Pourquoi 2024 sera l'année de Solo Leveling !

Solo Leveling, The Abandoned Empress... Ces titres ont en commun d'être des romans, best seller-sellers, publiés chez l'éditeur coréen D&C avant d'être adaptés en webtoon. C'est par l'intermédiaire de son CEO Monsieur Lee et de sa directrice de la creation de webtoon Madame Kwak, que l'éditeur propriétaire de la licence Solo Leveling, le webtoon le plus vendu au monde, s'est confié à Linternaute.com

D&C, ce nom ne vous dit peut-être rien en tant que lecteur en France, mais si l'on vous dit Solo Leveling ou The Abandoned Empress ces deux titres dont l'adaptation Webtoon est un carton dans notre contrée, cela vous parle plus ?

D&C est justement l'éditeur coréen qui possède les droits du webtoon le plus vendu au monde. Au-delà de ce best-seller mondial, l'éditeur est le leader du marché coréen pour tout ce qui concerne la Fantasy et les Arts Martiaux.

Madame Heaeun Kwak (Directrice de la création de webtoon) et Monsieur Wangho Lee (CEO) de la maison d'édition D&C Webtoon biz, ont accordé un entretien exclusif à Linternaute.com lors de leur venue à Japan Expo 2023.

© D&C WEBTOON Biz

Linternaute.com : D&C est un éditeur créé en 2002 qui était particulièrement focalisé sur les Arts Martiaux et la Fantasy. Pourquoi ce choix de catalogue ?

Wangho Lee : Il faut savoir qu'en 2002, le marché du livre en Corée du Sud était très particulier. À cette époque, il y avait encore énormément de boutiques de location de livres. Et dans ces lieux, les deux types de roman les plus loués étaient les ouvrages de Fantasy ou d'Arts Martiaux. C'est pour cela que nous avons focalisé ces deux genres.

Et en 2012, nous avons changé les statuts de la société pour devenir un groupe appelé D&C Média.

La Corée du Sud est l'un des pays les plus "connectés" avec un taux d'équipement en smartphone et de connexion à internet bien au-dessus de la moyenne. Est-ce que vous aviez déjà en tête ce phénomène numérique lors de la fondation de Papyrus, votre branche d'édition numérique ?

Solo leveling © DUBU(REDICE STUDIO), Chugong, h-goon 2018 / D&C WEBTOON

W. L. : C'est avec l'arrivée des premiers web novels que nous avons compris le potentiel de la lecture numérique. En regardant l'essor des plateformes comme Joara (NdlR : la plus grosse plateforme de web novels coréennes avec plus de 140 000 contributrices, ciblant un lectorat plutôt féminin) et Munpia (NdlR: une plateforme initialement dédiée aux histoires d'Arts Martiaux qui a très vite accueilli aussi des histoires de Fantasy). Ce sont ces plateformes de distribution numériques gratuites qui ont permis à mon humble avis l'explosion de la lecture numérique en Corée du Sud.

D&C est aujourd'hui le leader en Corée du Sud pour tout ce qui concerne la Fantasy et les arts martiaux. Comment en l'espace de deux décennies avez vous réussi ce tour de force ?

W. L. : Une des clés du succès de D&C est que nous ne nous contentons pas de trier des manuscrits que nous recevons. Notre service éditorial est très impliqué dans la formation, quand nous trouvons un auteur ou autrice avec du potentiel nous le formons afin de lui permettre d'exprimer au mieux tout son talent.

Aussi, nous sommes très attentifs aux tendances que nous décelons dès les premiers frémissements et suivons de très près.

Comment recrutez-vous et formez-vous vos éditeurs à votre approche spécifique ?

W. L. : Je dirais que notre critère d'embauche numéro un est d'aimer nos contenus. Aussi bien les light novel que les webtoons. Il faut trouver un équilibre particulier entre la passion du webtoon et la vision des lectrices et lecteurs.

Quels sont vos best-sellers dans chacun des deux genres (Fantasy et Arts Martiaux)?

