Le "grand espoir" des anti-corridas avec la loi Caron

Le "grand espoir" des anti-corridas avec la loi Caron Alors que la proposition de loi visant à interdire la corrida en France doit être étudiée ce jeudi à l'Assemblée nationale, les opposants à la pratique espèrent obtenir gain de cause. Et jugent que cela va dans le sens de l'histoire, sans véritables conséquences.

Après 30 ans de combat, c'est l'heure du "grand espoir" pour les anti-corridas. Ce jeudi 24 novembre 2022 est débattue à l'Assemblée nationale une proposition de loi visant à interdire la pratique partout où elle est autorisée en France. Un texte porté par Aymeric Caron, député Nupes de Paris. Si l'ambition de l'antispéciste a connu un coup d'arrêt mercredi 16 novembre en commission des lois avec un avis défavorable des députés sur le sujet, les opposants à la tauromachie ne veulent pas perdre espoir. "Cela a envoyé un mauvais signal, mais cela n'a pas de conséquences", tempère Sophie Maffre-Baugé, présidente du Comité de liaison biterrois pour l'abolition de la corrida (Colbac).

Deux Français sur trois du sud-ouest opposés à la corrida

A Béziers, l'une des principales places de la tauromachie française, quatre corridas sont organisées chaque année, autour du 15 août, à l'occasion de la féria. Ce à quoi il faut ajouter deux novilladas (corridas avec des toreros et taureaux plus jeunes), ainsi qu'un gala taurin à l'automne. Autant d'occasions pour cette association, et d'autres, de manifester leur opposition à la pratique. Mais les rassemblements ne réunissent que quelques dizaines de personnes, comme le reconnaissent elles-mêmes les organisations. "Symboliquement, il n'y a pas besoin que l'on soit 50 000. C'est plus symbolique. Ce n'est pas le nombre qui compte, mais le nombre qu'on représente", explique Thierry Hély, président de la Fédération des luttes pour l'abolition des corridas (Flac).

Ce militant fait référence au pourcentage de Français opposés à la tauromachie. 87% selon un sondage Ifop commandé par l'Alliance anti-corrida en septembre 2021, 74% selon ce même institut, pour le Journal du dimanche, en novembre 2022. Une opposition qui tombe à 69% dans le sud-ouest détaille la première enquête. La deuxième ne livre pas de détails géographiques précis. Dans le sud-ouest, 1 personne sur 3 a donc tout de même de l'intérêt pour la pratique.

"Imaginez si on avait conservé toutes les traditions cruelles..."

A travers leurs actions, les anti-corridas veulent "visibiliser notre cause, occuper le terrain médiatique et faire pression sur la municipalité", ajoute Sophie Maffre-Baugé. Une mairie qui, à Béziers, défend ardemment la pratique, malgré un premier édile, Robert Ménard… végétarien, qui "déteste" la tauromachie, mais qui la "défend mordicus parce que ça fait partie de cette culture du Sud" (France Bleu Hérault, le 13 août 2022) et toujours présent aux premières loges pour assister aux courses. Un antagonisme que ne manque pas de souligner la militante. "Tout le monde a conscience que c'est cruel, barbare, mais personne n'a le courage de froisser le monde taurin", commente celle qui s'est engagée dans le combat anti-corrida depuis que, jeune, elle a "réalisé ce qu'il se passait." "C'est un petit milieu mais influent. Ce sont des chefs d'entreprise, des acteurs de l'économie. Ils sont assez importants et les politiques n'osent pas aller à l'encontre du pouvoir qu'ils peuvent représenter", poursuit-elle. "Robert Ménard veut protéger les notables, des gens influent, qui vont aux arènes", ajoute Thierry Hély.

Les politiques élus dans les places fortes de la tauromachie française (Nîmes, Arles, Béziers, Dax, Mont-de-Marsan) ménagent le monde taurin et le financent, brandissant fièrement l'argument de la tradition, inaudible chez les antis. "Qu'il y ait une histoire de la tauromachie, une tradition, on ne le nie pas. Mais ce n'est pas une justification. La corrida est un sujet qui clive. Ce n'est pas un sujet qui rassemble, c'est une culture qui implique la souffrance animale", se désole Sophie Maffre-Baugé. Et Thierry Hély d'embrayer : "Imaginez si on avait conservé toutes les traditions cruelles ! Avant, on se rassemblait pour brûler les chats. Il y avait aussi le supplice de la roue. Elles ont toutes disparu."

