Big Black Stand at Attica : une BD pour apprendre et comprendre Attica

Big Black Stand at Attica : une BD pour apprendre et comprendre Attica La première page du roman graphique Big Black Stand at Attica, revient sur la mutinerie de la prison d'Attica en1971. Couvert par la télévision, cet évènement a choqué le monde entier par la violence de la répression. Quarante trois morts, 5 000 balles tirées, le bain de sang met fin à quatre jours de pourparlers pacifiques dans un climat de tensions raciales à son paroxysme. Un album crucial pour apprendre, comprendre et progresser.

C'est la mutinerie qui a choqué le monde dans les années 1970. Racontée par le scénariste Jared Reinmuth et le dessinateur Améziane, Big Black Stand et Attica décrit ces événements sanglants. Un roman graphique qui fait parler Frank "Big Black" Smith, un des prisonniers de l'époque. Victime d'abus de la part des gardiens après cette révolte, après 25 ans de combat, il a fait condamner l'Etat de New York. Figure imposante lors de la révolte, mais surtout leader de la lutte qui a suivi, Big Black n'a cessé de se battre pour que son témoignage, et celui des autres détenus ,ne soit pas oublié. L'ouvrage s'intéresse aussi à d'autres personnages, y compris en dehors de la prison, pour donner une vision d'ensemble, un recul nécessaire pour comprendre comment les décideurs en sont arrivés à prendre une aussi mauvaise et macabre décision…

Difficile de s'attaquer à un segment d'histoire aussi important sans ressentir un poids et une pression conséquente. Les deux auteurs ont réalisé un travail de documentation impressionnant, épluchant tous les ouvrages, journaux écrits et télévisés de l'époque et documentaires du procès. Le binôme créatif a décidé d'ouvrir l'album de 176 pages sur l'assaut de la prison par les militaires. Un choix fort qui ne laisse aucun doute sur la volonté des auteurs de raconter l'histoire sans prismes déformants.

La première page décryptée par Améziane

© Copyright TM & © 2020 Frank B.B. Smith, Jared Reinmuth, Hammouche Améziane. All rights reserved.

Le lecteur est tout de suite immergé dans l'action, il y rentre par l'hélicoptère puis son regard est happé par la masse de prisonniers entassés dans la cour barricadée. "On pourrait penser que la flèche sur la queue de l'hélicoptère est une invitation à tourner la page, mais pas du tout. C'est une indication pour les piétons pour qu'ils passent du côté où il n'y a pas de rotor et évitent un accident. On ne le voit pas sur l'image mais j'ai même récupéré le numéro d'immatriculation de ces hélicoptères. Tout est fidèle, les voitures, les costumes, je n'ai rien ajouté ni transformé" explique le dessinateur.

Installer la tension dès le départ

Mettre en place un plan aérien avec une vue en plongée de plus de 100 mètres de haut dans une planche de bande dessinée n'est pas évident car tous les personnages deviennent grands comme des fourmis. L'auteur, qui dessine entièrement en numérique, explique :  "J'ai travaillé sur cet album comme en animation. D'abord j'ai fait mon décor, très large, dans une très grande définition pour pouvoir zoomer à l'intérieur, puis j'ai crée mes personnages, ensuite, j'ai assemblé le tout". Ces personnages très nombreux sur cette planche n'ont pas tous été dessinés un par un, l'auteur a créé sept gabarits de silhouettes de détenus, sept de policiers et les manipule comme un marionnettiste. " Dans les bonus d'un DVD d'Alien le retour, James Cameron expliquait qu'à l'intérieur du cadre, physiquement, on ne pouvait pas mettre plus de sept Aliens et que c'est l'éclairage et le cadrage qui donnent l'impression qu'ils sont une cinquantaine à attaquer dans le couloir. J'ai retenu cette consigne. Donc à chaque fois, j'ai crée sept silhouettes différentes de détenus, de policiers et je les ai placées en fonction de ce que je voulais montrer. Si elles sont ordonnés, si ce sont des civils, des militaires, des policiers ou des détenus", explique Améziane.

