser qu'il serait efficace", a estimé, Bruce Aylward, assistant du directeur général de l'OMS. Le traitement avait été testé "in vitro et in vivo sur des modèles animaux contre les virus pathogènes du MERS et du SARS, également des coronavirus et qui sont structuralement similaires au Covid-19." Gilead France a néanmoins expliqué : "Il n'existe aucune donnée démontrant une quelconque efficacité clinique potentielle du Remdesivir contre le Covid-19 chez l'homme."
Si les essais cliniques sont concluants, la société Gilead se prépare à une forte demande. Le processus industriel nécessite la mise en oeuvre de sept réactions chimiques. La société pharmaceutique est parvenue à réduire de moitié son temps de fabrication. "Au prix d'un travail acharné, ce délai a été ramené à six mois", a expliqué le patron de la filiale française de Gilead, Michel Joly aux Echos. Ainsi, l'entreprise espère produire "plus de 500 000 traitements par mois d'ici à octobre et plus d'un million par mois d'ici à la fin de l'année", a signifié Daniel O'Day, le PDG dans un communiqué. Il a également garanti : "Notre stock actuel s'élève à 1,5 million de doses individuelles. Selon la durée optimale de traitement, que nous sommes en train d'étudier dans les essais cliniques, cela pourrait permettre à plus de 140 000 patients d'être traités." Par ailleurs, la société "continue de mettre à disposition Remdesivir pour les enfants et les femmes enceintes, sur la base de demandes individuelles d'usage compassionnel."
Les résultats d'une première étude, publiée dans The New England Journal of Medicine le 10 avril 2020, semblent prometteurs. L'expérimentation portait sur 61 patients Covid+ gravement atteints. "Les malades ont reçu une cure de 10 jours de Remdesivir, 200 mg le premier jour, puis 100 mg pendant les 9 jours restants", ont expliqué les chercheurs dans l'article. Au bout de 18 jours, 36 patients ont eu un allégement des aides respiratoires ; 17 ont été extubés ; 25 ont pu sortir de l'hôpital et 7 sont décédés.