Koji Inada : "la réalisation d'un manga est un équilibre entre le désir du mangaka et la réalité de la deadline"

Koji Inada : "la réalisation d'un manga est un équilibre entre le désir du mangaka et la réalité de la deadline" Invité prestigieux à la comicon Osaka, le dessinateur émérite Koji Inada (Dragon Quest: The Adventure of Dai, Beet the Vandel Buster) a accordé un peu de son précieux temps à Linternaute.com.

Le mangaka Koji Inada, compagnon de route du fécond scénariste Riku Sanjo, principalement reconnu pour son œuvre emblématique, Dragon Quest: The Adventure of Dai (La Quête de Dai) était l'invité d'honneur de la Artist Alley de la Comicon Osaka 2025. Prévue sur le salon pour la journée du samedi 3 mai 2025, la venue de l'auteur a déchaîné les passions. Et pour cause, c'est la première convention de l'auteur, un véritable exploit de la part des organisateurs !

Un peu avant l'annonce officielle, des bruits de couloirs ont commencé à présager d'un invité prestigieux autour de la licence Dragon Quest. Le twitter japonais n'a pas tardé à buzzer autour des prédictions.

Dès l'annonce officielle de la venue de Koji Inada, le dessinateur du manga d'aventure le plus épique des années 90 (plus de 50 millions d'exemplaires vendus), c'est un raz de marée de commentaires qui déferle alors sur les réseaux sociaux. De nombreux fans des quatre coins du Japon s'organisent pour venir à la Comicon Osaka, les plus motivés commencent même à faire la queue dès le vendredi soir la veille.

Koji Inada, son manageur Fuyuto Takeda et les équipes de la comicon Osaka © Michaël Gorré

Avec l'aide du staff de la Comicon Osaka et grâce à la générosité de maître Koji Inada, Linternaute.com a obtenu une interview exclusive. De quoi rassasier les très nombreux fans français de Dragon Quest: The Adventure of Dai (La Quête de Dai).

Linternaute.com : quelle est la flamme à l'origine de votre carrière de mangaka ?

Koji Inada : Plus qu'une flamme particulière ou un évènement clé, l'envie de devenir mangaka m'est venu naturellement à force de lire des manga depuis tout petit. Si l'on doit prendre une période particulière en compte, les mangas qui m'ont le plus marqué et motivé dans cette voie sont les mangas que j'ai lus au collège.

Aucun titre en particulier ?

Ils sont tellement nombreux que c'est impossible d'en faire la liste. Néanmoins, on peut considérer que Ashita no Joe occupe une place particulière dans mon univers. C'est probablement le titre vers lequel je reviens le plus naturellement.

Vous avez été assistant auprès de Masakazu Katsura, de Yoshihiro Kuroiwa et de Masatoshi Usune. Pouvez-vous nous dire ce que vous avez après auprès de chacun d'eux ?

Il faut savoir que lorsque j'ai décidé de devenir mangaka, je n'avais fait aucune étude dans ce but. Je n'avais pas la moindre expérience, j'avais pour seule arme une grande envie de dessiner et un trait passable. J'ai tout appris sur le tas. Aussi bien les principes de découpage des cases, de la mise en scène, de la gestion du rythme ou même de la manière d'appliquer les trames.

Ces trois maîtres m'ont appris tout ce que je sais dans l'art de réaliser un manga. Je me sers au quotidien de l'ensemble des compétences que j'ai acquises et développées à leurs côtés.

Vous avez été "casté" pour le projet de Dragon Quest: The Adventure of Dai. Riku Sanjo sensei dit qu'il a trouvé que votre dessin amenait une "teinte manga" à l'univers du jeu vidéo Dragon Quest. Est-ce par le biais de Monsieur Torishima, qui supervisait Katsura-sensei que vous avez été repéré ?

Tout à fait. C'est Monsieur Torishima qui souhaitait une adaptation en manga de Dragon Quest et qui a porté le projet. Il est, dans un premier temps, aller voir maître Riku Sanjo pour lui proposer de travailler dessus. Et c'est par son intermédiaire que mon dessin a été présenté à monsieur Sanjo. On peut dire que c'est monsieur Torishima qui a provoqué le duo Riku Sanjo et Koji Inada.

Racontez-nous votre rencontre avec monsieur Riku Sanjo ?

Ma première rencontre avec Riku Sanjo a été quand il m'a présenté le scénario qu'il avait préparé. Il y avait les grandes lignes du début de l'histoire, des fiches de personnages… On m'a demandé après cette présentation si je pensais pouvoir adapter cette histoire en manga.

