Les sondages et les primaires (partie 3) : Une mobilisation trop incertaine

Malgré la cohérence et l’apparent unanimisme de "l’opinion" pour François Hollande, on ne peut manquer de rester prudents et de ne pas prendre pour argent comptant les résultats des enquêtes. Car la mobilisation électorale reste incertaine et difficile à anticiper.

ll faut aussi espérer que les futurs électeurs ne se détermineront pas (seulement) à partir d'indications aussi fragiles et méthodologiquement problématiques. Plusieurs arguments justifient ce scepticisme.

Il est d'abord difficile de se fier aux indicateurs d'opinion politique lorsque la mobilisation électorale est encore balbutiante.
Que valent en effet les intentions de vote à l'élection présidentielle alors que l'ensemble des candidats ne se sont pas encore déclarées et que la campagne n'a pas véritablement démarré ? Pour ne prendre qu'un exemple du manque de solidité des données actuellement publiées, comparons les scores récemment attribués à Nicolas Sarkozy, à Marine Le Pen et à François Hollande, lorsque cette hypothèse de candidature PS est retenue. Le tableau n°2 montre l'ampleur des écarts d'une enquête à l'autre et qui ne se réduit pas à l'incertitude classique quant au soutien accordé au candidat du Front national. Si Marine Le Pen navigue effectivement entre 11 % et 18,5 %, François Hollande toucherait entre 27 % et 35 % des intentions de vote. Tant que l'exposition médiatique des différents candidats reste modérée et que les futurs électeurs ne se placent pas encore en situation de choix, on ne peut aucunement affirmer que les hiérarchies mises à jour dans les enquêtes d'opinion soient prédictives des résultats électoraux à venir. Il faut donc se contenter de lire les intentions de vote à la primaire socialiste pour apprécier l'état du rapport de forces entre les prétendants à l'investiture.

Tableau n°2 (cf. ci-dessous).
Comparaison des scores de trois principaux candidats dans les intentions de vote publiées (15 août-25 septembre 2011)

Les sondeurs rencontrent cependant une deuxième difficulté : quelle sera l'ampleur de la mobilisation lors de cette inédite primaire ouverte ?
Et comment les instituts peuvent identifier ceux qui s'exprimeront effectivement et ne retenir que ceux-là dans leurs intentions de vote ? Plusieurs techniques sont utilisées pour dresser les contours de cette population de futurs électeurs. Il faut au préalable constituer un échantillon représentatif des Français de 18 ans et plus et/ou des seuls inscrits sur les listes électorales. Ensuite, les dispositifs varient selon les instituts :

- BVA, Ipsos et Opinionway proposent à l'ensemble des interviewés de choisir une note de 0 à 10, 0 signifiant que la certitude de ne pas aller voter lors du premier tour de la primaire socialiste, 10 signifiant à l'inverse la certitude d'aller voter lors du premier tour de la primaire socialiste. Les instituts choisissent alors de se focaliser sur les intentions de vote exprimées de ceux qui retiennent soit la note 10, soit les notes 8, 9 et 10.

- D'autres instituts (CSA et Harris Interactive) se contentent d'établir une échelle en quatre positions (j'irai "certainement", "probablement", "probablement pas" et "certainement pas" voter) pour ensuite recueillir les "souhaits" de victoire chez ceux qui affirment qu'ils se rendront "certainement" ou "probablement" voter.

- Enfin, IFOP et Viavoice se contentent de mesurer le "souhait" de victoire chez les seules personnes qui se disent "sympathisants de gauche", c'est-à-dire celles et ceux qui, invités à choisir le parti dont ils se sentent "le plus proche" ou "le moins éloigné" retiennent l'un ou l'autre des partis de gauche.

En considérant que la première technique est sans doute la moins grossière pour appréhender le corps électoral qui participera effectivement à la primaire, on ne résout pas tous les problèmes pour autant.
En effet, dans l'enquête Ipsos réalisées entre le 16 et le 22 août, 9 % des 3677 interviewés indiquent leur certitude d'aller voter, en retenant la note 10. Or, comme le rappelle l'institut, cela veut dire que, rapporté à l'ensemble de la population, 3,8 millions de Français se rendront aux urnes lors de la primaire socialiste. Il y a là bien évidemment surestimation des électeurs potentiels puisque, même les hypothèses les plus hautes n'anticipent pas un tel nombre de votants. Les sondés ont souvent tendance à vouloir faire bonne figure et à se présenter comme des citoyens exemplaires. Le souci, c'est que rien n'indique que cette population qui déclare vouloir se rendre aux urnes soit la même (socialement et politiquement parlant) que celle qui participera effectivement. Brice Teinturier, directeur général délégué d'Ipsos, se demande si un tel décalage ne rendrait pas "l'instrument inopérant". Pour lui, "pas vraiment, sauf à présumer que ceux qui n'iraient finalement pas voter seraient systématiquement et radicalement différents de ceux qui iront. Or, on ne voit pas pourquoi il en serait ainsi." Son optimisme l'honore mais, en dehors de cet argument d'autorité, il ne fournit aucune preuve probante de cette équivalence entre électeurs potentiels et électeurs réels. En l'absence de précédents, il n'y a de toute manière aucun outil permettant de tester la fiabilité des résultats recueillis.