Kenron Toqueen (Piravit) : "le manga est le médium idéal pour toucher le plus grand nombre de lecteurs"
La culture populaire française a accueilli à bras ouverts le manga. Dessinateurs, chanteurs, designers, cuisiniers… On ne compte plus les artistes et artisans qui font référence à la culture tirée des bandes dessinées nippone. On n'est plus surpris de voir cette culture partout en France. Mais, on sous-estime à quel point ce phénomène est mondial.
En discutant avec Kenron Toqueen, l'auteur chilien du manga Piravit, impossible de s'y tromper. La culture manga est bel et bien internationale. Et le jeune artiste à l'instar de nombreux mangaka français, allemands, italien en maîtrise les codes ainsi que la grammaire.
Piravit, le héros est un fantôme, pardon un "phantam", qui vit aux côtés de Kimé, une bénévole s'occupant d'un refuge pour animaux. Dans cet univers proche du nôtre, non seulement les fantômes existent, mais aussi des démons, classés selon un degré de pureté. Mais aussi des humains ayants développé une certaine approche de la magie appelés mages…
Derrière le pitch de Piravit, l'auteur met en scène expériences culturelles et personnelles à la sauce nippone. Le tout permettant d'aborder divers sujets de sociétés : l'acceptation de la différence, la quête de l'immortalité, la question du deuil, la place des animaux dans nos sociétés modernes…
Entretien avec un esthète amoureux du Japon.
Linternaute.com : quelle est la flamme à l'origine de votre passion de devenir Mangaka ?

Kenron Toqueen : La raison qui m'a poussé à devenir mangaka est cette envie de raconter une histoire au plus grand nombre de personnes possible. C'est une histoire qui me tient à cœur, et j'aimerais qu'elle touche un lectorat sans frontière. Piravit, même s'il y a une touche de fantastique, est ancrée sur la réalité que mon entourage et moi-même vivons au quotidien, ici au Chili. Et aujourd'hui le manga est le médium idéal pour toucher le plus grand nombre de lectrices et lecteurs dans le monde entier.
Votre manga est en effet très riche en métaphores…
En effet, mon œuvre est riche en messages et en métaphores. Piravit est, pour moi, bien plus qu'un manga d'aventure. C'est une porte d'entrée sur la société moderne. Ses qualités ainsi que ses travers. Il y a des messages bien au-delà du rôle des phantams par exemple.
Les démons aussi, j'imagine ?
Évidemment. Les démons symbolisent la part sombre de l'humanité. C'est vraiment l'incarnation de la plus profonde méchanceté dont l'homme est malheureusement capable.
On connaît mal le Chili. Quelle est la place du manga et de l'animation au Chili ?
Les mangas et les animes sont extrêmement populaires au Chili. Il y a un mouvement politique fort pour soutenir la lecture au Chili. Dès lors, il faut que la lecture soit le plus accessible possible. Dans ce cadre, le manga est un médium parfait, c'est un format qui incite les jeunes à lire. Le climat est très favorable à l'expansion du manga japonais au Chili.
Et l'effet vertueux de cette popularité, est l'émergence d'une nouvelle génération de créateurs, qui s'exprime avec le vocabulaire et la grammaire du manga. Cette expansion se constate aussi bien sur la scène du fanzine qu'au niveau des éditeurs nationaux institutionnels.
Qu'avez-vous publié avant de réaliser Piravit ?
J'ai publié au Chili un manga appelé Nocta. C'est aussi un titre qui rentre dans la catégorie Shonen. C'est un titre qui mélange la SF et la Fantasy avec un bestiaire de personnages très riche. J'adore jouer avec les personnages. C'est sur cette série en quatre tomes que je me suis construits en tant qu'artiste. J'ai démarré Nocta en indépendant, via le fanzine, avant d'être repéré par un éditeur et d'être publié au Chili chez les éditions Visuales.
Pre venta de Nocta 2 de Kenron Toqueen en https://t.co/o94bCyJblW @visuales_chile @KenronToqueen pic.twitter.com/13VS8j4WIh
— elreydelcomic (@elreydelcomic) April 13, 2021
Comment est né le projet Piravit ?
Mon éditeur français, Frédéric Toutlemonde, me suivait depuis un moment. Grâce à Nocta, qu'il avait découvert au Japon grâce à un contact japonais qui avait ramené des mangas chiliens dans ses bagages. Il m'avait contacté sur Twitter, nous avions échangé en évoquant cette envie de réaliser quelque chose ensemble. Puis, j'ai publié un one shot sur la plateforme MangaPlus Creators, ce chapitre est un peu le prototype de Piravit. À ce moment le titre était " comment devenir méchant". Frédéric m'a proposé de transformer ce one shot en projet de série qu'il pourrait présenter à l'éditeur Vega Dupuis.
Piravit porte plusieurs messages. Quel est le premier " high concept" de ce manga ?
Si je devais me limiter à un axe principal, le message central de mon œuvre serait la coexistence entre différentes espèces. C'est le message qui me tient le plus à cœur. Chaque espèce a ses spécificités, ses qualités qui sortent du lot par rapport aux autres. J'aime montrer ces interactions interespèces qui permettent de créer une émulation entre ces dernières.
Avez-vous été tenté d'incorporer du folklore chilien ?
Pour l'instant je n'ai pas intégré d'éléments du folklore chilien. Je me concentre sur mes idées, sur mes créations. Mais j'ai l'intention de mettre ici et là des éléments qui proviennent ou feraient écho au folklore de mon pays.
Le Pisco c'est péruvien ou chilien ? (rires)
C'est une question pleine de controverses entre nos deux pays. Je n'ose pas trop répondre à cette question. C'est vraiment risqué que de prendre parti. J'aimerais que la réponse dise que c'est une création jointe entre un Chilien et un Péruvien.
Quand vous avez imaginé Piravit, qu'avez-vous imaginé en premier ? son aspect graphique ? Sa personnalité ?
Tout est né de sa personnalité.
Est-ce que sa personnalité a influencé son design ?
Piravit est un personnage que je voulais très simple. Un protagoniste qui vit au jour le jour, qui se laisse porter par le vent et se concentre sur les tâches devant lui. Et c'est cette approche qui m'a aidé à décider de sa garde-robe, il est le parangon du casual.
Et pour contraster avec cette tenue banale il fallait apporter du contraste avec son visage, ses cheveux. C'est pour ça que j'ai particulièrement travaillé ces deux points. Je souhaitais avoir une visualisation fantasmagorique, un peu spectrale. C'est ce qui le différencie le plus du reste du bestiaire. La forme de ses cheveux est inspirée des feuilles d'érable de mon village à l'automne.
La transformation de Kime fait penser à Sailor Moon, voir de manière plus large aux magical girls. Comment est-ce que vous avez imaginé cette transformation ?

