Comment la grande distribution délocalise ses achats pour contourner EGalim
Depuis 2014, des enseignes de grande distribution comme Carrefour, Leclerc et Super U s'associent dans des centrales d'achat pour mutualiser leurs commandes et acheter moins cher en grande quantité. Mais dernièrement, certaines marques font le choix de centrales à l'étranger et s'associent avec d'autres enseignes européennes pour mener des négociations à l'échelle de plusieurs pays. Que devient la loi EGalim dans tout ça ?
La loi EGalim, c'est cette législation française qui donne du poids aux producteurs dans la négociation des prix avec l'agroindustrie et la grande distribution. Ses contournements sont le cœur de la colère du monde agricole. En délocalisant ses négociations à l'étranger, la grande distribution cherche-t-elle à esquiver les règles françaises ? Les enseignes s'en défendent et parlent simplement de leur volonté de garder des prix compétitifs sur le marché européen.
"Quelle loi doit s'appliquer ?"
Ainsi, E. Leclerc a rejoint en 2016 la centrale d'achat Eurelec Trading, basée à Bruxelles, qu'il partage désormais avec un groupe allemand et un groupe néerlandais. Carrefour a rejoint la plate-forme Eureca à Madrid, qui négocie pour six pays européens. Tous affirment se servir de ces plateformes principalement pour négocier avec les grands fournisseurs internationaux, ainsi qu'avec quelques grands groupes agroindustriels français comme Danone ou Lactalis.
Mais selon Boris Ruy, avocat associé au cabinet Fidal, interrogé par Le Monde, ces négociations concernent aussi désormais "des industriels plus petits, qui n'avaient jusque-là pas le profil". Dès lors, "quelle loi doit s'appliquer dans le cadre de ces négociations hors de nos frontières ?" Interroge Nicolas Genty, avocat et fondateur du cabinet Loi & Stratégies. En septembre 2023, le PDG de Système U Dominique Schelcher, dont la centrale d'achat Everest est située aux Pays-Bas, assurait que les négociations se faisaient toujours "dans le respect de la loi EGalim, c'est écrit dans les annexes de notre alliance".
"Des contraintes parfois abusives"
La question a été débattue au Sénat jeudi 1ere février : la sénatrice centriste Anne-Catherine Loisier a dénoncé ces plateformes délocalisées qui permettraient, selon elle, à la grande distribution "de s'affranchir du cadre des négociations défini par les lois EGalim et d'imposer des contraintes parfois abusives pour les fournisseurs au regard du droit français".
Mercredi 31 janvier, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a annoncé qu'il allait "lancer des contrôles spécifiques sur les centrales d'achat européennes pour [s]'assurer qu'il n'y a pas de contournement (…) des règles de la loi EGalim".