Pour les associations anti-corridas, la tauromachie est "un cas unique au monde." "La corrida, c'est le seul cas où 10 000 personnes assistent à la lente agonie d'un animal innocent qui n'a rien demandé", commente Thierry Hély. Il ajoute : "Pour moi, c'est le dernier vestige des jeux du cirque, à l'époque de Rome où le sang animal, et parfois le sang humain, coulait avec une foule sans compassion, dans un spectacle esthétisé." "Comment peut-on tolérer de tels actes de cruauté, accepter moralement et éthiquement de telles souffrances pour divertir ?", s'emporte Sophie Maffre-Baugé.

Obstruction parlementaire sur la proposition de loi

Ainsi, il est apparu incompréhensible pour ces défenseurs de la cause animale que le texte d'Aymeric Caron ait été rejeté en commission des lois. "On est très étonnés. On a confiance en la politique. On se dit qu'à partir du moment où il y a une volonté très forte d'abolir et que la cruauté est avérée, on se dit qu'une telle pratique ne devrait pas avoir de difficultés à être abolie en 2022", regrette la Biterroise. "C'est une première bataille que nous n'avons pas remportée, mais il y a d'autres étapes", philosophe Thierry Hély.

Ce jeudi, la proposition de loi devrait être discutée, sans garantie qu'elle ne puisse être votée. Avant ce texte, trois autres feront, auparavant, l'objet de discussions au sein de l'hémicycle et un grand nombre d'amendements doivent être étudiés à chaque fois. Sur le seul sujet de la corrida, 567 ont été déposés. Obstruction parlementaire dénonce-t-on dans les rangs de La France insoumise, car à minuit, la séance sera levée, et ne pourra être prolongée. Si elle n'est pas soumise au vote, la proposition de loi sera repoussée sine die. "On est très mesurément optimistes", reconnaît Thierry Hély, de la Flac.

"On peut se passer de corrida sans préjudice économique"

Si des députés (uniquement les députés LFI ont signé le texte d'Aymeric Caron, un seul étant élu sur une terre taurine, Michel Sala, à Alès dans le Gard) veulent aujourd'hui mettre fin à la corrida, il va sans dire que les arènes font moins le plein. Les professionnels du secteur l'avouent à l'heure de faire les bilans à l'issue des férias : des petites baisses, mais constantes, sont enregistrées chaque année. Difficile de réunir désormais 10 000 personnes, si ce n'est lors de la venue des plus grands matadors du moment. Une mort lente et indéniable ? Pas si sûr pour les antis, qui veulent inscrire dans le marbre l'interdiction de la tauromachie. "Il faut légiférer car si elle meurt toute seule, elle peut aussi renaître de ses cendres. On dit que ce ne serait pas acceptable, mais on n'a pas le courage de l'abolir", cingle Sophie Maffre-Baugé.

Dans le monde taurin, l'épée qui plane au-dessus de la corrida laisse surtout craindre des difficultés économiques pour tout un secteur, à commencer par les éleveurs de taureaux de combat. Cependant, même s'il "faut se pencher sur la reconversion économique des acteurs de la corrida", concède la militante, ces derniers "ne seraient pas en danger puisque les éleveurs ont d'autres activités en parallèle car le seul élevage du taureau de combat n'est pas rentable", pointe la Biterroise. Les deux représentants affirment par ailleurs que toutes les plazas de toros sont déficitaires. "S'il n'y avait pas ce soutien moral et financier de la municipalité, il n'y aurait pas de corrida", avance Sophie Maffre-Baugé.

Au-delà de la tauromachie, la fréquentation des férias pourrait également pâtir de la fin des courses selon les aficionados. Argument réfuté par les opposants. "Quand ils disent que les férias rapportent des millions de bénéfices, ils font l'amalgame entre féria et corrida. Sur la dernière féria de Nîmes, 4% sont allés aux arènes. On peut se passer de corrida sans préjudice économique. C'est la féria qui génère de l'économie", tranche Thierry Hély. Pour Sophie Maffre-Baugé, cela pourrait même avoir l'effet inverse et "ramener plus de monde dans les férias."