W. L. : En Fantasy, forcément, ce sera Solo Leveling qui est un succès planétaire.

En Arts Martiaux c'est Le retour du Dieu Martial, qui a un très gros succès local et est disponible en France sur la plateforme Piccoma, mais pour l'instant ce genre est assez difficile à exporter en dehors de l'Asie. C'est peut être lié au fait que ce genre se repose très fortement sur la culture et l'histoire chinoise que ce dernier est moins accessible aux Occidentaux.

L-Novel a été lancé en 2007, avec la mission de se concentrer sur les light novel Japonais. Très en amont de l'explosion de ce genre. Quelle a été la clé qui vous a poussé à anticiper le potentiel des LN ?

© A Tender Heart c Aloha, Jooahri 2019 / D&C WEBTOON Biz

W. L. : Nous avons commencé par tester le marché en amont, avec la création du label Sid Novel en juillet 2007. Au sein de ce label, nous avons lancé trois séries, en création pure, qui ont tout de suite trouvé un grand lectorat. Ce qui nous a confirmé notre choix et nous avons lancé la maison d'édition L-Novel en septembre 2007 pour importer des romans japonais.

C'est quoi un succès en 2007 ? Et en 2023 ?

W. L. : En 2007, un très gros succès pour un light novel, était de l'ordre de 45 000 à 50 000 exemplaires. Aujourd'hui, le marché a décliné, alors un succès est plutôt une vente de l'ordre de 5 à 6 000 exemplaires.

Vous êtes le seul éditeur de LN à avoir pris un stand au Comic World à Séoul, pourquoi ?

W. L. : Le Comic World à Séoul était l'un des événements principaux où se retrouvaient les fans de la pop culture. Cet évènement avait lieu deux fois par an. Pour nous c'était une évidence de se rendre dans ce lieu où se trouvait un très grand nombre de nos lecteurs. Nous sommes à leur service, et pouvoir avoir un lien direct avec ces derniers est un moment très précieux pour un éditeur. D'autant plus que nos éditeurs sont eux aussi fans de light novel, c'était un peu un pèlerinage pour eux aussi.

Les light novels ont gagné en popularité en occident ces dernières années. Est-ce que vous pensez que l'explosion des LN est liée à leurs adaptations en manga ou en anime ?

W. L. : Paradoxalement, le contenu des light novels est bien plus exposé dans le monde entier, mais le format roman lui peine à s'imposer. Ce qui fait la force des light novels, au-delà de l'histoire, c'est le traitement des protagonistes. Ces derniers sont toujours extrêmement travaillés et charismatiques. C'est sur la base de la personnalité, du charisme de ces personnages que l'on a pu développer des adaptations ou des produits dérivés.

D&C books au départ se concentrait sur les romans féminins avec une majorité de titres romantiques dits "à l'eau de rose" . Quel est le premier titre que vous avez licencié en tant que D&C Books ?

W. L. : Nous avons en effet publié des romans pour lectorat féminin au sein du label " Black".

Les titres Don't drag a tree into the wall (NdlR non traduit pour l'instant),  La fille unique de l'Empereur et The Abandonned Empress ont inauguré cette collection.  Le plus gros succès est La fille unique de l'Empereur, son incroyable succès sur Kakao nous a même poussé à créer le label D&C Webtoon .

Les webtoons sont une chambre d'écho de notre société

À quel moment avez-vous décidé de ne plus avoir une collection Fantasy et une collection Romance, mais de publier de tous les genres ?

W. L. : Cela s'est fait tout naturellement. Vous savez en tant qu'éditeur notre métier, c'est d'offrir du contenu aux lecteurs. Donc si un lectorat existe pour un genre, nous serons là pour le leur servir. Et comme je le disais plus tôt, nos éditeurs sont à l'affût des tendances.

© iNA, Yuna 2017 / D&C WEBTOON Biz

C'est cette veille éditoriale qui vous a poussé à lancer D&C Webtoon en 2015 ? Et d'ailleurs aussi à licencier des mangas ?

