"Le décès de mes parents a eu un impact sur Élémentaire" : Interview du réalisateur Peter Sohn
Après les jouets, les voitures, les insectes, les monstres ou encore les poissons, Pixar s'aventure du côté des éléments. Élémentaire est le petit dernier du studio à la lampe rebondissante, et sort dans les salles de cinéma françaises ce mercredi 21 juin 2023. Les spectateurs vont pouvoir découvrir la romance entre Flam, représentante du feu, et Flack, être d'eau. Au-delà de cette histoire d'amour entre deux personnages que tout oppose, le nouveau film Pixar propose une métaphore touchante et sincère sur l'immigration et le poids que les parents transmettent à leurs enfants.
A l'occasion de la sortie d'Élémentaire, nous avons rencontré son réalisateur, Peter Sohn, à qui l'on doit notamment Le monde d'Arlo. Le cinéaste, qui s'est inspiré de sa propre histoire pour écrire son dernier film, revient sur les difficultés qu'a représenté ce film très personnel et sa particularité au sein de la grande famille de films Pixar. Notre interview ci-dessous.
D'où vous est venue l'inspiration et l'histoire d'Élémentaire ?
Peter Sohn (réalisateur) : Elle m'est venue il y a sept ans. Je suis retourné à New York, d'où je viens, pour faire un discours sur l'art et Pixar. J'ai invité mes parents à cet événement, nous étions tous habillés avec nos plus beaux costumes. Puis, je suis monté sur scène, je les ai vus et j'ai pleuré parce que j'ai vu à quel point ils étaient vieux et à quel point ils avaient travaillé dur pour en arriver là. J'ai été très touché par cela. J'ai mis de côté le discours que j'avais préparé et j'ai simplement dit : "Maman, papa, merci beaucoup pour tout le travail acharné et les sacrifices que vous avez faits pour nous offrir à mon frère et à moi une vie ici." J'étais très ému. Je ne sais pas si vous l'avez fait dans votre vie, mais le fait de manifester physiquement sa gratitude a eu un véritable impact sur moi. Je suis retourné chez Pixar, j'ai raconté cette histoire, et ils m'ont dit : "Peter, voilà le prochain film que tu dois faire." Et c'est ainsi que tout a commencé.

Qu'est-ce que ça fait de tisser une histoire aussi personnelle et complexe dans un monde fantastique ?
Je pense que c'était très naïf de ma part. Je savais, je pense, que développer un tel film pouvait devenir compliqué lorsque celui--ci s'inspire d'une histoire personnelle. Parce que lorsque c'est trop personnel, il est très difficile de la changer pour le bien du film, il est très difficile de dire : "non, non, ce n'est pas comme ça que ça doit se dérouler".
Par contre, je n'ai jamais voulu faire une autobiographie. Tous ces éléments inspirés de ma vie personnelle étaient vraiment de petites graines qui, je l'espère, résonnaient avec l'équipe pour que nous puissions créer une nouvelle histoire, tout en restant objectifs. Maintenant, je n'ai pas réussi à 100% à faire cela. Mes parents sont décédés tous les deux pendant la réalisation de ce film, et il y a eu des moments très difficiles à traverser. Car mes parents étaient vraiment le cœur de ce film.
Et pourquoi avez-vous choisi les quatre éléments pour transposer cette histoire et servir la métaphore de l'immigration ?
Quand j'étais enfant, en cours de sciences, je dessinais toujours des personnages à l'intérieur des cases du tableau périodique des éléments. Cela ressemblait à un immeuble d'appartements, comme ceux où j'ai grandi, et je me moquais d'eux. Puis, lorsque Pixar m'a demandé de commencer ce nouveau film, j'ai intégré une partie de l'histoire d'immigrés de mes parents et leur séjour à New York, et je les ai simplement remplacé par des éléments. Mais je ne pouvais pas utiliser tous les éléments du tableau périodique, c'était trop compliqué, j'ai donc réduit cela aux éléments classiques pour représenter cette métaphore de façon plus visuelle et plus claire.
