Immigration : AME, PUMa... Moins de soins remboursés pour les migrants ?

Immigration : AME, PUMa... Moins de soins remboursés pour les migrants ? Le gouvernement d'Edouard Philippe a présenté une vingtaine de mesures ce mercredi, dans le cadre des réformes envisagées en matière d'immigration et concernant la prise en charge des coûts de santé qu'elle occasionne.

[Mis à jour le 6 novembre 2019 à 15h44] "Une nouvelle politique migratoire". Voilà les termes du chef du gouvernement, qui a présenté une série de mesures destinées à renforcer l'encadrement de l'immigration en France, à l'issue d'un comité interministériel ce mercredi 6 novembre, depuis l'hôtel de Matignon. Edouard Philippe sera ce mercredi 6 novembre devant les députés, lors du débat parlementaire, pour exposer son projet. Il interviendra ensuite à 19h sur BFMTV dans l'émission de Ruth Elkrief pour "présenter" les grandes lignes et les contours de la réforme préparée entre Matignon et l'Elysée.

La conférence de presse en vidéo

Le gouvernement entend durcir les conditions de remboursement des soins aux immigrés, et instaurer des quotas. Des mesures qui divisent au sein même de la majorité, puisqu'une dizaine de députés LREM voteront contre les amendements du gouvernement, d'après le parlementaire Jean-François Césarini, qui s'exprimait ce mercredi sur France Info. Plus particulièrement, ces mesures gouvernementales déplaisent à certains députés de l'aile gauche du parti, d'autant plus que leur mise en place doit être rapidement effective : présentées à l'Assemblée ce mercredi 6 novembre, elles seront votées jeudi 7 novembre. Un député LREM originaire du PS, interrogé par France Info, aurait préféré que des groupes de travail impliquant de députés de tous bords politiques aient été mis en place, plutôt que par un groupe d'élus issus de la majorité, comme ce fut le cas.

Ce député LREM a développé son point de vue en ces termes : "Sur la méthode, le compte n'y est pas. (...) C'est Emmanuel Macron qui amène ce débat sur l'immigration. On nous dit qu'il n'y aura pas de loi, qu'il va y avoir des mesures dans le projet de loi de finances... Du coup, les parlementaires sont paumés. Et puis il y a eu ce débat qui n'a pas permis de clarifier du tout nos positions. Et aujourd'hui, le gouvernement annonce une vingtaine de mesures sans consulter les corps intermédiaires !" 

Un délai de carence de 3 mois pour accéder à la PUMa ?

Jusqu'à présent, les demandeurs d'asile ont accès au dispositif dit de la "PUMa" (Protection universelle maladie), c'est-à-dire la sécurité sociale "de base", dès le dépôt de leur demande. La PUMa a remplacé en 2016 la CMU (Couverture universelle maladie), et a pour objectif la prise en charge des frais de santé "de toute personne qui travaille ou réside en France de manière stable et régulière", d'après la définition de l'organisme Ameli. Agnès Buzyn, ministre de la Santé, s'est exprimée sur la nécessité de faire évoluer ce dispositif, évoquant la possibilité d'un "dévoiement" de la PUMa par certains demandeurs d'asile, et Edouard Philippe a insisté sur "la nécessité de lutter contre les fraudes et les abus", rapporte l'AFP.

Le gouvernement souhaite ainsi l'instauration pour les demandeurs d'asile d'un délai de carence de trois mois pour accéder à la PUMa. Cependant, Agnès Buzin a précisé lors de son allocution ce 6 novembre à Matignon que ce délai de carence ne s'appliquerait pas aux mineurs, ni en cas d'infection ou de grossesse. En outre, la ministre de la Santé a rappelé que ce délai de carence de 3 mois s'appliquait dores et déjà pour les citoyens français et les ressortissants étrangers en situation régulière. L'objectif de cette mesure, telle que présentée par la ministre, est donc d'appliquer aux demandeurs d'asile les mêmes conditions d'accès aux soins qu'aux Français et aux immigrés légaux. 

Plus de contrôles de l'AME

L'AME (Aide médicale d'Etat) est quant à elle un dispositif réservé aux étrangers en situation irrégulière. Créée en 2000, l'AME prend en charge 100% des frais médicaux, hospitaliers et pharmaceutiques de ceux qui en bénéficient, dans la limite des tarifs de la sécurité sociale (donc pas les dépassements d'honoraires). Matignon souhaite soumettre les actes médicaux non urgents à un accord préalable de la sécurité sociale pour les personnes bénéficiaires de l'AME, plutôt que le remboursement de ces frais soit pris en charge d'office comme c'est le cas actuellement. Cette mesure concernerait la prise en charge de soins tels que la chirurgie de la cataracte, les soins de kinésithérapie, une prothèse de genou ou de hanche par exemple.