Le lecteur distingue trois séries de silhouettes : les détenus barricadés  dans la cour D ("Ils sont 1 500 dans cet espace ridicule, mais je n'ai pu en réaliser que 200 ou 300" confie le dessinateur), les policiers se préparant à donner l'assaut et un troisième groupe composé des surveillants, familles des détenus et journalistes : "Eux, ils se sont postés dans la cour D et ils ont mis des barils pour délimiter cet endroit et empêcher quiconque d'en sortir. Ils sont 1 500 dans ce petit coin là. Je crois que j'ai fait 200 ou 300 petits points pour pouvoir symboliser le nombre de personnes. On a tout en bas les silhouettes des policiers qui attendent avant l'assaut et au tout premier plan, en bas à droite, on a la famille des détenus qui se demande ce qu'il se passe."

C'est la masse des prisonniers qui est le barycentre de cette première page, les lignes de forces dirigeant l'œil du lecteur sur ces derniers, renforcent la menace immédiate que fait planer l'hélicoptère " Le lecteur entre dans l'album par la présence inquiétante de l'hélicoptère: le mouvement et le bleu dans le ciel (qui est la seule couleur qui diverge de cet espèce de brun omniprésent) guident son regard sur la zone grise, au centre. C'est au moment où ce regard descend encore un peu qu'il comprend qu'il s'agit d'une cour de prison,  que cette masse d'individus semble barricadée, et que des policiers sont en train d'investir le bâtiment. Les civils, eux, sont dans les coins en bas de la page, ils débordent, ils sont partout autour, et même derrière leur télévision. On va rester quatre pages sur l'hélicoptère, puis on va  suivre le gaz et ensuite les détenus. La tension ne cesse de monter, c'est le calme avant la tempête", analyse l'illustrateur.

"Ma philosophie est vraiment de faire énormément de choses à la tourne"

Ce n'est qu'une fois la composition terminée que le dessinateur s'attelle à la couleur. " Je mets la casquette d'un directeur de la photo : je travaille la lumière et ensuite vient l'étalonnage pour que tout le film soit correct, séquence par séquence. Les scènes ont été faites à différents moments de l'histoire comme je travaille dans le désordre. Ainsi je vais dessiner les pages 28-29, 30-31, puis 156-157, je vais ensuite reprendre le début, et si je me rends compte qu'il manque des pages, que le rythme est trop rapide, j'étends la scène. Je rajoute à chaque fois des doubles pages comme ça je n'ai pas besoin de refaire des pages qui sont en vis-à-vis. Donc cela fait des gros livres à chaque fois. Initialement, cet ouvrage devait avoir 100 pages, mais il en a 168 à la fin. J'ai réalisé cette première page alors que j'avais déjà dessiné la moitié de l'album environ. Quand on a commencé à travailler ensemble avec Jared, on a fait les 80 premières pages du bouquin. On les a montrées à un maximum de personnes dans les salons, les conventions pour prendre le pouls. On les a même fait voir à l'association "les frères d'Attica"  qui aide les détenus à travers les États-Unis. Ils ont validé notre travail et nous ont rassurés sur le fait qu'on avait fait du bon boulot. Nous avons cherché ensuite un éditeur. Et c'est une fois qu'on a signé le contrat qu'on s'est attelé à finir l'ouvrage.  J'ai une formation de directeur artistique dans la presse, je m'occupais des mises en page de magazine, aussi je suis super habitué à voir le sens de lecture, à trouver des accroches intéressantes qui vont attirer l'attention des lecteurs. Je sais où placer des titres, comment faire une fin, quand utiliser une double page…. Donc je savais qu'il nous fallait un début plus fort que la séquence que nous avions. Le gimmick d'Hollywood depuis les années 80 est de débuter par une séquence d'action ou par une séquence qui va rappeler l'acte 2. Le but est de dire aux spectateurs qu'ils doivent se méfier du calme apparent, il s'agit de maintenir la tension, le lecteur doit savoir qu'il va se passer quelque chose, il est dans l'expectative. Ma philosophie est vraiment de faire énormément de choses à la tourne. Le lecteur tourne la page et il est surpris. Surpris par le style qui a changé, par la mise en page, le format ou par ce qui arrive. C'est ainsi que l'on parvient à maintenir l'attention du lecteur, parce que rappelons-le, il n'est pas censé s'ennuyer !" explique Améziane.

