Soumission chimique : ces témoignages qui révèlent l'ampleur du phénomène

Soumission chimique : ces témoignages qui révèlent l'ampleur du phénomène L'affaire Pélicot a levé le voile sur la soumission chimique. Si cette technique consiste à droguer une personne pour en abuser, les témoignages mettent en avant la diversité des cas dans lesquels les victimes ont été visées et les multiples conséquences.

La soumission chimique est "le secret le mieux gardé des violeurs". C'est ce qu'affirme Caroline Darian, la fille de Gisèle Pélicot qui a été droguée et violée par son mari et une cinquantaine d'inconnus, dans le documentaire Soumission chimique : pour que la honte change de camp réalisé par Linda Bendali et diffusé ce mardi 21 janvier sur France 2. Dans ce film, la fille du couple Pélicot, qui est convaincue d'avoir également été victime de son père, revient sur le calvaire subi par sa mère pendant au moins une dizaine d'années sans que cela ne se sache. Mais elle n'est pas la seule à témoigner sur ce mode opératoire, dont on ne parlait quasiment pas avant 2022 et le début de l'affaire Pélicot. Plusieurs victimes reviennent sur les agressions qu'elles ont subies et si toutes ont été droguées, aucune ne raconte un récit identique.

Rares sont les victimes qui disent avoir été droguées au GHB - une substance surnommée la "drogue du violeur" - en discothèque. Cette menace, si elle est bien réelle, est loin d'être la seule à devoir être prise en compte. "Ca arrive beaucoup plus fréquemment qu'il n'y paraît", assure Rénald, un des témoins du documentaire, et dans d'autres circonstances.

Les agresseurs peuvent venir de tous les horizons et les psychotropes utilisés peuvent aussi bien être des drogues illégales que des médicaments disponibles en pharmacie et parfois sans ordonnance. Les somnifères, les anxiolytiques ou les antihistaminiques sont autant d'options pour soumettre quelqu'un chimiquement. Zoé, une médecin devenue militante et elle-même victime de soumission chimique lorsqu'elle avait 15 ans, confie s'être étonnée de voir que "les produits les plus utilisés par les violeurs sont de ceux qu'[elle prescrit] tous les jours" dans le film de Linda Bendali.

Un seul mode opératoire pour des agressions très différentes

Les témoignages rapportés dans Soumission chimique : pour que la honte change de camp évoquent des viols et des agressions perpétrés par un employeur, un collègue, une connaissance ou un membre de la famille. Certaines victimes racontent également avoir été agressées par des inconnus.

Quant aux drogues utilisées, difficile pour les victimes de les identifier avec précision mais force est de constater que les effets ne sont pas toujours les mêmes. Certains intervenants du documentaire affirment avoir été conscients lors de l'agression mais immobilisés par soumission chimique : "Je criais à l'intérieur mais aucun son ne sortait de ma bouche, j'étais enfermé dans mon corps", raconte Rénald, agressé à 17 ans en boîte de nuit par une connaissance dont il avait repoussé les avances. Mais la plupart des victimes disent avoir perdu conscience, souffrir d'amnésie et de trous noirs. Selon les chiffres cités par France Télévisions, une victime de soumission chimique sur deux ne se souvient de rien. Pour elle, "le viol sous soumission chimique [...] ne laisse pas de traces", explique Caroline Darian.

Dans un cas comme dans l'autre, les drogues et les médicaments rendent les victimes totalement impuissantes pour se débattre et parfois, ils effacent même les souvenirs de l'agression. Mais comment se défendre et obtenir justice d'une violence qu'on ignore avoir subi ? Et comment en prendre conscience ? C'est là une des difficultés rencontrées par les victimes de soumission chimique.

La soumission chimique difficile à détecter

Consulter un médecin pour des douleurs ou des troubles causés par l'agression, le viol ou les substances ingérées n'est pas la garantie de mettre le doigt sur une soumission chimique, l'affaire Pélicot l'a démontré. "Le fait que Gisèle Pelicot ait, des années durant, consulté pour des troubles neurologiques et que personne n'ait recherché chez elle des traces de toxiques m'a interrogée. En en parlant avec mes consœurs du cabinet, il a bien fallu reconnaître que nous non plus n'y aurions pas pensé", reconnaît Zoé dans le documentaire. Même une suspicion du médecin, une analyse d'urine et/ou de sang ne peut être concluante que les quelques jours suivant l'ingestion de drogue. Passé ce délai, plus aucune trace n'est détectable. Seule une analyse capillaire permet ensuite d'évaluer la toxicologie, mais l'examen coûte cher et n'est pris en charge qu'en cas de dépôt de plainte.

Plus qu'une difficulté, c'est un traumatisme supplémentaire. "L'amnésie partielle ou totale que les médicaments induisent engendre un traumatisme obligeant les victimes à travailler en psychothérapie non sur un souvenir traumatique, mais sur l'absence traumatique de souvenir. Contrairement à ce que l'on peut croire, les trous noirs ne sont pas protecteurs et peuvent ressurgir à tout moment", explique une des victimes dans le documentaire. La soumission chimique peut conduire des victimes à vivre avec des doutes et sans que jamais le mal qui leur a été fait soit reconnu, ni le coupable puni.