J'adore les magical girls. Cette transformation est une référence globale au genre, pas qu'à Sailor Moon. J'adore, dans ces histoires, le moment de la transformation. C'est un rituel que j'apprécie énormément.
Est-ce que vous avez une check-list de clin d'œil que vous souhaitez mettre dans votre œuvre ?
Inconsciemment j'ai sûrement une check-list. Il y a tant mangas et d'anime qui m'ont inspiré, qui m'ont aidé à devenir celui que je suis aujourd'hui. C'est naturel que cet amour pour ces œuvres transpire par moments dans mon manga. En tout cas, ces histoires contribuent grandement à mon inspiration.
Kamael, Sigrid, Thaban, les démons ont hérité de noms d'Archanges. Est-ce pour montrer que le mal peut résider en chacun de nous ?
Il y a un peu d'ironie dans l'utilisation des noms d'Archanges pour les démons. C'est un peu comme le yin et le yang. Des gens bien peuvent commettre des exactions, des gens mauvais sont capables de bien. La frontière peut être très fine par moments…

Le combat entre Piravit et Kamael jouit d'une richesse et originalité dans sa mise en scène. Comment avez-vous travaillé sur ce point précis ?
Sur les scènes de combats j'essaye de regarder des compilations de scènes de combats d'anime. Pour aussi bien comprendre et s'imprégner des mouvements, de la mise en scène. Mais le plus important dans ma démarche est de m'imaginer à la place des combattants. Pour chaque coup donné par l'adversaire, j'essaye de réfléchir à comment je réagirais en tant que personnage. Et c'est en arrivant à rentrer dans la psyché de ses protagonistes que l'on en arrive à faire des scènes de combats intéressantes et originales.
Il y a énormément de protagonistes féminins, même chez les démons. Est-ce que cette représentation vous tenait à cœur ?
C'est en fait basé sur mon expérience personnelle. Dans ma vie la présence des femmes est fondamentale. Les personnes les plus importantes dans mon entourage, celles qui m'ont le plus apporté, soutenues, ce sont les femmes. Cela joue profondément sur ma manière de concevoir mes univers, mes histoires.
En parlant d'expérience personnelle, quel est le personnage qui tient le plus de vous ?
Je suis comme Piravit. J'aspire à vivre une vie simple, au jour le jour. En paix avec moi-même et la nature. Aujourd'hui, étant mangaka je vis en faisant ce que j'aime le plus. Je ne peux être plus en accord avec moi-même.
Le tome 1 fini sur un incroyable cliffhanger, à quel moment de l'écriture de l'histoire l'avez-vous imaginé ?
J'avais imaginé ce passage dès le début de la création de mon manga. Pour moi, les arrivées de personnages importants doivent se faire à des moments clés. Et c'est pour ça qu'une fin de tome est un lieu privilégié pour annoncer l'arrivée d'un personnage.

Avez-vous une idée du nombre de tome du premier arc narratif ?
J'ai une idée assez claire sur les grandes lignes de l'histoire que je veux raconter. J'ai aussi les concepts de mes arcs narratifs bien établis. Mais je suis certain que la vie va me rattraper et que je vais changer des choses ici et là. Une œuvre évolue forcément avec le temps, avec l'expérience. Pour l'instant je n'ai aucune idée de la durée de ce manga. Aujourd'hui, nous travaillons avec mon éditeur comme au Japon, c'est-à-dire chapitre par chapitre. Chaque chapitre est conçu pour être attrayant, apporter de l'émotion aux lectrices et lecteurs.
Merci à l'auteur pour sa disponibilité ainsi qu'à son éditeur Frédéric Toutlemonde. Les lecteurs qui n'ont pas encore découvert Piravit, ont la chance de pouvoir dévorer les deux premiers tomes. Le second volume est sorti aux éditions Vega Dupuis le 10 Janvier 2025.
Piravit, de Kenron Toqueen, éditions Vega Dupuis, 7,35€ par tome.