De la propagande derrière un spectacle historique ? Les "Murmures de la Cité" posent problème selon les historiens
La fresque historique s'annonce d'ampleur… avec plus de 300 figurants. Le spectacle Murmures de la cité provoque de vives polémiques avant même qu'il soit représenté du 11 au 13 juillet à Moulins dans l'Allier. Il entend mettre en scène l'Histoire de France de Vercingétorix à la Seconde Guerre mondiale, en passant par Napoléon, mais se voit reprocher une lecture idéologique des événements du passé. Depuis plusieurs mois, les critiques se font entendre pour dénoncer une vision nationaliste partagée à dessein. D'autant que le spectacle a fait l'objet de subventions et de financements controversés.
Tout commence il y a plusieurs mois, quand le député communiste de la 1er circonscription de l'Allier, Yannick Monnet, dénonce la tenue d'un important spectacle dont le financement par des forces d'extrême droite l'interroge : "Pierre-Édouard Stérin mobilise des moyens financiers importants pour faire en sorte que l'extrême droite arrive au pouvoir […] Et quand on fait le choix d'être financé par Pierre-Édouard Stérin, ça veut dire qu'on fait le choix de participer à son projet politique" explique le député sur France info. L'élu, qui se présent comme "lanceur d'alerte", critique aussi la présence du Fonds du Bien Commun parmi les partenaires financiers du spectacle. Il s'agit d'un fonds mis sur pied par le même Pierre-Édouard Stérin, un milliardaire conservateur et proche de l'extrême droite qui a réfléchi à un plan pour "la victoire" de l'extrême droite.
Pour se défendre, le président de Murmures de la cité Guillaume Senet critique les accusations dont le spectacle fait l'objet : "Peut-on dire que l'Histoire de France soit d'extrême droite ? Faut-il être d'extrême droite pour aimer la France ? Je n'en suis pas convaincu et c'est pour cela que j'ai décidé de créer Murmures de la cité. Je pense qu'on peut réunir un peuple derrière l'Histoire de France", affirme-t-il. L'initiateur du spectacle semble cependant lui aussi proche des cercles conservateurs et nationalistes : il est président de l'association chrétienne et conservatrice Sophia Polis, dont l'université d'été accueillera des figures d'extrême droite Bruno Gollnisch ou Jean-Yves Le Gallou.
Par ailleurs, Guillaume Senet dénonce aussi des comportements suspects à l'égard des bénévoles, partenaires ou commerçants qui l'accompagnent dans ce projet de spectacle. "Il y a des élus de gauche qui sont allés dans les commerces de Moulins pour retirer les affiches du spectacle. Des figurants se sont fait agresser dans les marchés", s'indignait-il dans un article du JDD publié fin juin.
"Leur optique est ouvertement anti-républicaine"
D'autres critiques du spectacle historique se sont fait entendre depuis, notamment les voix de plusieurs historiens. Vincent Présumey, responsable du syndicat FSU, professeur d'histoire à Moulins, est opposé au spectacle. Il a récemment porté plainte pour menaces de mort. Il explique à France info que "l'optique" des Murmures de la Cité "est ouvertement anti républicaine". : "La Révolution est présentée comme un épisode très regrettable qui heureusement a été rattrapé par Napoléon. Et dans leur propre fascicule de présentation, l'année 1940 est présentée comme une année de résilience de la France. On peut quand même s'interroger là-dessus", soulève-t-il.
Dans une tribune publiée sur Mediapart, d'autres spécialistes de l'Histoire estiment que le spectacle ne respecte pas les "faits établis" : "Le déroulement annoncé de l'œuvre est manifestement orienté vers les capacités de la nation française à repousser les envahisseurs au cours de son histoire. Ce constat constitue une erreur historique fondamentale pour qui s'intéresse aux faits établis par la communauté scientifique", est-il écrit dans la tribune. "L'Histoire de la France, telle que présentée, nous apparaît en effet lacunaire et biaisée", ajoutent les signataires. Un biais repéré dans les versions des faits présentés répondant à une idéologie nationaliste, mais aussi à la "sélection des personnages historiques retenus pour le spectacle qui "illustre des choix a minima dépassés, voire purement idéologiques". Les historiens accompagnent leur remarque d'une liste non exhaustive des "personnages religieux ou symboliques d'une vision nationaliste de l'Histoire" qui apparaissent dans le spectacle : Vercingétorix, Clovis, Saint-Mayeul, Saint-Odilon, Jeanne d'Arc, Sainte-Jeanne-de- Chantal, ou encore Napoléon.
Dans leur tribune, les spécialistes demandent à ce que le spectacle, qui "affiche une ambition historique" sans que les noms des experts consultés pour assurer cette garantie soient dévoilés, fasse l'objet d'un avertissement précisant "qu'il s'agit avant tout d'une fiction et non d'une quelconque reconstitution historique fiable et représentative de l'Histoire de "la France".
Guillaume Senet de son côté n'a pas à se plaindre de la publicité offerte par les polémiques sur son spectacle. Celui-ci affiche d'ailleurs complet. De nouvelles dates devraient être bientôt annoncées.