Karting à la prison de Fresnes : ce que dit l'enquête après la polémique Koh-Lanta

Karting à la prison de Fresnes : ce que dit l'enquête après la polémique Koh-Lanta FRESNES. Le rapport sur l'enquête administrative diligentée à la suite de l'organisation d'activités sur le modèle de Koh-Lanta à la prison de Fresnes (Val-de-Marne) a été publié. Organisation, financements, responsabilités… Ce qu'il en ressort.

Après la polémique, le gouvernement tente d'éteindre l'incendie et de se dédouaner. Tandis que la diffusion d'une vidéo d'activités organisées à la prison de Fresnes (Val-de-Marne) sur le même modèle que l'émission TV Koh-Lanta a suscité de nombreuses réactions, Eric Dupond-Moretti et le ministère de la Justice n'apparaissent pas directement en cause. Un feu vert a bien été donné par la Chancellerie pour l'organisation d'une telle journée, mais le détail des activités prévues n'avait pas été remonté jusqu'à la place Vendôme. La direction interrégionale des services pénitentiaires de Paris n'avait pas été mise au courant "du contenu précis des modalités de l'événement" indique un rapport sur l'évènement réalisé par la secrétaire générale du ministère et le directeur adjoint de l'administration pénitentiaire, dont plusieurs médias ont eu connaissance.

Toutefois, le directeur interrégional des services pénitentiaires de Paris aurait indiqué sa désapprobation, sans pour autant que les activités ne soient annulées. " L'ampleur de l'événement a été découverte le jour même " est-il également noté dans le rapport, " aucun élément sur les détails de la manifestation sportive " n'ayant été précisé au préalable. Ainsi, il n'avait pas été fait mention de " l'épreuve de karting et du bassin d'eau " auprès du ministère affirme le rapport, qui écrit donc que " le garde des Sceaux ne pouvait pas davantage en être informé. "

Mais alors, qui est à l'origine des différentes animations auxquelles ont pu prendre part une dizaine de détenus, triés sur le volet ? " L'organisation de la manifestation et le choix des activités ont été gérés en lien direct entre l'association organisatrice et l'établissement pénitentiaire ", est-il précisé, à savoir l'association UNITESS. Le directeur de la prison de Fresnes a bien validé le projet général mais, étant parti en congés, il n'aurait été mis au parfum des activités qu'au dernier moment. Ce dernier a reconnu " avoir commis une erreur d'appréciation ", lui dont l'objectif était de " réaliser une opération caritative basée sur l'effort et les valeurs du sport. "

Enfin, le rapport revient sur le financement de l'opération. Le coût de l'organisation a été entièrement réglé par l'association Unitess, est-il affirmé, écartant ainsi les polémiques sur la gestion de l'argent public. Du budget de la prison de Fresnes, il a été utilisé 2700 euros répartis en trois prix à l'issue de la journée : 1700 euros sont revenus à l'équipe des surveillants, laquelle a remporté les épreuves, 650 et 350 euros aux équipes classées en deuxième et troisième position.

"Kohlantess" à la prison de Fresnes, c'est quoi ?

"Kohlantess" est un concept connu à l'origine de plusieurs événements en banlieue parisienne : des compétitions et des animations entre jeunes de cités et policiers pour récréer du lien. Mais c'est la première fois que Djibril Dramé et Enzo Angelosanto, organisateur et producteur des événements, ont importé leur émission dans un établissement pénitentiaire pour agir pour l'"insertion des détenus". L'un et l'autre expliquent que l'allègement du quotidien des détenus et le travail pour la réinsertion des prisonniers ont motivé l'organisation du Kohlantess à Fresnes. "Toutes les personnes qui sont là le sont pour une bonne raison et la voie de la réinsertion passe par le travail en prison mais nous avons un devoir : ne pas les mettre de côté et ne pas oublier qu'ils sont des humains comme vous", rappelle l'animateur en introduction de l'émission publié sur Youtube. Enzo Angelosanto a exposé un autre objectif de leur émission sur BFMTV : "Le but est d'amener les jeunes en prison pour les sensibiliser à ce qu'est l'incarcération".

Trois équipes se sont affrontées lors du Kohlantess à la prison de Fresnes : une composée de détenus emprisonnés pour de "courtes peines" comme précisé lors de la vidéo, une autre rassemblant des agents pénitentiaires et une troisième équipe représentant les jeunes de banlieue. Tous se sont opposés dans une série de quatre épreuves dont un karting, passage de l'émission qui concentre les critiques. Elles représentaient chacune une association caritative.