"Mon père est décédé subitement, et l'histoire a pris une tournure sombre."
Vous avez parlé du décès de vos parents pendant la production, toutes mes condoléances. Est-ce que cela a eu un impact sur le film ou sur l'histoire ?
Oui, cela a vraiment eu un impact. Quand j'ai commencé à écrire le scénario, je voulais faire un film plein d'espoir, amusant, avec des personnages qui se croisent, se mélangent, ne se mélangent pas, et qui construisent leur vie dans un nouvel endroit. Puis, au cours des deux premières années, mon père est décédé subitement, et l'histoire a pris une tournure sombre. Le film n'était plus porteur d'espoir, c'est devenu une histoire de guerre entre une ville et cette famille. Il y avait beaucoup de colère et de haine.
Après avoir terminé cette version, je l'ai montrée à un petit groupe de personnes du studio. Ils ont tous été surpris par sa noirceur et m'ont demandé si c'était ce que j'avais prévu de faire au départ, et j'ai répondu : "Non, non, non, non. Je voulais faire quelque chose d'optimiste." Ensuite, nous avons construit une histoire centrée sur l'amour et la connexion. Puis ma mère est décédée vers la fin de la production, et cela a également eu un autre effet sur moi.
Même si les films Pixar mettaient déjà en scène des relations amoureuses, Élémentaire est une véritable comédie romantique. Pourquoi avez-vous cherché à convoqué ce genre en particulier ?
Lorsque j'ai commencé à dessiné les personnages, j'ai fait un personnage de feu à côté d'un personnage d'eau, et j'ai ressenti immédiatement une tension, il y avait un conflit rien qu'en les dessinant. Cela m'a rappelé une autre histoire personnelle : j'ai épousé quelqu'un qui n'était pas coréen, et les derniers mots de ma grand-mère mourante étaient : "Marie-toi avec une Coréenne !" J'avais une pression énorme depuis mon enfance. J'ai commencé à transposer ce contexte dans la relation entre le feu et l'eau.
Ma première proposition à Disney était : "Et si le feu tombait amoureux de l'eau ?" Dès le départ, il y avait cette dimension romantique. Il s'agissait simplement de trouver un équilibre. Le défi principal de ce film était non seulement de parvenir à raconter une histoire d'amour dans un genre romantique, ce qui est très difficile à faire puisqu'il faut que le public s'attache aux personnages et ressente leur amour, mais aussi de faire de cette histoire un drame familial. Et avec l'ajout de la grande cité des éléments, le défi est devenu de plus en plus complexe... C'était probablement le plus grand défi.

Vous avez évoqué les défis du scénario et du genre, l'animation d'Élémentaire a-t-elle également représenté un défi particulier ?
Je pense que le plus grand défi physique et pratique a été le côté technique de la création de ces personnages. Pixar n'avait jamais eu de personnages composés d'autant d'effets numériques auparavant. Ils étaient habitués à créer des jouets, des voitures, des humains, mais ils n'avaient jamais eu de personnages qui bougeaient autant (même lorsqu'ils étaient statiques). Chaque plan de ce film est un effet numérique, et c'était le plus gros défi.
J'ai donc dû ouvrir la voie et trouver un moyen d'incorporer le feu dans chaque plan du film. L'eau, c'était le plus gros monstre. Une fois que nous avons réussi avec le feu, l'eau posait des problèmes dans chaque plan : lorsqu'on changeait la vitesse des bulles, Flack ressemblait à de la gelée ; lorsqu'on enlevait les reflets, il ressemblait à un fantôme ; lorsqu'il était à la cave, il disparaissait ; lorsqu'il était sur un toit, il devenait si brillant qu'on ne pouvait plus le voir. À chaque plan, c'était un véritable défi.