"Le mangaka Koji Inada dessine le héros Dai"

Comment maître Sanjo vous a pitché l'histoire de Dragon Quest: The Adventure of Dai ?

C'était il y a très longtemps, je ne me souviens pas de point spécifique lors de cette rencontre. À la base, ce projet n'était pas destiné à être une longue série, ni même une série pour être honnête. Je pensais qu'il ne s'agissait que de dessiner un seul volume. Ma réponse a dû être dans l'esprit : " je vais faire de mon mieux".

"Le mangaka Koji Inada dessine le héros Dai et son acolyte Popp"

Vous étiez fan de romcom, vos deux premiers one shots sont des roms coms et auprès de maître Katsura vous avez évidemment travaillé sur des comédies romantiques. Comment avez-vous abordé le passage à un manga de fantasy et d'aventure ?

Quand je travaillais en tant qu'assistant de Monsieur Katsura, j'avais fait à côté un manga de type fantasy. Cela m'a permis d'être confiant sur ma capacité à aborder ce type d'univers. D'autant plus que comme je pensais qu'il ne s'agissait que d'une aventure en un volume, je n'avais rien à perdre. Ce n'était pas un engagement très long pour moi à ce moment (rires).

Quand vous vous êtes lancé dans le dessin de Dragon Quest: The Adventure of Dai, quel est le premier personnage préparé par maître Sanjo avez-vous eu envie d'adapter avec votre style ?

J'ai tout de suite eu envie de dessiner Dai et Brass, son grand-père. Tout simplement car ce sont les deux premiers protagonistes à apparaître dans l'histoire.

Un fan heureux pendant la séance de dédicace de maître Inada © Michaël Gorré

Construire un manga sur un univers graphique préexistant - les monstres ont déjà été créés par Akira Toriyama - porte son lot de contraintes. Quels ont été les plus gros défis et comment les avez-vous surmontés ?

En termes de contraintes de design pures, les personnages principaux étant des créations originales, ils étaient sans aucune contrainte. Les seules contraintes liées au design d'Akira Toriyama sont les monstres. Mais les seuls dessins de références pour ce glossaire sont des dessins de face. Or dans un manga, il faut pouvoir les faire bouger en trois dimensions. C'est ce point qui a été le plus difficile pour moi. J'ai dû imaginer leur design de côté, de dos, tout en respectant l'onirisme de maître Toriyama. Et ce, sans aucune référence.

En termes de défis et difficultés globales, cette adaptation n'a pas été difficile au début, mais plus on avançait dans l'histoire plus il devenait difficile d'adapter cet univers. Il y avait de plus en plus de personnages, le monde était de plus en plus vaste et diversifié. Il y avait aussi des gros personnages, que j'aurais préféré ne pas faire apparaître dans l'œuvre mais que j'ai dû quand même dessiner. C'est vraiment ce point qui a été le plus difficile : les personnages aux proportions titanesques.

La conférence croisée entre Koji Inada et C. B. Cebulski a déchaîné les foules © Michaël Gorré

Quel a été la création graphique la plus difficile à trouver ?

Sans aucune hésitation, la création qui m'a demandé le plus d'effort est indéniablement Le château d'Hadler :  la forteresse de Rochedémon. Maître Sanjo m'avait prévenu dès le départ que ce château serait amené à devenir un monstre lui-même. Je me suis tiré les cheveux en essayant d'imaginer comment transformer cette forteresse en tant que monstre, presque un mecha.

En tant que lecteur, on imagine que travailler l'aspect visuel d'attaques est un défi particulier. Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez réussi à visualiser les trois techniques de "couper" avant d'arriver au Avan Strash ?

Paradoxalement, au début c'était assez facile, dans le sens où c'était une technique plutôt " brute de force", sans artifice. Un design très linéaire tant au niveau du rendu de l'attaque elle-même, que pour la manière dont le personnage doit porter le coup. Mais au fil de l'avancée de l'histoire, il a fallu enrichir cette attaque, la complexifier, et c'est en effet un point important de difficulté.

Quand j'ai dû développer la technique du Avan Strash Cross, je me suis bien trituré les méninges. Il faut anticiper non seulement l'attaque, mais la position du corps du porteur de l'estoc mais aussi de celui qui reçoit le coup. C'est un effort qui allie design et mise en scène. Il faut que l'attaque soit à la fois lisible et crédible. C'est un équilibre assez fin à trouver, j'espère avoir réussi.

