Grève spontanée en Corse : jusqu'à quand les aéroports et les ports vont-ils être bloqués ?
Les transports vers et depuis la Corse sont fortement perturbés depuis ce jeudi 3 octobre. Le syndicat des travailleurs corses (Sindicatu di i travagliadori corsi, ou STC) a déclenché un mouvement de grève "illimité", menant au blocage de six ports et quatre aéroports sur l'Île de Beauté. "Tous les ports et aéroports de Haute-Corse sont toujours bloqués ce matin", a indiqué vendredi la préfecture de Haute-Corse à l'AFP, repris par La Provence.
Certains chanceux ont pu prendre le bateau à 11 heures vers Toulon depuis Bastia, et quelques vols ont décollé ce matin des aéroports de Bastia, Ajaccio, Figari et Calvi, détaille France 3 Corse ViaStella. Mais ces avions ont pu partir en raison de la continuité territoriale, pour permettre aux personnes nécessitant des soins de rejoindre les hôpitaux du continent. Les autres vols ont été annulés. Air Corsica fait part de 14 annulations ce vendredi.
Un malentendu à la base du conflit ?
Pourquoi la situation s'est-elle subitement enflammée en Corse ? Lors de l'assemblée générale extraordinaire de la chambre des commerce et d'industrie (CCI) qui s'est tenue jeudi à Ajaccio, Alexandre Patrou, secrétaire général pour les Affaires de Corse et représentant du préfet, a tenu des propos "inacceptables", estime le STC. Alexandre Patrou a émis des doutes sur la création de deux syndicats mixtes ouverts (SMO) portuaire et aéroportuaire d'ici la fin de l'année. Cette création permettrait d'accorder des concessions à la CCI insulaire afin qu'elle puisse continuer de gérer les ports et aéroports de l'île à partir du 1er janvier 2025, explique La Provence. Pour le représentant du préfet, cela présenterait "un risque juridique important". Il estime que le dispositif ne peut "pas contourner l'appel d'offres" prévu pour tout marché public.
Des propos qui sont mal passés du côté de Gilles Simeoni, président autonomiste du conseil exécutif de l'île. "C'est une déclaration de guerre et je vous le redis, pour moi ce n'est pas négociable, il n'y aura pas de groupes internationaux qui gèreront les ports et les aéroports de Corse", s'est-il emporté jeudi. Il a dénoncé "la décision que vient d'annoncer aujourd'hui l'État, en catimini, sans nous prévenir et en reniant son engagement et sa parole". Suivant ce coup de gueule, les syndicats de la CCI, emmenés par le STC, ont lancé un mouvement de grève spontané.
"Il ne s'agit aucunement d'une sentence", a néanmoins répondu Alexandre Patrou, devant l'assemblée. "C'est simplement l'évocation d'une fragilité juridique qui a été relevée. C'est simplement un éclairage que l'on vous apporte."
Des emplois menacés ?
Mais est-ce que ces blocages s'expliquent uniquement par ce conflit politique ? Selon La Provence, une difficulté financière serait derrière le contentieux. Gilles Simeoni réclame en effet 50 millions d'euros supplémentaires à l'État afin de compenser l'inflation. Le président du conseil exécutif de la Corse estime qu'elle n'était pas prise en compte dans la somme allouée par l'État pour assurer la continuité territoriale entre l'île et le continent. Et le nouveau gouvernement tarde à donner une réponse.
"La réindexation n'est pas donnée et elle est due, ce n'est pas quémander que de le rappeler", a affirmé vendredi Gilles Simeoni à l'Assemblée de Corse. Fin septembre, il avait prévenu que si cette dotation n'était pas accordée, "nous serons dans l'impossibilité de maintenir l'exécution des contrats de délégation de service public dans les domaines maritime et aérien", ce qui menacerait "des centaines d'emplois directs", notamment chez Air Corsica, Air France, Corsica Linea, La Méridionale, ainsi que "des milliers d'emplois indirects".
Les risques d'un blocage trop long en Corse
Difficile pour l'heure de savoir combien de temps dureront les blocages. La situation pourrait se régler rapidement si le contentieux politique se résout, ou traîner en longueur en l'absence de solution ou d'accord. D'autant qu'aucun blocage de cet ampleur n'a touché l'île depuis 19 ans. Ce vendredi matin, certaines enseignes ont déjà été prises d'assaut par les Corses, qui prennent les devants. Par le passé, les blocages des ports avaient provoqué une pénurie de denrées dans les supermarchés. L'Île de Beauté importe 95% des marchandises du continent, rappelle Le Monde.
Dans l'attente de la reprises des voyages, plusieurs personnes sont retenues sur l'île. Jeudi soir, la préfecture a mis à disposition des passagers bloqués à l'aéroport de Bastia un gymnase. Les voyageurs ont passé la nuit sur des lits de camp, et ne savent pas quand ils pourront partir. Certains passagers sont même bloqués en mer, et confinés dans des navires Corsica Ferries ne pouvant pas débarquer depuis jeudi. "On devait débarquer hier à 18h30", a témoigné Solange, l'une des passagères à France 3. Un retard qui pourrait bien virer au cauchemar, si rien n'est fait. "Nous avons des personnes sur le bateau qui sont en manque de traitement", réagit Anthony, coincé lui aussi sur un bateau. Il cite des passagers ayant besoin d'oxygène, des personnes diabétiques ou handicapées. "On ne peut pas laisser les gens dans cet état."
Dans un communiqué venant de l'ensemble des passagers de l'un des navires, il est écrit : "Il est essentiel que nos droits soient respectés, et que les besoins de certaines personnes à bord soient pris en considération. Cette situation ne peut pas perdurer. Nous demandons une action rapide."