"Je veux que ça s'arrête" : pourquoi le procès d'Ultia constitue un tournant décisif pour les créatrices de contenu

"Je veux que ça s'arrête" : pourquoi le procès d'Ultia constitue un tournant décisif pour les créatrices de contenu Ce mardi 21 janvier s'est ouvert le procès d'Ultia, streameuse sur la plateforme Twitch et victime de cyberharcèlement sur Internet. Le jugement, attendu début février, pourrait avoir un grand impact sur la question du harcèlement en ligne.

Épuisée face aux innombrables messages de haine qu'elle subit depuis 2021, la streameuse Ultia a décidé de porter plainte. Depuis sa participation à un évènement caritatif, le ZEvent, où elle avait pris la parole contre des propos sexistes, un torrent de violence s'est déferlé sur la jeune femme de 29 ans.

Suivie par près de 280 000 abonnés sur la plateforme de streaming Twitch, Ultia, de son vrai nom Carla, s'est principalement fait connaître en diffusant ses parties des Sims et de divers jeux Nintendo, dont elle est particulièrement fan.

Trois accusés à la barre

Ils sont trois à être venus à la barre depuis le début du procès, ce mardi 21 janvier. Nazim H., soupçonné d'avoir écrit des messages sexistes à caractère sexuel, Nathan F., accusé de menaces de viol, et Edis. M, qui a envoyé des menaces de mort à la jeune streameuse. 

Épuisée face au cyberharcèlement dont elle est victime depuis trois ans, Ultia est apparue très affectée au tribunal : "Je veux que les personnes qui m'ont fait subir ça aient une décision à la hauteur de ce dont j'ai été victime," prononce-t-elle. "Je veux aussi que ça puisse aider les autres femmes, qu'on puisse mieux évaluer les retombées d'un tel harcèlement."

La streameuse de 29 ans a fait face à ses détracteurs pour la première fois depuis 2021. Âgés de 21 à 40 ans, les trois accusés ont tour à tour défendu leurs points de vue. Alors que Edis M. avoue "avoir honte" de se retrouver au tribunal et assure s'être "remis en question" depuis les faits, Nazim H., le plus âgé, défend son comportement envers Ultia : "On ne peut pas s'exprimer librement sur Internet [...]. Il n'y a pas de propos graves dans ce que j'ai dit". Pourtant, l'expertise psychiatrique affirme que la streameuse fait état d'un stress post-traumatique et de huit jours d'ITT. 

Le ZEvent 2021, ou le début de la haine

Tout a commencé lors de l'édition de 2021 du ZEvent, marathon caritatif impulsé par le streamer ZeratoR et réunissant plusieurs dizaines de vidéastes célèbres. Le temps de trois jours, l'ensemble des participants se sont réunis dans une ambiance festive et amicale pour récolter le plus d'argent possible, cette fois-ci pour soutenir Action contre la faim.

Malgré l'engouement suscité par les dix millions d'euros récoltés, le ZEvent n'a pas été une parenthèse enchantée pour tout le monde. Outrée par les comportements misogynes et sexistes du streamer Inoxtag envers l'actrice mexicaine Andrea Pedrero, qui était venue en France pour l'occasion, Ultia n'a pas hésité à intervenir. "C'est une bombe atomique. Elle a 29 ans, je suis encore puceau et c'est moi qui vais la soulever," plaisante Inoxtag juste à côté d'Andrea Pedrero, avant de se reprendre : "Non, je rigole, je rigole"

© Inoxtag

Ultia n'a pas manqué de réagir à cette scène, qui a fortement diverti les spectateurs : "Et on est vraiment en train d'applaudir ? Mais j'ai envie de vomir, en fait. Il (Inoxtag) est avec une meuf en train de lui dire "ouais, passe sous le bureau", "ouais je la soulève". [...] Elle (Andrea Pedrero) parle même pas français, elle comprend rien et elle sourit, et à côté y a des gens dans le chat qui l'insulte."