"La séance d'introduction de cet album est influencée par 300 de Frank Miller"

"J'ai fait tout le livre en noir, blanc et gris.  J'ai rajouté une texture couleur sable et ensuite j'ai remonté l'album à partir de ça. J'ai une couleur chaude, sable, et de l'autre côté j'ai un bleu, un seul bleu. J'ai l'utilisé de façon relativement pure, en transparence c qui permet de poser la perspective aérienne. La prison est vraiment très large et les espèces de petites montagnes que l'on discerne sont assez loin, associées au bleu, elles permettent de poser la profondeur et d'expliquer la perspective aérienne donnant ainsi l'impression que l'on est très haut. C'est important de prendre de la hauteur, car très vite l'hélicoptère va déposer une boule gigantesque dont va s'échapper du gaz, c'est ce qui va marquer le début du chaos : d'un côté les détenus qui paniquent, de l'autre la state police qui tire au fusil à pompe et au M16.

On rentre dans la prison, on passe le muret et on voit Big Black, les bras écartés, nu, sur une table et on voit les flics qui sont en train de lui cracher dessus, de l'insulter, de tirer en l'air et de lui faire tomber des douilles brûlantes sur le corps. Ils fument et lui balancent des mégots de cigarette allumés. Il est resté trois heures sur cette table et comme il était coach de football ils lui ont mis un ballon sous la gorge et ils l'ont menacé : "Si le ballon tombe, on te tue." C'est le début du livre. Je me suis dit que c'était un peu trop fort et que la tension n'allait pas descendre dans le bouquin.

C'est pour ça que j'ai tenu à commencer par prendre de la hauteur, donner une vue d'ensemble avant de reprendre l'histoire de façon chronologique et ce fameux 13 septembre avant l'assaut. Je souhaitais une dizaine de pages sans texte, une sorte d'hommage à 300 de Frank Miller que j'avais adoré. Pour moi c'est un début d'album iconique, et  je n'ai jamais cessé de me dire que le jour où je travaillerais sur un bouquin qui serait épique, je commencerais comme ça, avec des grandes doubles pages, aussi muettes que possible. C'est l'influence pour pouvoir créer cette séquence", raconte le dessinateur.

Pour l'auteur, une seule chose manque dans l'album : le plan détaillé de la prison. " Mais on n'avait pas la place de l'insérer, on ne voulait pas enlever la liste de toutes les personnes qui étaient décédées, ou de celles à qui cet ouvrage est dédié. Impossible de supprimer l'introduction de David Mayer, avocat et beau-père de Jared. Si on fait une nouvelle édition un jour, on ajoutera un cahier graphique avec le plan de la prison que j'ai dessiné. La prison c'est un immense carré, tous les bâtiments et les cellules sont sur les côtés, et au centre on a quatre cours. Le centre s'appelle Time Square. Le but des mutins était de s'emparer de cet endroit névralgique car en récupérant Time Square, ils tenaient la prison. On comprend mieux l'importance de ce point névralgique avec le plan", conclut le dessinateur.

Une première page qui dresse parfaitement le décor d'un album aussi dense et haletant qu'essentiel.

Big Black Stand at Attica, éditions Panini Comics, 19,95€