"Mieux discriminer les détenus" : la proposition de Darmanin face à celle des agents pénitentiaires

"Mieux discriminer les détenus" : la proposition de Darmanin face à celle des agents pénitentiaires Le ministre de la Justice Gérald Darmanin défend l'idée de placer les "100 plus grands narcotrafiquants" incarcérés à l'isolement. Face à cette mesure qui serait difficilement applicable, les agents pénitentiaires ont une autre proposition.

Gérald Darmanin veut montrer qu'il est au travail. Le ministre de la Justice a réalisé son troisième déplacement ce jeudi 2 janvier, seulement dix jours après sa nomination au sein du gouvernement Bayrou, et il a rappelé l'une de ses priorités : la lutte contre le narcobanditisme et la criminalité organisée. Un combat qu'il a déjà mené au ministère de l'Intérieur pendant quatre ans. Il a d'ailleurs décidé de se rendre au tribunal judiciaire de Marseille, ville dans laquelle les guerres de gangs liées au narcotrafic ont entrainé une vingtaine d'homicides en 2024 et où son prédécesseur avait présenté le "plan de lutte contre le narcotrafic" il y a deux mois.

Sur place, Gérald Darmanin a martelé sa proposition de mettre les "100 plus grands narcotrafiquants" déjà incarcérés à l'isolement pour les empêcher de poursuivre leur trafic depuis la prison. Une annonce choc faite le 28 décembre, mais dont la faisabilité ne convainc pas les agents pénitentiaires ou encore les magistrats. Et pour cause, le ministre se confronte à un problème de taille : la surpopulation carcérale alors que le pays compte plus de 80 000 détenus pour 62 404 places normalement disponibles. Si les prisons sont pleines, c'est aussi le cas des quartiers d'isolement : "Aujourd'hui, les quartiers d'isolement sont pleins dans toutes les prisons", a fait savoir Emmanuel Chambaud, secrétaire général du syndicat UFAP-UNSa Justice, sur franceinfo le 2 janvier.

Non seulement d'être occupés, ces quartiers d'isolement le sont souvent par des détenus incarcérés pour terrorisme fait remarquer Ménya Arab-Tigrine, avocate au barreau de Paris, sur le même média. Ce traitement des personnes jugées pour terrorisme est à l'origine de l'idée de Gérald Darmanin, mais le nombre de places est insuffisant pour isoler ces deux types de détenus. "Il faudrait choisir entre les uns et les autres et on ne peut pas imaginer qu'on choisisse de manière tout à fait autoritaire quelques noms dans une prison sans critères légaux", estime Me Arab-Tigrine. Un choix et des critères qui, selon l'avocate, posent aussi question concernant l'identification des "100 plus grands narcotrafiquants" sur les 17 000 personnes emprisonnées pour des faits liés au trafic de stupéfiant. "Les seuls à même de répondre à la question 'qui sont les dangers de l'ordre public', ce sont les magistrats qui sont soumis à un certain secret", précise l'avocate qui juge la proposition du ministre "anticonstitutionnelle".

Des détenus incarcérés selon leur dangerosité

Pour plusieurs syndicats de milieu pénitentiaire, la solution n'est pas de placer à l'isolement tous les narcotrafiquants, mais de distinguer les détenus et de les envoyer dans certaines prisons selon leur niveau de dangerosité. "Ça fait des années qu'on demande de ne pas mettre des détenus de tous profils partout, qu'on puisse mettre les dangereux dans certains établissements hautement sécurisés, les courtes peines dans d'autres", explique Catherine Forzi, déléguée de FO Pénitentiaire à Marseille, à France 3 Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Une position partagée par le responsable régional du syndicat, Jessy Zagari : "Aujourd'hui, on mélange un terroriste avec un assassin, un voleur de voiture, et quelqu'un qui va dealer dans la cité, le fait de mettre tout ça mélangé, forcément, ça contribue à établir des réseaux criminels à l'extérieur, quand ces détenus sortent". Cette organisation à même de servir la criminalité organisée montre d'autres limites selon le syndicaliste : elle exige un haut niveau de sécurité partout ce qui "est onéreux" mais "ne fonctionne pas".

Une discrimination des détenus à laquelle Gérald Darmanin est favorable comme il l'a déclaré à Marseille : "Nous devons discriminer mieux les détenus, pour pouvoir faire comprendre aux citoyens que nous luttons avec efficacité".  Mais le ministre de la Justice envisage une autre façon de marquer cette différence : l'isolement accompagné de mesures devant être renforcées comme le "nettoyage des prisons" avec des saisies de téléphones et de tout moyen permettant la continuité du trafic ou servant la criminalité organisée, ainsi que les techniques de brouillage qui doivent être améliorées. Des mesures qui demandent des moyens, alors que les professionnels du monde pénitentiaire dénoncent déjà un personnel, un budget et des équipements en nombre insuffisant.