Les vacances de Donald, éloge du silence

Les vacances de Donald, éloge du silence Lassé par le tintamarre urbain, Donald décide de fuir la ville bruyante pour la quiétude pastorale. Un album sans texte au découpage dynamique qui invite le lecteur dans la quête de sérénité de Donald. Un exercice de style mené de main de maître.

("La première page"  : découvrez le nouveau rendez-vous BD de L'Internaute, où des auteurs analysent la première planche de leur album.)

Donald Duck fait partie de ces personnages à la voix si iconique (aussi bien en VO qu'en VF) qu'on l'entend lorsque l'on lit une de ses aventures dans une BD ou un Picsou Magazine. Surtout sa voix en colère :

Alors réaliser un album muet autour de ce personnage est un sacré défi. Les vacances de Donald, signé Federico Bertolucci et Frédéric Brrémaud est paru chez Glénat le 20 Octobre 2021 relève ce challenge avec brio. Une œuvre qui entraîne le lecteur dans une aventure silencieuse et pourtant si communicative.

Début 2010, Jacques Glénat a eu l'idée géniale de demander à Disney l'autorisation de réaliser des créations originales autour des personnages de l'univers mythique des Mickey Parade et Super Picsou. Ce rêve prend forme en 2016 avec la parution des premiers album inédits signés par des maîtres incontestés du 9e Art : Régis Loisel, Lewis Trondheim, Cosey, Nicolas Keramidas… La collection continue de grandir et d'attirer les plumes de canards talentueuses et compte aujourd'hui une quinzaine d'albums. Les vacances de Donald est le premier qui relève le défi d'être muet.

Le soleil se lève à peine que le marteau piqueur du terrain d'à côté entame le bitume et que les camions poubelles entament leur valse tonitruante de ramassage de débris tous plus bruyants les uns que les autres. C'en est trop pour Donald : " Au revoir le tapage citadin, bonjour la sérénité campagnarde". Ni une ni deux, le plus célèbre des canards saute dans sa voiture et roule loin de la ville. Cependant, le calme n'est pas un fruit qui pousse sur les arbres comme va le découvrir le palmipède avec plusieurs couacs désopilants. Il semble que voir Donald s'énerver ait un effet cathartique car le lecteur se sent apaisé à la lecture de cet excellent album.

La première page décryptée avec Federico Bertolucci :

L'auteur explique avoir travaillé en partie avec des demies pages au format A3, puis remonté en A4 lors de la phase de finalisation de la bande dessinée. © Glénat

Pour l'auteur, réaliser une bande dessinée muette implique d'avoir une mise en scène parfaite et des plans équilibrés pour offrir une clarté dans le récit, afin de ne pas perdre les lecteurs. En dehors de ces règles - qui peuvent s'appliquer à des albums verbeux - il n'y a pas de difficultés particulières.

L'œil du lecteur est guidé par la composition limpide et le jeu de lumière. Le point de clarté dans la première case est le camion poubelle et son gyrophare, cette lumière guide le lecteur dans la chambre de Donald. La case suivante qui zoom sur la fenêtre de la chambre de Donald, le rideau légèrement entrouvert de cette dernière invite le lecteur à se glisser par l'interstice dans la case suivante où la lumière et Donald sont dans le même angle que la première case. Toujours dans le même axe, la poubelle en train d'être vidée dans la benne à ordure et l'autre poubelle à angle droit de cette ligne directrice vient rompre l'harmonie. Renforçant son aspect perturbant, le tout rehaussé par des lignes de force. La boîte au lettre, rouge - là aussi en rupture par la couleur - fait pointer le regard du lecteur sur la case suivante. C'est un Donald énervé qui s'y trouve et son œil lorgne sur la case suivante. La poubelle et la benne à bords perdus ainsi que le mouvement des bras de l'éboueur entraînent le lecteur sur l'avant dernière case.  La distance entre le passant et le préposé à l'entretien urbain souligne que les deux personnages doivent fortement hausser la voix pour s'entendre. Enfin, les traits de démarcation de la route - encore sur le même axe diagonal qui domine la page - ramènent le lecteur sur Donald qui tente vainement de se rendormir. La lumière débordant de la case invitant le lecteur à tourner la page.

" Certaines dynamiques sont le fruit de l'expérience. La composition très complexe en réalité m'est venue spontanément en essayant de construire une séquence claire et logique. Certains raisonnements, s'ils étaient rationnels, rendraient probablement toute composition difficile à lire et peu spontanée. Mais il est intéressant de voir que certains lecteurs plus préparés, saisissent ces détails. Cela est déjà arrivé avec certaines pages de Love. C'est bon de voir que la technique derrière mon travail est reconnue" explique l'auteur.

Pourquoi est-il si important de guider l'œil du lecteur en BD ?

"La séquence des images dans la bande dessinée, contrairement au cinéma, où chaque prise remplace la précédente sur le même écran, présente plusieurs images sur la même page, de sorte que le coup d'œil est très important. Le lecteur à une série de plans à observer et doit comprendre exactement lesquels lire et dans quel ordre. Naturellement, une aide vient de notre façon occidentale de lire de gauche à droite, mais elle ne suffit pas, il faut des éléments et des lignes dynamiques qui donnent un lien logique entre les différentes cases. Ce sont les bases de la bande dessinée, les fondations. S'il n'y a pas cette clarté narrative, le lecteur ne pourrait pas comprendre l'intrigue. C'est pour celà aussi que je joue avec les formes, carré, rond, fractales, tout est là dans le but faciliter la lecture".

Il en va de même pour la composition, explique l'artiste: " Quand on commence une histoire, il faut bien expliquer le contexte spatio-temporel, un grand plan, un long plan, il nous dit où nous sommes, à quel moment de la journée et ce qui se passe. Ensuite, la caméra se rapproche des détails pour mieux raconter. Parfois, le contraire peut se produire, l'auteur peut commencer par quelques détails pour arriver avec un cadre plus large pour expliquer ce qui se passe. Ce sont des approches différentes pour une scène d'ouverture classique" .

Hommage à Barks mais aussi aux courts métrages de l'âge d'or, cet album permet à l'illustrateur d'alterner entre un style réaliste ou un style figuratif, tout en jouant sur une grande palette de couleurs; un régal pour les yeux. L'auteur explique avoir travaillé en numérique pour cet album et avoir imprimé les planches pour les encrer et colorier à la gouache de détrempe.  Enfin il a numérisé le résultat pour harmoniser les couleurs mais aussi ajouter des effets de lumière et d'ombres.

La page telle que le lecteur peut la voir est la deuxième version réalisée par le dessinateur, en effet en début de projet, alors qu'il cherchait quel style appliquer à l'album Federico Bertolucci a tâtonné et exploré divers techniques.  Une fois dans la bonne direction, il a réalisé trois pages, la première et deux vers le milieu de l'histoire. Mais en avançant par la suite il a changé de trait, affiné son processus et donc redessiné les trois pages réalisées initialement.  Dans la première version, en arrière plan, on pouvait apercevoir le coffre fort géant de l'oncle Picsou, mais ce dernier était trop beau pour le ton de ce début d'histoire. " Dans cette première scène, il y a quatre petits animaux, un petit oiseau, une souris, un écureuil et un chat (mais on ne voit que les yeux). J'espère qu'ils seront visibles même si réduit un peu lors de l'impression, tel est le défis que l'auteur lance à ses lecteurs. Arriverez vous à le relever ?

Les vacances de Donald, édition Glénat, 15€