Christophe Sidamon-Pesson "Le monde sauvage peut nous apprendre beaucoup de choses sur nous-mêmes"

En quête perpétuelle de rêve et d'idéal, Christophe Sidamon-Pesson parcourt le monde à la recherche de paysages où la nature est encore sauvage. Rencontre.

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Vallon de Riou Vert © Christophe Sidamon-Pesson

Quand et comment avez-vous débuté la photographie ?

Christophe Sidamon-Pesson : Avant la photographie, il y a eu la nature. Depuis mon plus jeune âge, j'ai été en contact avec elle. À l'époque je ne prenais pas spécialement de photos mais je faisais de nombreux dessins (crayon, aquarelle, huile...), représentant la plupart du temps des scènes de nature. J'ai aussi toujours porté un intérêt aux appareils comportant un certain degré de technologie. Cette envie de manipuler un outil perfectionné associée à un besoin de m'exprimer en connivence avec la nature de manière artistique m'a conduit assez tôt (je devais avoir autour de 15 ans) à la photo de nature : une autre façon pour moi de "peindre" ce que je contemplais. Cela fait maintenant environ 20 ans que je photographie le monde sauvage et à présent, en autodidacte acharné, j'ai fait de la photo mon métier.

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Le ruisseau de la Pisse près de sa source. © Christophe Sidamon-Pesson

La photographie nature semble vous passionner, qu'est-ce qui vous plaît tant dans ce type de photos ?

C'est le fait de renouer avec l'univers qui nous a en fin de compte constitués mais qui au fil du temps est devenu étranger aux yeux de notre société. Nous sommes plus ou moins tous amenés un jour ou l'autre à nous poser des questions sur la place que nous occupons, sur les relations que nous avons avec ce qui nous entoure, sur les actions que nous faisons qui peuvent engendrer autant de beauté que d'horreur. J'en suis persuadé, le monde sauvage peut nous apprendre beaucoup de choses sur nous-mêmes si nous daignons réapprendre à le voir, si nous réapprenons à percevoir ce qui est là devant nous tel que cela est, sans a priori aucun. La photographie de nature peut permettre de se sentir davantage "relié" aux choses qui nous entourent et être le révélateur de sentiments profonds. La nature est là comme le reflet du regard qu'on lui porte. C'est sans doute aussi pour cette raison que j'ai tendance à ne pas juger l'intérêt d'une image par le plaisir oculaire qu'elle peut procurer mais par le questionnement intérieur qu'elle provoquera à celui qui la regarde.

Quel matériel photo utilisez-vous ?

À l'heure actuelle, je suis équipé de deux boîtiers numériques Nikon (D2X et D3) et d'une gamme d'objectifs allant du 14mm au 200-400mm. J'utilise aussi un compact Canon G9 pour obtenir certains angles de prise de vue que le reflex ne permet pas d'obtenir et pour les vues subaquatiques en l'associant à un caisson étanche. Bien entendu, je transporte avec moi un trépied, voire deux selon les cas ! Et puis une petite gamme de filtres Lee dégradés gris neutres pour atténuer le contraste lorsque celui-ci est trop prononcé. En tous les cas, j'en ai bien lourd sur le dos !

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Lac Blanchet © Christophe Sidamon-Pesson

Quels conseils donneriez-vous aux photographes amateurs pour réussir une bonne photo nature ?

À la base, les mêmes que pour tout autre domaine photographique que celui de nature ! Derrière une image qui nous parle, il y a bien sûr une certaine dose de technique, mais la technique n'est qu'un moyen mis à disposition pour aider à retranscrire le message que le photographe souhaite faire passer et ne saurait à elle seule suffire à constituer une véritable photographie. L'essentiel, à mon sens, est que le photographe ressente de façon prononcée le besoin de faire percevoir aux autres ce qu'il éprouve. À partir de là il sera amené à se questionner sur les meilleurs moyens d'y parvenir. On ne peut pas donner de conseils précis dans ce domaine puisque cela dépend du parcours intérieur de chacun, mais le conseil que je donnerais tout de même est justement de développer son propre ressenti puisque c'est par là que tout ce qui constituera l'image passe. Un bon moyen de parvenir à mieux comprendre ce qu'il est nécessaire de faire pour qu'une image soit en accord avec ce que l'on ressent est sans nul doute de regarder et d'examiner les photographies que l'on trouve admirables ici et là dans les magazines ou dans les beaux livres. On finit par s'imprégner de "visions" qui nous correspondent et par la suite, en prenant nos images, on applique un peu de ce qui nous est propre.