W. L. : Nous avons essayé auparavant d'adapter un de nos romans au format webtoon, mais ça n'avait pas marché. C'est quand notre roman La fille unique de l'Empereur qui a été adapté en webtoon sur la plateforme Kakao a connu un succès foudroyant - le titre a été n°1 de la plateforme pendant plus de six semaines - que nous nous sommes dit qu'il était temps de tenter à nouveau l'aventure du webtoon.

Comment suivez vous les évolutions d'une mode, par exemple la mode des " villainess*" ?

© iNA, Yuna 2017 / D&C WEBTOON Biz

W. L. : C'est très compliqué, car les modes évoluent très vite en effet. Aujourd'hui, nous avons 10 titres en cours de publication avec le mot " villainess" et tous sont des best-sellers. Mais seulement 2 avec la locution " level up". On pense que la mode " Level up" tire sur la fin, probablement à cause de la crise économique, au final les histoires de " level up" sont un écho du fameux " rêve américain" valable aussi jusqu'à il y a peu en Corée avec une incroyable croissance économique. Quand on dit " si tu travailles dur tu pourras réussir et t'enrichir", sans parler des succès sur les réseaux sociaux. C'est dans ce contexte que les séries de type " Level up" ont explosé. La tendance d'aujourd'hui, c'est " fils de quelqu'un" ou " divorce". Les webtoons sont une chambre d'écho de notre société, ils ne cessent d'évoluer et reflètent bien les désirs d'une époque.

Et de la même manière, la popularité des histoires de " villainess" est une manière d'embrasser la nouvelle vague de féminisme ? De rejeter des situations de femmes potiches ? 

W. L. : C'est une très bonne lecture. Maintenant que vous le dites, ça nous semble très cohérent. La société moderne reste encore très patriarcale, face à la réalité des femmes, il est probable que ces histoires, très souvent de Fantasy, génèrent une plus grande empathie auprès des lectrices. Il y a même probablement un côté cathartique à ces histoires où ces femmes rejettent un destin qui ne leur convient pas.

Vous avez les droits exclusifs du roman Solo Leveling, qui est devenu un phénomène international. Quand, et pourquoi avez-vous décidé d'en acheter les droits ?

Solo leveling © DUBU(REDICE STUDIO), Chugong, h-goon 2018 / D&C WEBTOON

W. L. : En fait, nous travaillions déjà avec Chu Gong, son auteur pour son œuvre précédente. Cette dernière n'avait pas très bien marché, mais on sentait un potentiel chez cet auteur, alors nous avons décidé de l'accompagner. Il faut savoir que Chu Gong est un auteur très consciencieux, il pèse et repère chaque mot des dizaines de fois. Il en résulte une vitesse d'écriture qui peut sembler lente, surtout pour les lecteurs qui sont fans de ses histoires. Et c'est un peu ce qu'il s'est passé avec Solo Leveling, la light novel était pré-publié chapitre par chapitre, et à chaque nouvel épisode, nous croulions sous les demandes des lecteurs qui voulaient que la suite soit publiée plus vite.

C'est à ce moment que vous avez compris que ce titre allait être un énorme succès ?

W. L. : Nous étions sûrs dès le départ que Solo Leveling serait un titre qui rencontrerait son public. Nos éditeurs ont travaillé main dans la main avec Chu Gong, qui comme je le disais à travaillé son histoire avec une minutie digne des plus grands orfèvres.

D'autant plus que Jin Woo, le protagoniste, est plutôt un loser au début de l'histoire. Ce n'est qu'aux environ du 20e chapitre qu'il connaît une évolution radicale. Et c'est d'ailleurs à ce moment que la popularité du webtoon a explosé. Mais jamais nous n'avions imaginé que ce succès dépasserait les frontières de la Corée.

Adaptation en jeux vidéo en dessin animé, 2024 est une très grosse année pour Solo Leveling. En tant que licencieur, que représente ce type de concrétisation ?

