Loi immigration : ce que contient le texte, les mesures décryptées

Loi immigration : ce que contient le texte, les mesures décryptées Le projet de loi immigration a été voté au Parlement dans la soirée du 19 décembre 2023. Le gouvernement se satisfait de l'adoption du texte mais dénonce tout rapprochement avec les idées de l'extrême droite malgré des mesures très droitières.

"J'ai le sentiment du devoir accompli". Elisabeth Borne affiche sa satisfaction après l'adoption du projet de loi immigration au Parlement dans la soirée du 19 décembre, et ce, sans les voix de l'extrême droite affirme-t-elle s'appuyant sur des calculs incomplets des votes à l'Assemblée nationale. La loi immigration a donc été votée, mais doit passer par le filtre du Conseil constitutionnel. La Première ministre autant que le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, reconnaissent que certaines mesures du texte sont contraires à la Constitution et seront donc retoquées.

Si la droite et une partie de la majorité se félicitent de l'adoption du texte, à l'extrême droite Marine Le Pen vante une "victoire idéologique", tandis qu'à gauche on fustige le vote d'un projet de loi aussi droitier. Mais alors que contient la version finale de cette loi immigration si clivante ?

1- L'accès aux aides sociales durci pour les étrangers

Ces mesures ont failli faire capoter l'adoption du texte en commission mixte paritaire avant que la droite et la majorité ne trouvent un terrain d'entente, notamment sur le versement des aides personnalisées au logement (APL). A l'issue, le nouveau texte prévoit de conditionner l'accès à toutes les aides sociales à cinq ans de résidence en France pour les étrangers en situation régulière qui ne travaillent pas, y compris pour les APL. Les étrangers qui exercent une activité pourront bénéficier des prestations sociales au bout de 30 mois passés en France, soit deux ans et demi. Le délai de carence sera plus court uniquement pour les ALP qui leur seront accessibles après trois mois de présence.

2- La création d'un titre de séjour exceptionnel pour les métiers en tension

Elle aussi cristallisait les débats, mais elle a été adoptée dans une version très proche de celle du Sénat. La délivrance de titre de séjour automatique aux étrangers qui travaillent dans des domaines peinant à recruter, comme la restauration ou le BTP, est devenue "exceptionnelle" plutôt qu'automatique et doit être laissée à l'appréciation des préfets.

Pour y prétendre, les étrangers devront prouver qu'ils ont résidé en France pendant au moins trois ans et qu'ils ont travaillé dans ledit secteur en tension au moins 12 mois sur les 24 derniers. Ils devront aussi présenter un casier judiciaire vierge. Toutefois les travailleurs sans-papiers qui doivent aujourd'hui être accompagnés par un employeur pour réaliser la démarche, pourront formuler la demande seuls. Ce dispositif doit s'appliquer jusqu'à la fin de l'année 2026, après quoi la loi devra à nouveau trancher ce point.

3- L'accueil des étudiants étrangers soumis à caution

L'ajout du Sénat sur l'obligation pour les étudiants étrangers de payer une caution pour venir étudier en France a été adoptée, bien que légèrement modifiée. Le projet de loi immigration prévoit que le ministre chargé de l'enseignement supérieur puisse en dispenser "à titre exceptionnel" les étudiants bénéficiant de revenus modiques et dont l'excellence du parcours scolaire ou universitaire le justifie.

4- L'instauration de quotas migratoires annuels

Nouvelle mesure imposée par le Sénat et adoptée pour le projet de loi immigration : des quotas annuels d'immigration, c'est-à-dire le nombre de personnes étrangères autorisées à séjourner en France pendant trois ans sur des motifs économiques, seront définis par le Parlement. La mesure prévoit également la tenue obligatoire de débats à ce sujet au Parlement chaque année. Le gouvernement n'avait pas inscrit un tel article dans son texte initial et une partie de la majorité estime que cette mesure pourrait être retoquée par le Conseil constitutionnel.

5- La naturalisation française et le droit du sol restreints

Sur la question du droit du sol qui octroyait d'office la nationalité française aux enfants nés sur le sol français, la commission mixte paritaire a voté le durcissement du principe. Les enfants nés en France de deux parents étrangers ne seront donc plus automatiquement Français et devront manifester leur volonté d'obtenir la nationalité entre 16 et 18 ans pour être naturalisés.

Même obtenue, la nationalité française pourra être retirée aux étrangers naturalisés jugés coupables d'homicide ou de tentative d'homicide sur une personne dépositaire de l'autorité publique.

6- Le rétablissement du délit de séjour irrégulier

Le délit de séjour irrégulier, qui avait été supprimé en 2012 sous le mandat de François Hollande, a été rétabli par les sénateurs qui ont reçu un avis favorable du ministre de l'Intérieur sur ce point. De fait, les personnes qui séjournent illégalement en France pourront être sanctionnées de 3 750€ d'amende et d'une peine de trois ans d'interdiction du territoire.

7- Le regroupement familial durci

Pour pouvoir prétendre au regroupement familial, les étrangers devront répondre à davantage de critères. Ils auront notamment l'obligation d'avoir une assurance maladie pour eux et pour la personne ou la famille à venir, l'obligation de maîtriser la langue française et devront tous présenter des casiers judiciaires vierges. La commission mixte paritaire s'est rangée derrière la version de l'article votée en commissions des Lois, laquelle à supprimer les conditions de revenus réguliers et d'un certain niveau en plus de l'allongement de la durée de séjour nécessaire imposés par le Sénat.

8- Les procédures d'expulsions facilitées

Le vote du projet de loi immigration a pour effet d'acter des mesures facilitant les expulsions de certains étrangers, notamment des délinquants. Ce sur point phare du projet de loi, le Sénat a su imposer sa vision et ses mesures. Le texte prévoit donc la possibilité d'expulser étrangers condamnés pour des crimes punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement, ou trois ans en cas de récidive, et les individus constituant des "menaces graves à l'ordre public". Dans ces cas, les expulsions seront même possibles pour les personnes arrivées en France avant l'âge de 13 ans.

En plus des expulsions, ce sont les conditions pour prononcer des obligations de quitter le territoire français (OQTF) qui ont été assouplies. Toutes les protections empêchant le recours à une OQTF ont été levées et seuls les mineurs peuvent encore être protégés contre cette procédure d'expulsion. Concernant les OQTF, le projet de loi immigration prévoit également qu'elles puissent être prononcées contre des demandeurs d'asile déboutés sauf si l'administration " envisage d'admettre l'étranger au séjour pour un autre motif ".

9- La rétention des mineurs interdite

Les étrangers mineurs sont donc les seuls à être protégés contre les OQTF et le texte prévoit un autre mesure de protection imposée par la commission des Lois : l'interdiction de placer les mineurs de moins de 18 ans en centre de rétention. Quant aux adultes accompagnés de mineurs, ils pourront être assignés à résidence.

10- L'AME écartée du projet de loi immigration

La droite voulait supprimer l'aide médicale d'Etat (AME) avec le projet de loi immigration, chose à laquelle s'oppose la majorité. Une telle mesure aurait également été retoquée par le Conseil constitutionnel, car n'ayant pas de lien direct avec la question migratoire. Un accord a donc été passé entre la droite et la majorité : la suppression de l'AME ajoutée par le Sénat est supprimée du texte, mais fera l'objet d'une réforme promise en janvier 2024 par le ministre de l'Intérieur et la Première ministre. La droite assure que la majorité s'est engagée à aller dans le sens d'un durcissement de la mesure, mais au gouvernement le discours n'est pas aussi catégorique.