Elections législatives en Allemagne : l'extrême droite peut-elle gouverner en coalition ? C'est déjà tranché

Elections législatives en Allemagne : l'extrême droite peut-elle gouverner en coalition ? C'est déjà tranché Les élections législatives allemandes ont lieu ce dimanche 23 février et l'AfD, le parti d'extrême droite, est en deuxième position dans les sondages juste derrière la droite traditionnelle. A-t-il une chance de gouverner ou de faire partie d'une majorité ?

L'extrême droite allemande pourrait atteindre un score historique lors des élections législatives prévues ce dimanche 23 février de l'autre côté du Rhin. Tous les sondages s'accordent à donner le parti Alternative pour l'Allemagne (AfD) en deuxième position avec 20% des intentions de vote en moyenne. Jamais le parti n'a été aussi haut depuis sa création en 2013. Seule la droite traditionnelle de l'Union chrétienne-démocrate d'Allemagne (CDU) parvient à rester devant l'extrême droite avec une dizaine de points d'avance dans les enquêtes d'opinion.

Ces deux forces politiques, qui d'après les sondages, sont capables de réunir la moitié des suffrages et donc plus ou moins la moitié des sièges au Bundestag, peuvent-elles s'associer pour former la prochaine majorité parlementaire et faire nommer un chancelier issu de leurs rangs ? La réponse est non, selon Paul Maurice, secrétaire général du Comité d'études des relations franco-allemandes (Cerfa) à l'Institut français des relations internationales (IFRI). "L'Allemagne fonctionne avec un système de coalition, or aucun parti politique allemand ne souhaite travailler ou faire de compromis avec l'extrême droite. Il y a un vrai mur", insiste le spécialiste auprès de Linternaute. Un "cordon sanitaire" historique qui existe depuis l'après-Seconde Guerre mondiale.

L'extrême droite veut "déstabiliser" la droite

Ce cordon sanitaire a semblé se fragiliser durant la campagne avec des votes parlementaires communs entre le CDU et l'AfD sur la question migratoire, centrale durant les débats des législatives allemandes. "Cette politique a secoué la classe politique allemande parce que c'est la première fois qu'un parti acceptait de voter avec l'extrême droite", explique Paul Maurice qui souligne toutefois que "la droite n'a pas fait de mouvement vers l'extrême droite". "L'extrême droite a voté un texte proposé par la droite qui était certes dur, mais qui ne convenait pas à sa ligne, dans le but de déstabiliser le système politique allemand", analyse le spécialiste membre de l'IFRI.

"L'AfD fait passer Friedrich Merz pour un dangereux fasciste auprès des forces du centre-gauche."

Le président et candidat à la Chancellerie allemande du CDU, Friedrich Merz, a d'ailleurs affirmé "de manière très claire qu'il n'y aura jamais de coopération entre son parti et l'extrême droite" lors du débat entre les candidats des quatre principaux partis allemands, le dimanche 16 février. Un moyen de couper court aux doutes sur une possible coalition des droites insinués par la stratégie de l'AfD. "L'extrême droite sait qu'aucun parti ne souhaite travailler avec elle, donc elle essaye de les déstabiliser en jouant sur les peurs des électeurs. Avec ce vote, l'AfD fait passer Friedrich Merz pour un dangereux fasciste auprès des forces du centre-gauche". Et lorsque le patron du CDU dit vouloir travailler avec le Parti social-démocrate d'Allemagne (SPD) sur la question migratoire, elle le présente comme un politique "compatible avec le centre-gauche aux yeux des électeurs conservateurs", déroule Paul Maurice.

Le CDU a toujours fermé la porte à une coalition avec l'AfD et ses dernières positions penchant vers une droite plus conservatrice n'y changent rien. D'après le secrétaire général du Cerfa, ces mesures qui portaient notamment sur la politique migratoire ont été pour Friedrich Merz "une manière de se remettre au centre du jeu politique à la fin de la campagne" et de "reprendre la main sur le thème de prédilection de l'extrême droite". Ces prises de position sont aussi une réaction à la demande des électeurs de s'emparer de la question migratoire après la peur et la colère suscitées par les attentats en série des derniers mois.

Une coalition possible entre la droite et la gauche ?

Si une coalition avec l'extrême droite est inenvisageable, quels partis pourraient former la majorité parlementaire ? "Une grande coalition entre le CDU et le SPD, le type de coalition en place durant la Chancellerie d'Angela Merkel" est le scénario le plus probable selon Paul Maurice, si les résultats des élections législatives allemandes le permettent. S'ils obtiennent suffisamment de suffrages à eux deux, les partis souhaiteront probablement gouverner à deux, le cas échéant "une coalition entre le CDU, le SPD et un troisième parti comme celui des Verts est envisageable", complète le spécialiste.

"80% des électeurs votent pour les partis traditionnels et les trois-quarts d'entre eux rejettent catégoriquement toute alliance avec l'extrême droite."

Des coalitions alliant les forces de droite et de gauche sont monnaie courante en Allemagne et quasi systématiquement préférées à une alliance avec l'AfD, y compris dans les Länder de l'Est où l'extrême droite est plus forte et dépasse les 30%. "Les partis se mettent d'accord, quel que soit leur bord politique, pour gouverner ensemble contre l'extrême droite", assure Paul Maurice en énumérant les exemples : la coalition entre le CDU, le SPD et les Verts en Saxe ou encore celle du CDU avec le SPD et les partis de gauche populiste plutôt qu'avec l'extrême droite en Thuringe. Une position partagée par la majorité des électeurs des partis traditionnels d'après le spécialiste : "Si 20% des électeurs votent pour l'AfD, 80% des électeurs votent pour les partis traditionnels et les trois-quarts d'entre eux rejettent catégoriquement toute alliance avec l'extrême droite".

"Le système politique démocratique allemand s'est construit sur l'opposition morale et politique à l'expérience du nazisme. Or, quand on parle d'extrême droite en Allemagne, on a nécessairement une référence au nazisme", souligne le chercheur à l'IFRI pour expliquer la force du cordon sanitaire. Et les membres de l'AfD ne dissimulent pas leur idéologie très marquée, certains "ont été condamnés parce qu'ils ont utilisé des slogans nazis interdits par la justice allemande", rappelle Paul Maurice. Parmi les électeurs de l'AfD aussi certains font preuve d'une forte idéologie d'extrême droite, mais d'autres sont "d'anciens abstentionnistes qui par colère, par mécontentement et désormais par adhésion idéologique se tournent vers l'AfD au détriment des partis traditionnels", analyste le chercheur. Chez ceux-là, un retour aux partis traditionnels, notamment vers une droite plus ferme et conservatrice est possible d'après le secrétaire général du Cerfa qui rappelle qu'entre 2017 et 2021 l'AfD avait perdu 1 million d'électeurs au niveau fédéral.