Heaeun Kwak :  C'est une incroyable satisfaction et fierté. Nous avons pu choisir les meilleurs partenaires dans chaque domaine et sommes impatients que nos lecteurs voient les résultats. Pour nous, D&C, 2024 est incontestablement l'année de Solo Leveling.

D'autres projets pas encore annoncés ?

H. K. :   Début 2024, vous pourrez lire la version WebToon de Solo Leveling : Ragnarok, le spin-off qui se déroule dans l'univers imaginé par Chu Gong, le scénario est signé par Daul et l'adaptation graphique sera réalisé par Redice Studio.

Et je peux vous donner un scoop, un drama coréen autour de Solo Leveling est en cours de conception, donc tenez-vous prêt.

D&C Média,  aujourd'hui, est non seulement un éditeur, mais aussi un licencieur et un distributeur. Pourquoi ? 

M. W. : Nous sommes à la base un éditeur de livre papier, c'est par ce médium que nous avons rencontré nos lecteurs en Corée. Vers la fin de l'année 2010, nous nous sommes mis à l'édition en ligne et avons rencontré un nouveau lectorat, numérique. Et si nous sommes devenus des licencieurs c'est dans la même optique, pour aller à la rencontre d'un lectorat étranger. Ces trois domaines répondent à la même problématique : rencontrer nos lecteurs, seule l'approche diffère.

Pour nous, il est très important d'être présent sur tous ces marchés, nous croyons et aimons nos titres, alors nous souhaitons les présenter au plus grand nombre de lecteurs possibles.

un drama coréen autour de Solo Leveling est en cours de conception

Quelles sont vos principales licences ?

© iNA, Yuna 2017 / D&C WEBTOON Biz

H.K. : Aujourd'hui, nous avons une dizaine de titres qui sont présents dans plus d'une douzaine de pays. Solo leveling (Kbook), Daughter of the Emperor, The Reason Why Raeliana Ended up at the Duke's Mansion, A Returner's Magic Should Be Special (à venir chez Kbooks), I Shall Master This Family, Villains Are Destined to Die (Kotoon), The Abandoned Empress (Kbooks), My Life as an Internet Novel, Level Up With the Gods (à venir chez Kbooks), The Knight and Her Emperor (à venir chez Kbooks). Nous ne pouvons qu'être heureux de ces succès internationaux.

Aujourd'hui, les Webtoon représentent 62 % de vos revenus, que pouvez-vous nous dire sur ce marché ?

H.K. :  Tout a commencé avec l'arrivée des premiers portails Daum et Naver dans une optique de drainage de visiteurs. Par la suite, Kakao a lancé un service payant et prouvé sa rentabilité. Depuis 2016, ce marché a grandi de manière quasi-exponentielle. De nos jours, les lecteurs coréens sont habitués au modèle de lecture payante, et les dessinateurs de webtoon ont des revenus plus que confortable, certains sont même salariés. Ce qui a provoqué une émulation positive et a même attiré de nombreux talents. Mais le marché Coréen reste assez petit et c'est pour cela que nous souhaitons étendre le webtoon au monde entier.

Où voyez-vous D&C dans 5 ans ?

W. L. : Nous sommes confiants dans l'avenir du Webtoon, en 2020 le métier de dessinateur de webtoon s'est classé en 9e position des métiers les plus attractifs auprès des jeunes Coréens. On voit en ce moment une grosse tendance aux éditions physique collector, et comme chez D&C nous publions bien plus d'éditions papier que nos concurrents nous suivons cette tendance de près. Et ma plus grande certitude, c'est que je ne doute pas un seul instant que nos auteurs et éditeurs continueront de produire un contenu palpitant qui passionnera nos lecteurs.

Merci aux équipes de D&C pour leur disponibilité, aux éditions K-Books pour avoir organisé ce rendez-vous et à Muriel Park pour son interprétariat et son aide inestimable.

*Villainess : une villainess est la " méchante" d'une histoire. Par exemple l'adaptation de Cruella côté Disney, mettant en scène l'antagoniste des 101 Dalmatiens s'inscrit dans cette tendance.