Découvrez Koiwai Osamu, dessinateur de décor de mangas !

Découvrez Koiwai Osamu, dessinateur de décor de mangas ! Assistant pour de nombreux mangakas dont Tsukasa Hôjô (City Hunter), Koiwai Osamu s'est très vite spécialisé dans la réalisation des décors. Aujourd'hui, il est collaborateur freelance sur plusieurs mangas, dont le très célèbre Kaiju n°8. Il revient, pour Linternaute.com, sur son parcours et les spécificités de sa spécialité.

Aujourd'hui, les mangas sont entrés dans les mœurs des Français. Le lectorat hexagonal a compris que le champ des sujets couverts était quasi infini, et c'est sûrement l'une des raisons de la percée de ce médium en France. Mais au-delà de l'incroyable richesse qualitative et quantitative des mangas, l'une des clés de leur succès est leur rythme de parution effréné. Les mangakas livrent ainsi des dizaines de pages tous les mois, voire toutes les semaines, et si certains extraterrestres comme Nakaba Suzuki arrivent à tenir ce rythme seuls, la majorité des auteurs ont besoin d'aide pour finaliser leurs planches. Koiwai Osamu a été assistant de mangakas pendant de longues années, avant de monter sa structure avec sa femme, Osa-Pro. Aujourd'hui, il réalise les décors de nombreux mangas, y compris pour le best-seller Kaiju n°8 de Naoya Matsumoto.

Linternaute.com : comment êtes-vous tombé dans l'univers du manga ?  

J'adore le manga depuis mon plus jeune âge et j'ai toujours été intrigué, attiré par ce métier. Je voulais à tout prix travailler dans l'univers du manga. J'admirais la profession de mangaka et ceux qui l'exerçaient, sans vraiment réaliser ce qu'il se cachait concrètement derrière ce métier. Quand j'étais encore étudiant, j'ai vu une offre d'emploi pour un boulot d'assistant de mangaka. J'ai dessiné des exemples de natures mortes – bâtiments, voitures et scènes de nature – pour montrer mes compétences en dessin et j'ai postulé. Par chance, j'ai été accepté et je me suis retrouvé assistant du maître Kei Satomi (auteur prolifique mais inédit en France, il a notamment écrit No Side, une série sur le rugby avec une touche de fantastique, et Zero: The Man of the Creation, l'histoire d'un homme capable de percer les mystères de n'importe quelle antiquité, NDLR). J'ai par la suite aussi été assistant pour Tsukasa Hôjô (City Hunter / Nicky Larson) et d'autres mangakas et même collaboré sur des projets de jeux vidéo. Aujourd'hui, je suis collaborateur de production en charge des décors pour Kaiju n°8 de Naoya Matsumoto.

Vous vous êtes spécialisé dans les décors dès vos débuts d'assistant ?

Quand j'ai débuté en tant qu'assistant de Satomi Kei, j'était vraiment un bleu, complètement immature artistiquement parlant. Je ne peux pas dire que j'ai vraiment contribué à quoi que ce soit. J'ai par contre énormément appris, à force de travailler avec acharnement. J'ai été incroyablement influencé par Satomi Kei et Tsukasa Hôjô qui ont en quelque sorte forgé l'artiste que je suis aujourd'hui. Je considère d'ailleurs mon passage dans l'atelier de maître Kei comme un apprentissage plus que comme un travail. C'est au bout de quatre ans d'assistanat que je considère être devenu capable de dessiner des décors dignes d'être utilisés dans les planches du maître.

Quand je suis arrivé dans l'atelier de Tsukasa Hôjô, j'avais un niveau suffisant et j'ai pu travailler sur les paysages mais aussi aider à la finalisation des planches (encrage, trames, etc). On peut dire que Satomi Kei et Tsukasa Hojo m'ont permis de progresser sur les décors et l'encrage, domaine dans lequel j'ai fini par me spécialiser assez naturellement. À cette époque, tout était réalisé de manière analogique.

J'aime particulièrement l'ambiance des décors de l'œuvre de Mitsuru Adachi.

Et aujourd'hui, vous travaillez à 100% en numérique ?