Ayant eu vent de l'indignation d'Ultia, Inoxtag avait pris l'initiative d'aller la voir pour s'expliquer sur son live : "Je tiens à m'excuser. Il y a plein de gens qui pensent comme toi, je suis désolé. J'espère que tu comprends mes excuses". Un mea culpa qui n'a pas dissipé la colère de certaines communautés Twitch, qui continuent encore aujourd'hui de menacer la jeune streameuse de 29 ans. 

Un cyberharcèlement qui ne faiblit pas

Face à ses agissements, la streameuse a décidé de porter plainte. Un procès s'est ouvert ce mardi 21 janvier. L'opportunité pour Ultia de peut-être tourner la page et conclure le cyberharcèlement dont elle est victime sur l'ensemble de ses réseaux. Un cyberharcèlement qui l'a profondément marquée et chamboulée : "Aujourd'hui je suis suivie, enfin, car je me suis délestée d'une charge qui m'a pris tellement de temps et d'énergie."

Plus que la douleur, c'est l'incompréhension qui s'est emparée d'Ultia : "Tout le monde devrait trouver ça anormal, et pourtant, ces cinq minutes où je m'étonne de la situation (NDLR : lors du ZEvent 2021) me sont quotidiennement reprochées [...]. Je suis fatiguée, j'ai déjà parlé à trois policiers, un gendarme, trois psychiatres, sans compter les rendez-vous avec mon avocate. Je suis épuisée, je veux que ça s'arrête," confie-t-elle au président du tribunal, très émue.

Parce qu'elle est source de haine et de menaces, Ultia a même été écartée de certaines émissions de Twitch, notamment le célèbre talk-show de Domingo, Popcorn : "Il ne voulait pas encaisser ce que ma présence implique," explique la streameuse. "C'est une double peine." Une décision qui entraîne une perte financière (chaque apparition sur l'émission avoisinant les 250€) ainsi qu'une invisibilisation sur Twitch. 

Vers une responsabilisation du monde de Twitch ?

Si Ultia incarne depuis trois ans le cyberharcèlement sur Twitch, l'ensemble des créatrices de contenus sur la plateforme de streaming font régulièrement l'objet de messages de haine. Le sexisme et la misogynie semblent n'épargner aucune d'entre elles.

C'est le cas de Maghla, forte d'un million d'abonnés sur Twitch, qui se présente comme l'une des rares références féminines dans l'univers très masculin de la plateforme. Sur le réseau social X, la streameuse a révélé en 2022, au travers d'une longue série de posts, le calvaire quotidien qu'elle surmonte en silence depuis toujours.

Partagés plus de 38 000 fois sur X, les posts de Maghla sont apparus comme une véritable prise de conscience pour les streamers comme pour leurs communautés. Cette prise de parole a également encouragé plusieurs autres créatrices de contenus à partager leurs témoignages, visiblement similaires, notamment Baghera Jones (691 000 abonnés sur Twitch).

Ultia espère pouvoir éclairer le problème de cyber-harcèlement

Le procès d'Ultia pourra-t-il lui aussi marquer les esprits et responsabiliser les spectateurs grossiers qui pullulent sur Internet ? C'est la première fois qu'une streameuse Twitch fait l'objet d'un tel procès. La médiatisation de l'affaire pourrait renforcer les lois concernant le cyberharcèlement et assurer une meilleure sécurité pour les créatrices de contenu. Le verdict de l'affaire pourrait bien faire jurisprudence et dissuader les internautes d'envoyer des messages de haine sur Internet. 

Qualifiant ce procès d'"emblématique", l'avocate d'Ultia, maître Nathaie Tomasini, souhaite obtenir des "sanctions exemplaires de la part des magistrats", rappelant que sa cliente "a été violemment agressée sur les réseaux sociaux, menacée de mort, menacée de viol, harcelée par vagues successives par des milliers d'internautes"

Le Parquet a requis une peine de deux ans d'emprisonnement avec sursis pour le plus âgé des prévenus, Nazim H., assortie d'une obligation de soins. Pour les deux autres, plus jeunes, il a demandé une peine de douze mois avec sursis et un stage de sensibilisation à la haine en ligne. De plus, une interdiction de contact pendant cinq ans a été requise. Le verdict sera rendu le 12 février.