Economies, dangers... Eléments de débat sur le changement horaire
C'est l'arlésienne depuis déjà plusieurs décennies. Chaque année, à deux reprises, la France procède au changement d'heure et à chacune de ces étapes, les opposants se font entendre pour dénoncer cette "aberration". Le changement d'horaire fait même l'objet d'un débat politique voire géopolitique (Chine, Algérie et Russie y ont par exemple renoncé). Il a aussi son association d'opposants en France, l'Association française contre l'heure d'été double (Ached). Or c'est ce week-end qu'on passe à l'heure d'hiver. Dans la nuit de samedi à dimanche, les 65 millions de Français devront reculer leurs appareils d'une heure. L'occasion pour Linternaute.com de faire le point sur ce qu'on sait des économies et des effets provoqués par le changement d'heure.
1- Des économies d'énergie contestées. Premier point du débat : les économies que permettrait de générer le changement d'heure. Instauré durablement dans les années 1970, en plein choc pétrolier, le changement d'heure consiste à rallonger les journées l'été (GMT +2) pour profiter au mieux de l'ensoleillement et ainsi économiser en éclairage et en chauffage, aussi bien dans les foyers que dans les entreprises. Mais les chiffres livrés depuis sont flous et peu convaincants. Dernières données disponibles en date : des chiffres de l'Agence de l'Environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) qui font état d'une économie en éclairage représentant 440 Gigawatt/heure. Le hic : ces chiffres n'ont pas été actualisés depuis 2010 et l'Ademe ne dispose même pas de données sur les économies de chauffage. Pour le reste, c'est le flou complet : certains experts évoquent une économie de 10 centimes par heure d'éclairage, d'autres réduisent le gain pour les ménages à 1,70 euro par an seulement...
Changement d'heure ou ampoules basse consommation ?
Ce qui provoque ce brouillard, c'est surtout l'impossibilité de déterminer avec précision d'où viennent les économies. Quelle part accorder au comportement des ménages, à l'isolation et surtout au développement massif des ampoules basse consommation ? D'autre part, avec l'ensoleillement renforcé en heure d'été, l'usage de la climatisation ne vient-il pas fausser les données ou, pire, rendre le changement d'heure contre-productif ? Récemment, la Commission européenne a elle aussi remis en cause les économies d'énergie réalisées par le changement d'heure. Alors que la direction "Mobilité et Transports" de la commission s'apprêtait à rendre un rapport sur le changement d'heure, le commissaire en charge du sujet, l'Estonien Siim Kallas, affirmait que le "bilan global s'avér[ait] probablement plutôt neutre".
En 1997, le Sénat présentait un rapport intitulé "Faut-il en finir avec l'heure d'été ?" et signé par Philippe François reprenant ces doutes sur les économies d'énergies. D'autres effets bénéfiques de l'horaire d'été étaient aussi remis en cause. Quand d'aucuns soulignaient que le gain de visibilité permettrait de lutter en faveur de la sécurité routière, le sénateur indiquait que son effet n'était "pas démontré". Il citait "d'autres études" mettent en lumière que l'heure de clarté gagnée le soir était compensée par une heure d'obscurité (et de verglas) le matin, provoquant d'autres accidents. Les journées plus longues de l'été devaient aussi favoriser les activités culturelles et touristiques. Pour le sénateur, cela pénaliserait au contraire "théâtres, cinémas ou bibliothèques", mais aussi "feux d'artifice, son et lumière..." avec en outre une gestion du personnel et de la logistique rendues plus difficiles dans l'hôtellerie et la restauration du fait d'une clientèle plus tardive.
2- Des effets négatifs sur l'économie. Le changement d'heure ne serait donc pas si positif en termes d'énergie consommée, mais il pourrait aussi avoir des effets néfastes sur l'économie. Le rapport du Sénat en 1997 mettait déjà en cause le changement d'heure dont "les inconvénients ressentis par les populations" n'étaient pas compensés par "les avantages annoncés ou attendus". Parmi ces inconvénients, le rapport cite les "nombreuses servitudes" qu'implique le changement d'heure. Pour les ménages, mais surtout pour les entreprises et les collectivités, il s'agit en effet de revoir deux fois par an le réglage "d'équipements de plus en plus nombreux". Et le Sénat de citer "horodateurs, installations informatiques, matériels électroménagers et audiovisuels, systèmes d'alarme..."