Une chose caractérise toutefois la photographie de nature : c'est la nécessité pour le photographe d'être très présent sur le terrain. Contrairement à bon nombre d'autres domaines, la nature ne se commande pas, il faut donc être un maximum disponible pour être là où il faut lorsqu'il le faut.

Concernant la technique, on dit souvent que le matériel ne remplace pas le photographe, c'est vrai, mais il est vrai aussi qu'un bon matériel aide à la réalisation de certaines images impossibles autrement.

Vous avez beaucoup voyagé. Y a-t-il un pays qui vous a émerveillé par la beauté de sa nature et que vous avez adoré photographier ?

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Cascade de Haifoss © Sidamon-Pesson/Allemand

Je ne sais pas si l'on peut dire que j'ai réellement "beaucoup" voyagé. J'ai effectué quelques voyages avec mon coéquipier photographe David Allemand, notamment dans les pays nordiques où nous nous rendons régulièrement. En Finlande, en Suède ou en Norvège les espaces sauvages sont beaucoup plus vastes qu'ici en France. Les lumières sont aussi beaucoup plus subtiles et ne peuvent que ravir les quêteurs d'images. À chaque retour en France il faut un temps pour se réadapter à nos espaces beaucoup plus humanisés. Reconnaissons tout de même que la France, même si elle comporte beaucoup moins de grands espaces sauvages, abrite des milieux naturels bien plus variés. À chaque fois il nous faut donc un temps pour nous réadapter. Mais lorsque nous sommes revenus d'Islande après y avoir passé près de deux mois, ce temps de réadaptation s'est vu être beaucoup plus long qu'à l'accoutumée. Nous ne sommes pas les seuls photographes à l'avoir constaté, ce pays a quelque chose de différent, on y ressent de façon très marquée la force des éléments dans une vaste nature restée très préservée !

En réalisant tant de photos, vous avez du connaître des péripéties ou aventures. Auriez-vous une anecdote à nous raconter ?

Beaucoup d'images sont associées à des histoires assez surprenantes, mais une image qui reste pour moi mémorable est celle qui est devenue en quelque sorte l'emblème de mon travail (et de mon site Internet) : le grand corbeau lançant son cri rauque en planant, dont les plumes noires mais luisantes réfléchissent la lumière du soleil. C'est une image qui, comme c'est souvent le cas, a été longuement pensée et attendue, avant qu'elle ne se réalise enfin. Le grand Corbeau est un oiseau que je trouve assez différent des autres, de par son comportement et son attitude hors normes. Il a été aussi porteur de nombreuses symboliques par le passé, c'est un messager qui vient nous porter les nouvelles d'un autre monde. C'est pour moi le messager du monde sauvage.

Un matin, alors que je rentrais dans mon affût, je me suis aperçu que celui-ci était quelque peu déconstruit et déchiré. Je pensais au début que c'était l'œuvre du vent, mais finalement non. En y regardant de près, de nombreux petits poils étaient disséminés de ci de là sur la toile camouflée. Je les ai récupérés avec une pince à épiler et confiés à des spécialistes pour qu'ils les examinent. Un an plus tard j'ai appris qu'il s'agissait de poils de Lynx ! Un Lynx, voulant certainement marquer son territoire, était donc rentré durant mon absence à l'intérieur de mon affût au grand corbeau ! Plus tard, en Finlande, une très brève rencontre a eu lieu avec cet autre emblème de la nature indomptée.

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La marée descend et laisse entrevoir des éperons rocheux tels de vieilles épaves englouties. © Christophe Sidamon-Pesson

Y a-t-il un pays où vous aimeriez vous rendre pour faire des photos ?

Tous les pays abritant une "grande" nature m'intéressent, de préférence ceux touchant aux régions polaires pour leurs lumières qui sont si belles et pour le climat qui me correspond mieux que celui des pays chauds et qui correspond aux sujets que j'affectionne le plus. Je ne néglige pas non plus certains petits secteurs de France qui méritent largement qu'on s'y intéresse.

Je pense que le Canada (je me suis déjà rendu au Québec), pays tellement vaste, me verra "débarquer" un de ces jours...

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