Pourquoi l'organisation d'un karting à la prison de Fresnes fait polémique ?

L'événement récréatif organisé à la prison de Fresnes concentre les critiques des politiques de la droite depuis le 19 août et les remarques visent plus particulièrement le karting. "Nos prisons ne sont pas des colonies de vacances dans lesquelles détenus et gardiens tissent des liens d'amitié​", s'est insurgé le député LR Eric Ciotti tandis que d'autres ont rappelé que les prisons sont des lieux de "privation des libertés" où le karting n'a pas sa place. Des figures d'extrême droite ont critiqué l'événement, assurant que l'émission a été financée par les impôts comme le vice-président du RN à l'Assemblée nationale, Hélène Laporte.

Le secrétaire général du syndicat national pénitentiaire Force Ouvrière (FO), Emmanuel Baudin, n'a pas non plus apprécié l'organisation et le financement d'un tel événement : "on a dépensé autant d'argent pour deux détenus sur une prison qui compte plus de 1 000 détenus. C'est l'une des prisons les plus vétustes de France, je pense qu'il y avait autre chose à faire". Une remarque qui s'entend mais ne peut pas servir de critique, le Kohlantess ayant été entièrement financé par une association extérieure.

Cédric Boyer, responsable FO Justice à la prison de Fresnes a questionné l'utilité de l'événement pour la réinsertion des détenus. Selon lui la réinsertion passe par la formation professionnelle, le travail, l'école et l'indemnisation des victimes mais pas sur le pur divertissement. 

Qui était au courant du Kohlantess à la prison de Fresnes ?

"Tout le monde était au courant" du tournage d'un épisode de Kohlantess à la prison de Fresnes a assuré le producteur de l'émission, Enzo Angelosanto sur BFMTV le 22 août. Pourtant le ministre de la Justice n'est pas de cet avis et les premiers éléments de l'enquête administrative semblent aller dans le sans de la chancellerie selon les déclarations d'Eric Dupond-Moretti mardi 23 août. Le ministre a expliqué que l'organisation du tournage de l'émission a été convenue entre la production et la direction de la prison de Fresnes, les parties au contrat, comme l'a dévoilé la chaine d'information en continu. Le ministère n'aurait eu vent que de la mise en œuvre d'une compétition sportive et non de la tenue d'une course de karting, ce que confirme le rapport d'enquête.

Pourtant, Enzo Angelosanto, producteur de l'émission Kohlantess expliquait le 22 août que l'organisation de l'événement a été possible grâce à des accords conclus avec le ministère de la Justice, responsable des administrations pénitentiaires. "On a eu des accords, on était prêts pour le faire, à aucun moment on a pris au dépourvu quiconque, tout le monde était au courant de notre action, on a eu des validations, nous avons signé une convention entre nos parties et l'administration pénitentiaire", a ajouté le producteur. Qui a insisté pour dire que tout a été validé, feuille de route et images de l'émission, "par des représentants du ministère de la Justice affiliés au cabinet".

Le ministère de la Justice ne nie pas avoir été au courant du tournage mais explique que les images de la vidéo ne correspondent pas avec ce qui avait été convenu en amont. Pourtant le cabinet ministériel a pu contrôler les images tournées puisque qu'une équipe de communication était présente à la prison de Fresnes de 27 juillet pour assister à l'émission, accompagner les journalistes et valider les images avant leur diffusion. Ce qui sous-entend que les vidéos du karting ne sont pas une surprise pour le ministère. D'autant plus que, selon le Figaro, le contenu de la vidéo a été vérifié par la Direction de la communication du ministère de la Justice, entrainant un retard de la diffusion de l'émission sur Youtube.

Et concernant le garde des Sceaux ? Eric Dupond-Moretti n'était pas personnellement au courant de l'organisation du Kohlantess selon le ministère. Selon les informations de BFM TV, la version du ministre de la Justice serait exacte. Les journalistes de la chaîne d'information en continu ont dévoilé une partie du rapport le disculpant : "Il résulte de l'ensemble de ces éléments, que ni la direction de l'administration pénitentiaire, ni le cabinet du garde des Sceaux, ni la DICOM du Secrétariat général du ministère de la Justice n'avaient une connaissance des modalités précises de l'activité Koh Lantess organisée au centre pénitentiaire de Fresnes le 27 juillet 2022. L'ampleur de l'événement a été découverte le jour même."

Pourquoi la vidéo du Kohlantess à la prison de Fresnes a été supprimée ?