Transports, agriculture, construction touchés
Le rapport évoquait également le casse-tête de la SNCF : "les trains arrivent une heure en retard lors du passage à l'heure d'été et sont mis à l'arrêt pendant une heure pour le retour à l'heure d'hiver". Le secteur agricole serait aussi frappé par un sérieux manque à gagner, notamment dans "l'élevage et la production laitière", où les horaires des soins sont particulièrement importants et où des "baisses de rendement" seraient observées pendant la transition. L'humidité des sols le matin empêcherait également certains travaux en été. Dans le secteur de la construction, où les heures d'ensoleillement et où la météo sont cruciales, le changement d'heure implique de commencer les journées plus tôt et de réaliser des pauses l'après-midi en été, puisque le plus chaud de la journée est observé à 14 heures (le changement d'heure d'été impliquant un décalage de deux heures avec le soleil). Le rapport sénatorial terminait sa liste par les conditions de travail rendues difficiles pour les ouvriers effectuant les "trois-huit" et pour qui "la journée commence en pleine nuit".
Le changement d'heure responsable des pics de pollution ?
3- Des effets néfastes sur l'environnement. Bible des opposants au changement d'heure, le rapport de Philippe François liste aussi les effets néfastes supposés du changement d'heure sur l'environnement. Il indique ainsi que le niveau de pollution atmosphérique pourrait grimper à cause de l'heure d'été. En cause : "la pointe de circulation coïncidant avec les heures les plus chaudes de la journée". En résultent à la fois une concentration d'ozone et de particules renforcée. "Dès lors que les déplacements automobiles de la mi-journée ont lieu autour de quatorze heures (soit midi heure solaire), et, surtout, que les migrations du soir se produisent à une heure où le rayonnement solaire reste intense, il n'est pas illogique de supposer que le décalage horaire contribue - même marginalement - à l'empoisonnement des villes européennes", conclut le sénateur.
Un rapport de 1986 signé par un député, Jean Valroff, reprenait en substance la même thèse, tout comme une étude sortie la même année et chiffrant à 10 % l'augmentation de la concentration maximale en ozone en moyenne et à 15 % la concentration en P.A.N. (nitrate de peroxyacétyle) en France liée au passage de l'heure d'hiver à l'heure d'été.
4- Des conséquences sur la santé. Quatrième série dévastatrice pour le changement d'heure : celle des effets potentiels sur la santé. Le rapport du Sénat mentionnait aussi en 1997 les effets pervers du changement d'heure dans "les hôpitaux, les crèches, les écoles et les centres de séjour de personnes âgées". Le changement d'heure aurait en effet des effets sur l'organisme encore méconnus, mais de plus en plus évoqués, notamment chez les plus fragiles. Selon certains chronobiologistes, le changement d'heure aurait plus d'effets qu'un décalage horaire lors d'un voyage. En cause cette fois : la mélatonine, hormone du sommeil, sécrétée lors des moments d'obscurité et qui réagirait différemment selon l'exposition à la luminosité.
Plus d'infarctus après le changement d'heure d'été ?
Le "rythme circadien", qui réglerait notre corps dans le temps selon des cycles de 24 heures, s'en trouverait indirectement perturbé. Il s'agit autrement dit d'une perturbation de notre rythme biologique qui pourrait provoquer problèmes de sommeil, sautes d'humeur, troubles de l'alimentation, stress, voire dépressions selon les médecins interrogés. Pire : le nombre d'infarctus observés augmenterait de 5 % dans la semaine qui suit le passage à l'heure d'été !
En conclusion de ces débats, le rapport du Sénat publié en 1997 soulignait l'intérêt de supprimer le changement d'heure et de maintenir la France en permanence à l'heure d'hiver, mais il indiquait aussi qu'il existait des "difficultés d'ordre juridique et technique, mais aussi diplomatique", la France étant liée avec les autres pays de l'UE dans le processus de changement d'heure. La Commission européenne, dans plusieurs rapports publiés en 2007 ou plus récemment, en septembre 2014 par sa direction" Transports et Mobilité", ne disait pas autre chose. "Les économies effectivement réalisées" par le changement d'heure sont "difficiles à déterminer et, en tout cas, relativement limitées", mais "le régime actuel ne constitue pas un sujet de préoccupation dans les États membres de l'UE". Le rapport sorti en septembre 2014 conclut quant à lui que le statu quo est préférable pour la "stabilité du marché intérieur".