Expulsion d'un étranger : Darmanin ou la justice, qui décide en France ?
[Mise à jour le 25 juillet à 10h42] Malgré la confusion, Gérald Darmanin assure rester droit dans ses bottes. Mardi 26 juillet 2022, le ministre de l'Intérieur n'a pas reconnu avoir annoncé trop vite, dimanche, l'expulsion d'un étranger initialement arrêté dans le cadre de l'enquête menée à la suite de la violente agression de policiers, mercredi, à Lyon. L'homme, placé en garde à vue puis relâché, a été blanchi dans ce dossier. Gérald Darmanin a pourtant confirmé l'expulsion de cet homme de 26 ans, selon Le Progrès, justifiant qu'il s'agissait d'un "étranger qui n'a pas de papier sur le sol national", comme il l'a indiqué mardi matin au micro de RTL. Depuis plusieurs jours, l'ordre d'expulsion prononcé par le ministre de l'Intérieur fait polémique. Pourquoi ? Est-il dans son droit ? Quelles sont les raisons de cette décision ? Eclairage sur une simple interpellation devenue véritable affaire politique.
Agression de 3 policiers à #Lyon : Gérald Darmanin assume son tweet. "Je ne regrette absolument rien" #RTLMatin pic.twitter.com/Cao8D4zPMu
— RTL France (@RTLFrance) July 26, 2022
Interpellation d'un étranger, tweet de Darmanin... Que s'est-il passé ?
Dimanche 24 juillet 2022, Gérald Darmanin annonce en grandes pompes sur les réseaux sociaux qu'un homme, étranger, a été interpellé à Lyon à la suite d'une violente attaque contre des policiers dans le quartier de la Guillotière. L'individu arrêté a alors été placé en rétention et sera expulsé "sur mon instruction" écrit le ministre de l'Intérieur. Le patron de Beauvau fait clairement le lien entre ladite personne et l'agression des forces de l'ordre dans la préfecture du Rhône.
Mais, un peu plus tard dans la journée, le parquet de Lyon infirme les propos de Gérald Darmanin, indiquant que "la personne placée en garde à vue (dans le cadre de cette enquête, ndlr) […] a été libérée" et "qu'elle a été totalement mise hors de cause" sur ce dossier. Gérald Darmanin a donc trop vite écrit, même si son entourage a confirmé le placement en rétention de l'homme concerné en raison d'un important casier judiciaire. "Vol, violences, menace de mort sur personne dépositaire de l'autorité publique, détention de drogues, violences en réunion… cet individu n'a rien à faire dans notre pays qui est généreux si on le respecte", s'est tout de même justifié le ministre, faisant valoir d'obligation de quitter le territoire dont fait l'objet l'homme de 26 ans. Gérald Darmanin est-il "passé outre l'État de droit en prévoyant d'expulser un délinquant étranger sans attendre le résultat des investigations" comme l'a affirmé Eric Piolle, le maire EELV de Grenoble ?
En lien avec les événements ou non, connu pour de nombreuses mises en cause: vol, violences,menace de mort sur personne dépositaire de lautorité publique, détention de drogues, violences en réunioncet individu na rien à faire dans notre pays qui est généreux si on le respecte https://t.co/UMetCoe3zf
— Gérald DARMANIN (@GDarmanin) July 24, 2022
Qui peut décider de l'expulsion d'un étranger ?
En France, deux autorités sont compétentes pour acter l'expulsion d'un étranger : l'autorité administrative (l'Etat) et l'autorité judiciaire. Le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit en effet que "l'autorité administrative peut décider d'expulser un étranger lorsque sa présence en France constitue une menace grave pour l'ordre public." Gérald Darmanin ou les préfets peuvent donc acter le renvoi d'une personne, sauf exceptions.
