Retour de DSK : peut-on faire confiance aux sondages ?

L’impact supposé de l’affaire DSK sur l’opinion des Français a fait l’objet de trente-cinq sondages en à peine plus de cinquante jours. Mais que valent réellement ces enquêtes et notamment les dernières qui mesurent l'hypothèse d'un retour de DSK en politique ? Analyse de Nicolas Kaciaf, maître de conférences en Science politique et membre du Centre d'études et de recherches administratives, politiques et sociales de Lille.

L'affaire Strauss-Kahn ne constitue pas seulement une aubaine pour les médias français. Par son improbable scénario et ses multiples rebondissements, elle fournit également un matériau de premier choix pour les spécialistes de "l'opinion", de ses soubresauts et de ses éventuels retournements. Depuis l'arrestation de l'ancien directeur du FMI le 15 mai 2011, les principaux instituts français [1] se sont ainsi vus commander pas moins de neuf sondages sur les aspects politiques, médiatiques ou judiciaires de l'événement. À côté de ces enquêtes explicitement consacrées à l'affaire, on doit également prendre en compte des sondages dont les résultats ont été analysés comme autant d'incidences du retrait de DSK de la compétition électorale, soit neuf "intentions de vote" à la prochaine présidentielle et dix-sept études focalisées sur la primaire socialiste ou sur les traits d'image de ses principaux candidats. Sans même recenser les traditionnels baromètres de la popularité des principaux leaders politiques, l'impact supposé de l'affaire DSK sur l'opinion des Français a fait l'objet de trente-cinq sondages en à peine plus de cinquante jours.

Une telle avalanche de données peut pourtant être dommageable pour les instituts puisqu'elle accroît le risque de contradictions dans les chiffres publiés. En parcourant les articles mis en ligne ces derniers jours, on apprend ainsi que "les Français n'ont pas enterré l'ancien patron du FMI" (Le Parisien / Harris Interactive, 2 juillet), mais "qu'une courte majorité (...) ne voit pas l'ex-patron du FMI revenir sur la scène politique" (Le Point / Ipsos, 4 juillet). Revient... revient pas... Comment expliquer cette apparente inconstance de nos compatriotes ?

Une première piste de réponse consiste à aller jeter un coup d'oeil du côté des dates de réalisation de ces enquêtes. Après tout, compte tenu du rythme échevelé des révélations, il se pourrait qu'un décalage de quelques jours suffise à entraîner un changement de majorité. Mais cette première hypothèse s'effondre : les deux enquêtes ont été réalisées en même temps, les 1er et 2 juillet... Insatisfaisante, cette hypothèse livre néanmoins quelques intéressantes informations sur les conditions de production des enquêtes et, par conséquent, sur la pertinence de ce qu'elles mesurent. Quand on se souvient que les "doutes" du procureur new-yorkais n'ont été rendus publics que dans la nuit du 30 juin au 1er juillet, on peut être admiratif devant la "réactivité" des instituts et de leur commanditaire. Mais on peut aussi s'interroger sur le sens qu'il y a à interviewer des personnes au nom d'un revirement de scénario qu'ils ne connaissent que depuis plusieurs heures... lorsqu'ils le connaissent, puisqu'aucune des deux enquêtes n'est précédée d'un rappel de la situation ou d'une question relative au degré d'information des sondés sur les derniers rebondissements. Une telle précipitation confirme bien que de très nombreux sondages commandés par les médias ont davantage pour fonction de créer l'événement et le buzz qui l'accompagne que de fournir des données solides sur les jugements et les attentes des citoyens.

La deuxième hypothèse est tout aussi élémentaire : pour comparer des résultats, il faut immédiatement lire le libellé exact des questions et des modalités de réponses qui sont proposées (plutôt imposées d'ailleurs) aux enquêtés :

1) Harris Interactive pour le Parisien : "Sans préjuger de son innocence ou de sa culpabilité, souhaitez-vous voir Dominique Strauss-Kahn revenir un jour sur la scène politique française ?"

          - Oui, tout à fait : 20 %
          - Oui, plutôt : 29 %
                    > Ss-total oui : 49 %

          - Non, plutôt pas : 23 %
          - Non, pas du tout : 22 %
                    > Ss-total non : 45 %

          - Ne se prononce pas : 6 %

2) Ipsos pour Le Point : "Selon vous, Dominique Strauss-Kahn a-t-il un avenir politique ?"

          - Oui certainement : 14 %
          - Oui probablement : 28 %
                    > Ss-total oui : 42 %

          - Non, probablement pas : 26 %
          - Non, certainement pas : 25 %
                    > Ss-total non : 51 %

          - Ne se prononce pas : 7 %

La confrontation de ces deux questions montre qu'elles ne sont absolument pas interchangeables puisqu'elles ne renvoient pas aux mêmes "réalités". La première sollicite un souhait, tandis que la seconde attend un pronostic. Certains peuvent espérer son retour et d'autres craindre un tel come-back : cela n'a rien à voir avec la crédibilité qu'ils accordent à une telle hypothèse.

Que retenir alors de ces sondages ? Eh bien, pas grand-chose. L'enquête Harris Interactive / Le Parisien a l'avantage de proposer (imposer) un questionnement univoque : bien que tous les interviewés n'aient ni le même intérêt pour la vie politique ni la même familiarité avec DSK, la question présente relativement peu d'ambiguïté. Mais cette simplicité constitue en même temps le revers de la médaille : comme il n'y a pas d'autres questions pour étayer ce jugement, on ne peut absolument rien dire des raisons qui poussent les uns à espérer le retour de Dominique Strauss-Kahn et les autres à souhaiter son retrait définitif de la vie politique. Quant à l'enquête Ipsos / Le Point, elle transforme les interviewés au mieux en turfiste, au pire en diseurs de bonne aventure, sachant qu'aucun d'entre eux n'a de prise sur le devenir politique de DSK. Les résultats sont d'autant plus ininterprétables que le questionnaire ne fournissait pas aux interviewés la possibilité claire de répondre "Je n'en sais rien" ou "ça n'est pas mon problème", supposant implicitement que chacun dispose d'un intérêt et d'un avis sur cette question. Au-delà des difficultés méthodologiques (échantillonnage, mode d'administration du questionnaire, etc.) sur lesquels nous auront l'occasion de revenir, trop de sondages souffrent de placer les interviewés face à des questionnements déconnectés de leurs expériences et de leurs préoccupations, mettant à jour davantage les centres d'intérêts des commanditaires que les opinions des sondés.