Seulement trois jours après la publication de la vidéo du Kohlantess à la prison de Fresnes, des "images choquantes" selon le ministre de la Justice, l'équipe de production de l'émission a annoncé dans un communiqué publié dans la soirée du 22 août la suppression de la vidéo expliquant que "la confiance qu['elle a] accordée au centre pénitentiaire de Fresnes ainsi qu'au ministère de la Justice a été rompue".

Les organisateurs de Kohlantess ont appris que deux personnes condamnées pour des crimes, respectivement un viol et un meurtre, ont participé au tournage malgré le souhait de la production de ne filmer que des des détenus emprisonnés pour de courtes peines. Aussi "par respect pour les victimes", l'émission tournée dans la prison de Fresnes a été retirée. Le choix des détenus participants revenait à l'administration pénitentiaire et la production a indiqué ne pas avoir eu connaissance des profils. Le ministère de la Justice qui indiquait déjà ne pas avoir été au courant de l'organisation d'un karting, dit également ne pas avoir été informé des profils des participants à l'émission. 

Avant sa suppression, la vidéo du Kohlantess à Fresnes longue de 25 minutes montraient trois équipes, dont une de détenus, s'affrontant dans une série d'épreuves : quizz de culture générale, parcours d'obstacles, karting ou encore tir à la corde. L'événement poursuivait plusieurs buts : le soutien financier à trois associations caritatives et oeuvrer pour l'insertion des détenus. Cette deuxième explication ne passe pas auprès d'une partie de la classe politique dont le ministre de la Justice qui a jugé que "la lutte contre la récidive passe par la réinsertion mais certainement pas par le karting !"

Qui sont les détenus de Fresnes qui ont participé à l'événement?

La participation de détenus à l'événement de divertissement suscite les critiques mais elle était indispensable selon les producteurs qui souhaitaient "sensibiliser" les jeunes à la vie en incarcération et à l'occasion alléger le quotidien en prison en plus d'œuvrer pour la réinsertion. Les producteurs n'ont pas communiqué sur le nombre de prisonniers qui ont pris part au tournage - l'on sait seulement qu'uniquement deux prisonniers ont pu faire du kart - mais ils ont précisé que tous étaient incarcérés pour de courtes peines.

Un membre de l'équipe de production a insisté et assuré qu'"aucun de ceux qui ont participé n'est un assassin ou un violeur. Ils sont là pour de petites peines. Ils ont été triés sur le volet par l'administration de la prison." L'homme a ajouté que tous les détenus participants "sont dans un parcours de réinsertion, suivent des cours, ont un travail, etc." Durant le tournage, les échanges avec les détenus se sont fait sans accroc et un surveillant pénitentiaire a déclaré dans la vidéo que "les détenus ont joué le jeu, ont été respectueux".

Qui a financé l'organisation du "Kohlantess" à Fresnes ?

Le financement de l'organisation du Kohlantess à la prison de Fresnes est une autre question sur laquelle les esprits se sont échauffés. L'extrême-droite la première a affirmé et accusé Eric Dupond-Moretti d'avoir organisé l'événement avec les impôts des contribuables, à l'instar de Damien Rieu, vice-président du parti zemmouriste Reconquête! Des accusations reprises en chœur par des élus d'extrême droite comme la députée Hélène Laporte. Le ministère s'est défendu d'avoir financé l'événement et a assuré auprès de Franceinfo que l'intégralité du financement était à la charge de la production de Kohlantess : "Il n'y a eu aucun financement des activités de la part de la prison". Les producteurs de l'émission confirment être autonomes pour financer les épisodes de Kohlantess. Un d'entre eux, qui souhaite rester anonyme, a précisé que ce sont des subventions accordées à l'association ou des sponsors qui ont permis de payer l'organisation du Kohlantess. Le rapport sur l'enquête administrative précisé que l'organisation a été entièrement financée par l'association Unitess. 

Reste la question de l'argent reversé aux associations caritatives représentées par chaque équipe. En l'occurrence, c'est la prison de Fresnes qui a versé 2 700 euros aux associations. Une action dont s'est félicité le directeur de l'établissement pénitentiaire Jimmy Delliste. 1 700 euros ont été versés à l'association Arc-en-ciel qui réalise les rêves des enfants malades et défendue par l'équipe des surveillants, 650 euros sont allés au Relais Enfants-Parents, cause soutenue par les détenus et qui permet de préserver le lien entre les parents incarcérés et leurs enfants et enfin 350 euros ont été donnés à l'association Unitess. "L'argent qu'a donné la prison est allé directement aux associations", confirme l'un des organisateurs.