Il faut savoir que ce type de décision ne se prend pas à la hâte. Elle est "encadrée et doit être justifiée", précise Service public. Bien souvent, c'est le casier judiciaire de la personne en question qui peut motiver une telle décision. En cas d'espèce, ladite personne a été condamnée plusieurs fois. Toutefois, une expulsion peut être décidée même si aucune condamnation pénale n'a été prononcée à l'encontre de l'individu. Mais il n'existe pas une liste de "critères" qui, s'ils sont "remplis", aboutissement à l'expulsion de la personne. "Représenter une menace grave pour l'ordre public" est le seul cadre -on ne peut plus vaste- qui soit inscrit dans la loi.
Par ailleurs, la justice peut également prononcer une telle sanction, même si le terme n'est pas le même. En effet, un juge pénal peut condamner une personne à une interdiction du territoire français dans le cadre d'un délit ou d'un crime, comme le dispose le même code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Autrement dit, séjourner dans l'Hexagone revient à être un délit pour l'individu. Tant le ministère de l'Intérieur que la justice peuvent donc ordonner à une personne de quitter le territoire français.
Qui a décidé de l'expulsion de l'homme mis en cause à Lyon ?
Concernant l'affaire de Lyon, Gérald Darmanin s'est-il substitué à la justice en annonçant l'expulsion d'un homme placé en garde à vue dans le cadre de l'enquête liée à l'agression de policiers ? La réponse à cette question doit être nuancée, car elle recoupe plusieurs éléments : le ministre de l'Intérieur n'a pas à intervenir dans l'enquête judiciaire sur les incidents à Lyon : ce sont les juges qui se prononcent. Mais le ministre de l'Intérieur est dans son plein droit lorsqu'il annonce que ladite personne sera expulsée sous son autorité (comme expliqué plus haut).
Si Gérald Darmanin a annoncé expulser l'individu âgé de 26 ans, ce n'est pas lui qui en a décidé ainsi dans cette affaire. En effet, l'homme faisait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français depuis cinq mois, une décision prise par le préfet que le ministre de l'Intérieur a sans doute découvert en se penchant sur le dossier. Gérald Darmanin n'a donc qu'indiqué que cette décision serait bien exécutée.
Mis hors de cause, pourquoi l'homme sera-t-il tout de même expulsé ?
L'affaire a pris un tournant politique et la cacophonie s'est emparée de l'espace. L'homme de 26 ans qui fait l'objet de nombreux commentaires depuis dimanche avait été initialement interpellé samedi, soupçonné d'être l'un des agresseurs des policiers pris à partie à Lyon, mercredi. Mais l'homme a été relâché car "totalement mis hors de cause dans le cadre des investigations menées" sur ce dossier précis a indiqué le parquet de Lyon. Dans cette affaire, la personne ne peut donc pas être inquiétée.
En revanche, son expulsion a été prononcée en raison de son passif. Principalement de l'obligation de quitter le territoire français dont elle fait l'objet depuis le début de l'année, mais dont le motif précis n'est pas connu. Une OQTF est prononcée dans le cadre d'une entrée irrégulière sur le territoire, d'une expiration du visa, d'un refus de renouvèlement du titre de séjour, d'un travail sans autorisation ou encore d'une menace pour l'ordre public consécutive à une arrivée en France depuis moins de trois mois.
Si la situation exacte n'a pas été précisée, le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, a expliqué que "cet homme a déjà été condamné à de nombreuses reprises", Gérald Darmanin ayant de son côté détaillé le casier de l'individu : "vol, violences, menace de mort sur personne dépositaire de l'autorité publique, détention de drogues, violences en réunion." C'est pour ces raisons là que l'homme va être expulsé et non en raison de l'agression de policiers à Lyon, dont il fut mis en cause avant d'être blanchi.
Compte-tenu de l'OQTF, Gérald Darmanin ne fait donc que mettre en oeuvre l'expulsion déjà actée de l'homme. "Depuis un an, il aurait dû accepter l'idée de partir puisque cela fait un an qu'on lui dit qu'il faut qu'il quitte le territoire national. Il est multirécidiviste et cette personne a été arrêtée dans une opération de police comme on en fait tous les jours", a-t-il commenté sur RTL.