Vous êtes ceinture noire de Kempo, est-ce que cette expérience du sport de combat vous a particulièrement aidé pour certaines scènes de combats ?

Quand j'étais jeune, j'étais ceinture noire de Kempo en effet. Ça m'a été utile principalement pour les attaques de Maam. Après tout, elle a une classe de prêtresse guerrière au début avant d'évoluer en butoka. Cette expérience m'a été utile aussi bien pour les clés, que les coups ou les projections.

Dans les commentaires du manga, vous expliquez parfois avoir " soufflé fort" en recevant certains scénario de maître Sanjo. Quelle a été la scène la plus difficile à dessiner ?

Hum, laissez-moi réfléchir un peu… Comme ce manga était publié de manière hebdomadaire, je devais dessiner très rapidement. En soit le plus gros combat était celui de la deadline. Cela m'empêche de me dire " cette scène est difficile, je vais y passer plus de temps". Et comme j'étais plus jeune à l'époque, je débordais d'énergie.

Ce qui aura été difficile, c'est quand j'ai souhaité appliquer des petits design personnels, des touches ici et là, car ça mettait en péril la date de rendu. Je devais parfois me faire violence pour ne pas pousser certains dessins aussi loin que je le souhaitais. La réalisation d'un manga est un équilibre entre le désir du mangaka et la réalité de la deadline.

La carte du monde de Dragon Quest: The Adventure of Dai est proche de celle du Japon. Comment est venue cette idée ?

Dans le jeu, il y a déjà une carte du monde, il était naturel dès lors d'en avoir une dans le manga. Afin qu'elle soit compréhensible pour le grand public, je me suis inspiré de la carte du Japon. Ceci pour faciliter sa lecture par les lecteurs du Weekly Shōnen Jump. Leur permettre d'avoir un point de référence idéal.

Matorif est visuellement proche de Monsieur Torishima. Racontez-nous comment ce personnage a vu le jour et quelle a été la réaction de monsieur Torishima ?

C'est en effet un clin d'œil à notre éditeur, Monsieur Torishima. Comme maître, Toriyama l'avait déjà croqué dans ses mangas, notamment le Dr Mashirito. Nous pensions que ça ne le choquerait pas. Sa réaction a dû être " ah, ils m'ont encore mis dans leur manga" (rires).

Yuu Kondo qui a inspiré Freezer à maître Toriyama est à l'origine du personnage d'Avan. J'imagine qu'il a préféré votre version ? (rires)

C'est une idée de Monsieur Sanjo, qui voulait qu'il soit le modèle d'Avan. Il aimait beaucoup son style, l'aura qu'il dégageait. J'ignore sa réaction par contre (rires).

Le stand de Koji Inada à la Comicon Osaka a été un incontournable du week-end. © Michaël Gorré

Dragon Quest: The Adventure of Dai a été créé d'une manière atypique, vous aviez des réunions éditoriales tripartites : scénariste, dessinateur et éditeur. Habituellement l'éditeur faisait l'intermédiaire entre scénariste et dessinateur.  Pensez-vous que c'est l'une des clés du succès de Dai no Daibouken ?

Au début, nous travaillions en effet de la manière "classique" à savoir qu'il y avait tout d'abord une réunion entre messieurs Sanjo et Torishima. Puis une réunion entre monsieur Torishima et moi. Par la suite, naturellement nous avons mené ces réunions à trois têtes. Et plus tard, nous avons même commencé à avoir des réunions entre monsieur Sanjo et moi-même pour travailler sur l'histoire. C'était une manière de travailler très fluide. Peut être que ça a participé à tirer la quintessence de nos idées et ainsi au succès de la série.

La comicon Osaka est votre première convention publique, racontez-nous comment les organisateurs vous ont convaincu de venir ?

En effet. C'est ma première convention. Je trouve ça très amusant. C'est l'ancien rédacteur en chef du Gekkan Jump qui a reçu une demande de la part des équipes de la Comicon, ils souhaitaient organiser un évènement autour de la licence Dragon Quest. Et de fil en aiguille, c'est ainsi que l'on m'a demandé si je souhaitais venir.

Avez-vous un message pour vos nombreux fans de France ?

Ce n'est pas une œuvre que j'ai dessinée avec un public spécifique en tête. Je suis très content d'apprendre que cette œuvre a eu un impact en France.

L'Internaute tient à remercier maître Koji Inada. Merci aussi aux équipes de la Comicon Osaka, ainsi qu'à Emmanuel Bochew pour l'interprétariat et Michaël Gorré pour son assistance.