Oui, je travaille avec un iMac et une tablette Wacom Cintiq avec écran de 22 pouces et j'utilise exclusivement le logiciel Clip Studio Paint. C'est un investissement financier pour passer au numérique, mais cela représente un tel gain de temps en production, ne serait-ce qu'avec les seuls usages du copier-coller ou de la brosse. Particulièrement quand on s'occupe des décors d'un manga.

Quelles sont vos références et sources d'inspiration en matière de dessins de décors ?

Plus qu'une œuvre, je suis principalement influencé par des auteurs. Évidemment mes aînés comme Satomi Kei et Tsukasa Hôjô sont des influences majeures sur mon style, d'autant plus qu'ils m'ont enseigné l'art de bien dessiner. Je m'imprègne aussi énormément de mes lectures de manga : dès que j'aime le trait d'un auteur, mon esprit s'imbibe de son style et inconsciemment s'enrichit. J'aime particulièrement l'ambiance des décors de l'œuvre de Mitsuru Adachi. En revanche, je lis très peu de magazines d'architecture.

Sur Kaiju n°8, vous n'êtes plus assistant mais collaborateur de production, quelles sont les différences ?

Au niveau du processus créatif, il n'y a pas de différence, mais en ce qui me concerne, quand on est collaborateur de production, on ressent plus fortement un sentiment de responsabilité vis-à-vis de l'œuvre. On peut, selon les mangakas, négocier différents types de contrat. Pour ma part, je contribue à Kaiju n°8 en tant que dessinateur professionnel, donc plutôt que d'être appelé "assistant", j'ai préféré signer un contrat en tant que "collaborateur de production". En plus de me sentir responsable, le fait d'être reconnu et crédité dans les mangas pour ce travail me remplit de fierté et me pousse à soutenir l'œuvre dans l'ombre, par mon travail.

En parlant de votre travail. Comment se déroule une semaine type ?

Le "name", storyboard crayonné où l'on voit la composition des planches mises en place par Naoya Matsumoto. KAIJYU 8 GO © 2020 by Naoya Matsumoto/SHUEISHA Inc.

Je travaille en cycle hebdomadaire : une semaine sur Kaiju n°8, une semaine sur un autre projet et pour l'instant une semaine de repos. Pour la semaine de Kaiju n°8, monsieur Matsumoto me contacte quand il a terminé son story-board. Il m'envoie le story-board enrichi des personnages et, une fois que je l'ai parcouru, nous faisons une réunion via Skype d'une à deux heures. Je n'ai jamais d'échange avec le tantô (responsable éditorial, NDLR). Je commence à travailler en effectuant des recherches et en compilant une éventuelle documentation. Et puis je réalise un brouillon que j'envoie à monsieur Matsumoto. S'il valide ce dernier, alors je passe à l'encrage.

Je travaille en général 10 à 12 heures par jour, mes horaires sont flexibles et variables. Pour un chapitre complet, je mets en général une journée pour réaliser le brouillon et 3-4 jours pour réaliser la version finalisée encrée et propre.

Comment vous documentez-vous en général pour un décor ?

Je consulte des photos pour trouver des inspirations par rapport à ce que je dois dessiner. Il m'arrive aussi de m'inspirer de scènes de films ou de séries télévisées.

Est-ce plus pratique de pouvoir s'inspirer de lieux qui existent vraiment pour les décors ?

Tout à fait, quand le décor existe réellement, c'est plus facile à imaginer même si on le projette dans une situation différente, car il est plus facile de trouver des références.

Je déteste dessiner des objets, par exemple des armes, car on ne peut pas tricher.

Croquis préparatoire pour validation. KAIJYU 8 GO © 2020 by Naoya Matsumoto/SHUEISHA Inc.

Qu'est-ce qui est le plus difficile à illustrer ?

Je déteste dessiner des objets, par exemple des armes, car c'est fastidieux et on ne peut pas tricher, chaque détail est important. À l'inverse, dessiner une ville banale en décors est plus simple, car je peux tricher facilement.

Tricher ?

Laissez-moi vous montrer un dessin, ça sera plus clair. Avec une ville on peut se contenter de mettre en avant l'ambiance générale d'un paysage, plutôt que de la dessiner de manière réaliste.

KAIJYU 8 GO © 2020 by Naoya Matsumoto/SHUEISHA Inc.

