Risque nucléaire ? invasion imminente ? Les tensions entre la Russie et l'Ukraine décryptées
INTERVIEW. Alors que le conflit entre l'Ukraine et la Russie dure depuis plusieurs mois, la tension est montée d'un cran ces derniers jours. Si Moscou affirme retirer des troupes postées à la frontière, les Etats-Unis assurent du contraire. Les coups de bluff et de pression se multiplient. Jusqu'où ? Eclairage avec le chercheur David Teurtrie.
David Teurtrie - C’est une question à laquelle on n’a pas vraiment de réponse. Il y a en fait deux interprétations à la mobilisation massive de troupes russes : la première, c’est qu'il s’agit d’une volonté d'instaurer un rapport de force pour négocier. La Russie a proposé aux Occidentaux de renégocier la structure de sécurité en Europe (exigences sur la fin de l’élargissement de l’Otan, s’engager à ne pas y intégrer l’Ukraine, retrait des troupes occidentales des pays proches de la Russie, ndlr). Un rapport de force qui n’aurait pas vocation à aller plus loin, c’est-à-dire à entrer en guerre.
La deuxième renvoie à la mobilisation de l'armée russe qui peut faire penser à la préparation d'une intervention militaire russe en Ukraine. Par ailleurs, les demandes qui ont été faites par le Kremlin aux Occidentaux, sous forme d'ultimatum, peuvent faire penser qu'il n'y a pas véritablement volonté de trouver une solution et que, donc, ça peut être un prétexte pour intervenir en Ukraine. Il reste difficile de donner une réponse définitive à l'heure actuelle.
"Les États-Unis adoptent une attitude très alarmiste. C'est un cas rare dans l'histoire [...]."
Les États-Unis adoptent une attitude très alarmiste. C'est un cas rare dans l'histoire d'un pays qui annonce qu'un autre pays va entrer en guerre avec un troisième. D'après Washington, c'est "imminent" depuis deux mois. Ils sont dans une dramatisation de la situation, ils ont évacué leur ambassade alors même que rien n'a débuté sur le terrain. Les Américains sont dans le bras de fer, sachant que pour eux, les conséquences sont plus lointaines que pour les Européens.
La France et l’Allemagne favorisent une situation pour trouver une solution diplomatique à la crise. Les Européens n’ont absolument pas intérêt à avoir un conflit à leurs frontières et ils ont intérêt que les choses s’apaisent. Donc, ils jouent le jeu de la diplomatie.
Pour analyser ces affirmations, il faut avoir des moyens liés au renseignement. Il est difficile de se prononcer sans éléments tangibles. Ce qu’on peut dire, c’est que dans tous les cas, on peut lier cette annonce de retrait aux efforts diplomatiques européens. Cette annonce a été faite à l’issue de la rencontre avec le chancelier allemand. Cela peut être une manière pour le Kremlin de dire aux Européens : "Vous avez fait des efforts. En réponse, on fait un geste d’apaisement, même symbolique."
Les Américains, eux, semblent répondre "pas du tout, il n'y a pas de retrait." Indépendamment de savoir s'il y a eu un retrait ou pas, les États-Unis ont été tellement alarmistes qu'il est difficile pour eux de faire un rétropédalage. On peut penser aussi que les Russes ont peut-être, en réalité, fait des petits mouvements de troupes symboliques mais que le dispositif n'a pas tellement bougé. Il s'agirait alors d'un vrai faux retrait.
Le président Macron a rappelé, tant avec la Russie que l’Ukraine, l’importance des accords de Minsk, qui sont censés permettre de régler la crise dans le Donbass. Moscou accuse Kiev de ne pas appliquer ces accords depuis 2014 parce que ce serait défavorable à la partie ukrainienne. Rappeler l’importance de l’application de ces accords est une façon d’aller dans le sens de Moscou et ça ne coûte pas grand-chose car les Ukrainiens se sont engagés à les respecter.
"Moscou ne dispose pas à l'heure actuelle de prétexte pour passer à l'acte."
Le chancelier allemand a été un peu plus loin en affirmant que le président ukrainien allait appliquer des points précis de ces accords, notamment une loi sur l’autonomie du Donbass et un changement de la constitution ukrainienne sur l’autonomie du Donbass. Des points qui posent beaucoup de problèmes à l’Ukraine qui ne veut pas créer de précédent avec un territoire qui obtiendrait une autonomie.
Je ne pense pas qu'on puisse trouver une déclaration russe disant en substance : "Si on ne nous entend pas, on va envahir l'Ukraine". En réalité, ce sont les États-Unis qui affirment que la Russie est en passe d'envahir l'Ukraine. Sachant que Moscou ne dispose pas à l'heure actuelle de prétexte pour passer à l'acte. C'est la raison pour laquelle les États-Unis ont affirmé que la Russie allait inventer un prétexte. Cela nous rappelle que les États-Unis ont utilisé un prétexte pour entrer en guerre contre l'Irak.
La partie russe affirme quant à elle qu'elle organise des grandes manœuvres sur son territoire. La Russie affirme son droit de mobiliser des militaires sur son territoire. Même si ces derniers jours, il y a eu des propos plus ambigus d'officiels russes ("Nous n'envahirons pas l'Ukraine sauf si on nous provoque à le faire", a déclaré Vladimir Tchijov, ambassadeur russe auprès de l'Union européenne, le 14 février, ndlr).
Les États-Unis ont prévenu qu'ils n'allaient pas intervenir en Ukraine. Ils ont mis en scène l'évacuation de leur ambassade, évacué leurs conseillers militaires qui forment les troupes ukrainiennes, évacué une partie de leur personnel diplomatique… C'est un signal très clair pour faire comprendre que les Américains ne sont pas prêts à se battre pour l'Ukraine. C'est une forme de résultat pour Moscou.
"Il n'y a pas de volonté de confrontation directe [...].
Il n'est pas question de s'attaquer frontalement à la Russie."
Les Occidentaux ont livré des armes ces dernières semaines (britanniques, pays de l'est). Il y a des mesures de réassurances, positionnement de troupes occidentales en Europe de l'est. On parle d'un renfort en Roumanie. Mais il n'y a pas de volonté de confrontation directe. On est face à la 2e puissance nucléaire, ce qui pourrait conduire à un conflit nucléaire. Il n'est pas question de s'attaquer frontalement à la Russie. Il est question de sanctions économiques annoncées comme massives qui seraient censées être si douloureuses que la Russie réfléchirait à deux fois avant de passer à l'acte.