318 000 personnes en bénéficient, mais le dispositif est régulièrement mis en cause par certaines figures politiques, en premier à droite et à l'extrême droite, certains considérant l'AME comme trop dispendieuse pour l'Etat. Dans les faits, cette aide représente 0,5% des dépenses de santé de l'Etat. Dans son interview accordée à Valeurs actuelles, Emmanuel Macron a de son côté déclaré souhaiter "régler vite" cette question "des gens qui viennent avec un visa touristique, qui restent trois mois et ensuite se mettent à l'AME". Le gouvernement a annoncé également que les bénéficiaires de l'ADA (Aide aux demandeurs d'asile) qui touchent de manière illégale le RSA en même temps, seraient contrôlés davantage. Le sujet est à l'agenda de l'Assemblée nationale pour ce jeudi 7 novembre.

Que dit le rapport demandé par Matignon sur l'AME ?

Cet été, Matignon avait requis auprès de l'Igas (Inspection générale des affaire sociales) et de l'Inspection générale des finances un rapport sur les pratiques concernant l'AME, afin d'évaluer les abus et la fraude. Ce document a été rendu public mardi 5 novembre, mais ne corrobore pas les soupçons de "tourisme médical" véhiculés par certains politiques. En premier lieu, le nombre de bénéficiaires de l'AME est stable depuis 2015, et n'explique pas la hausse des coûts de 1,4% par an de cette aide, qui s'élèvent à 904 millions d'euros annuellement. Agnès Buzin est revenu sur ce rapport lors de son allocution du 6 novembre, faisant le constat que le dévoiement de l'AME concerne une "part difficilement chiffrable mais limitée du système de prises en charge".

Le rapport impute cette augmentation, plutôt, à une hausse des prix des médicaments, ainsi qu'au surcoût lié à une prise en charge trop tardive de certains patients, rapporte Libération. Il préconise "d'envisager avec prudence toute évolution de l'AME" qui pourrait avoir des conséquences néfastes, induisant un risque sanitaire plus large, notamment en cas de réduction du panier des soins. La ministre de la Santé a assuré qu'une telle mesure n'était pas au programme de la réforme, considérant qu'une "prise en charge tardive [est] systématiquement plus coûteuse", occasionnant une dégradation de la santé des personnes concernées et un engorgement des urgences.

Des quotas d'immigration, c'est-à-dire ?

C'est peut-être la mesure la plus centrale du projet de loi gouvernemental : l'instauration de quotas d'immigrés. Elle ne concerne pas directement les problématiques auxquelles est confronté le ministère de la Santé, et ne s'applique ni aux demandeurs d'asile ni aux sans-papiers. De quoi s'agit-il exactement ? Le gouvernement souhaite davantage maîtriser l'immigration économique légale et compte mettre en place un dispositif "permettant de s'ajuster en temps réel aux besoins [des] entreprises". Pour cela, la ministre du travail Muriel Pénicaud a mentionné l'idée "d'objectifs chiffrés", ainsi que l'actualisation régulière de la liste des métiers "en tension", datant de 2011. Les personnes sélectionnées disposeront d'un "visa de travail pour une durée déterminée et un travail déterminé", a précisé la ministre.

La droite, qui avait envisagé d'introduire des quotas, sous le mandat de Nicolas Sarkozy, avant de renoncer, demeure sceptique. Eric Ciotti a déclaré au Parisien : "J'espère que ce nouvel exercice de communication ne sera pas un écran de fumée", raillant au passage "la conversion nouvelle et étonnante d'Emmanuel Macron pour ce dispositif". Et pour cause, lors de sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait décrié cette idée. "[Je ne crois pas] aux politiques des quotas, parce qu'on ne sait pas les faire respecter. Déciderions nous, demain, d'avoir un quota de Maliens ou de Sénégalais d'un côté, d'informaticiens, de bouchers de l'autre, comme certains le proposent ? Un tel dispositif serait quasiment impossible à piloter" avait-il déclaré en mars 2017 lors d'un entretien avec Geneviève Jacques, ancienne présidente de la Cimade. Lors d'un meeting à Lille, le futur président de la République avait également parlé des quotas en ces termes : "Je ne propose pas une politique idéologique en matière d'immigration, je propose une politique efficace, claire, menée avec nos partenaires européens, c'est cela notre projet", estimant en 2017 que proposer des quotas impliquait "d'avoir la main pour les faire respecter, ce [qui] n'est pas le cas aujourd'hui".

Quelles autres mesures pour les demandeurs d'asile ?

Une source parlementaire de l'AFP a mentionné également l'attribution de "crédits supplémentaires" pour l'Ofpra (Office français de protection des réfugiés et des apatrides) et la CNDA (Cour nationale du droit d'asile). Cela a pour objectif de réduire les délais d'instruction des dossiers pour les demandeurs d'asile, alors que la loi de 2018 n'a pas tenu ses promesses, puisque le délai d'instruction d'un dossier est de 12 mois au lieu des 6 mois souhaités. Selon le gouvernement, réduire ce délai permettrait d'accélérer les démarches administratives pour les personnes auxquelles le droit d'asile est accordé, et de ne pas faire patienter en vain ceux qui n'y accéderaient pas.