Dans vos vidéos sur Youtube on voit que vous utilisez énormément de lignes de perspective lors de la création. Pourquoi est-ce essentiel ?

C'est tout simplement essentiel. L'essence d'un décor repose sur ses lignes de perspective. L'outil de lignes de perspectives de Clip Studio Paint est un important et pratique. Je me repose beaucoup sur ces lignes.

Quel est le décor dont vous êtes le plus fier ?

La double planche finalisée. Un travail d'orfèvre. KAIJYU 8 GO © 2020 by Naoya Matsumoto/SHUEISHA Inc.

Ce dont je suis fier, hum, c'est difficile de choisir… Disons plutôt que celle qui m'a le plus marqué est la première scène où les "nettoyeurs de kaiju", dont fait partie Kafka, interviennent. Pour réaliser ce décor qui introduit l'univers de Kaiju n°8, j'ai consulté à plusieurs reprises monsieur Matsumoto. Afin d'être sûr de bien appréhender les détails de son univers mais aussi les différents points de vue qu'il souhaitait porter. C'est d'ailleurs la page qui m'a pris le plus de temps à réaliser.

Quel est votre personnage préféré de la série Kaiju n°8 ? Et pourquoi ?

Kikoru Shinomiya est mon personnage préféré. J'adore sa silhouette quand elle est debout. Peu importe la situation, elle dégage toujours une certaine classe.

KAIJYU 8 GO © 2020 by Naoya Matsumoto/SHUEISHA Inc.

Je n'écoute pas beaucoup de musique en travaillant.  Je mets plutôt en fond des émissions de style comique ou des séries télé étrangères sur Netflix et Hulu. Pour les vidéos que je partage sur YouTube, je mets du rock car je trouve que ça colle bien à l'œuvre.

Vous partagez aussi beaucoup de belles illustrations sous forme "SD", pourquoi ce style ?

Merci, c'est ma femme qui les dessine. De prime abord, on peut penser que les dessins Super Deformed (style graphique où les personnage ont un petit corps et une tête disproportionnellement grosse, parfois appelé " chibi", NDLR) sont juste mignons, mais c'est aussi un style de dessin qui bénéficie de la popularité des oeuvres qu'il croque. C'est pour ça que ce style est intemporel.

Quand on arrive à améliorer son dessin en y mettant moins de lignes, moins de traits, moins de fioritures, on atteint l'objectif.

Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui souhaiterait devenir mangaka ?

N'étant moi même pas mangaka, je ne peux pas donner de conseils pour devenir un mangaka. Je peux par contre témoigner que tous les mangakas que je connais ont continué à dessiner sans relâche, même après 1 an, 2 ans ou 5 ans de période sans connaître le succès.

Concernant ma spécialisation de dessinateur de background, voici les conseils que je peux partager. Il faut commencer par dessiner en recopiant des photos de paysages à l'aide d'un calque, c'est ce que j'ai fait quand j'étais jeune. Au début, dessinez des plans de jour en les décalquant, et puis allez au-delà du calque petit à petit en vous demandant comment obtenir la perspective sur votre dessin. L'étape suivante est de jongler avec la puissance des lignes et leur diversité. Enfin, le plus compliqué est d'arriver à maîtriser la précision par l'omission. Quand on arrive à améliorer son dessin en y mettant moins de lignes, moins de traits, moins de fioritures, on atteint l'objectif.

Pour vous entraîner, il faut dessiner sans relâche, prendre tout ce que vous pouvez comme sources d'inspiration et références. N'hésitez pas à vous inspirer des vidéos que je partage sur YouTube. Une fois que vous vous sentez à l'aise avec ces décors, passez à la nuit ou à la fin de journée. Changez le ton et l'expression du décors en ajoutant de la pluie ou de la neige. C'est très important de s'entraîner en jouant avec le ton ainsi, même si c'est difficile. Ensuite, vous pouvez enrichir ce dessin avec un immeuble, une voiture, etc.  Si vous arrivez à ajouter à votre dessin un contenu qui n'est pas décalqué, alors ça veut dire que vous y êtes.

Au final, réaliser des décors est un métier artisanal, la technique vient avec la pratique. Bon courage à toutes et à tous !

Kaiju n°8, éditions Kaze, 6,99€