Vazken Andréassian (Hydrologue) "Le niveau des nappes phréatiques en France n'a rien d'alarmant"

Chaque année, le problème de la sécheresse se pose. Après un hiver plutôt sec, les climatologues et les hydrologues surveillent le niveau des réservoirs naturels d'eau. Vazken Andréassian, hydrologue au Cemagref d'Antony dresse un bilan de la situation.

 

Que pensez-vous de l'alerte à la sécheresse lancée en mars dans le Bassin parisien et dans le Sud ?

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La sécheresse menace-t-elle ? © DR

Vazken Andréassian : Dans le Bassin parisien, la situation est relativement classique. Il y a encore deux semaines, une petite crue s'est produite à Paris ; elle ne s'est pas vue car les voies sur berges n'ont pas été fermées. Cette crue est plutôt encourageante car cela veut dire que le débit des rivières est important et par conséquent que les réserves en eau souterraine sont plus que convenables.

Dans le Sud, la situation n'est pas alarmiste car les régions sont alimentées par le Rhône dont l'alimentation ne dépend pas uniquement des nappes fluviales mais également des Alpes et du Lac Léman.

Les nappes phréatiques françaises sont-elles à un niveau inquiétant ?

Il est vrai que nous avons connu un hiver sec, il a peu plu sur le sol français ce qui explique que les nappes phréatiques se rechargent moins. D'après la carte de pluviométrie, sur les six derniers mois, les régions les plus touchées sont le Poitou-Charentes, le Sud-Ouest et le Sud-est.

En France, les Cévennes et les Vosges sont les zones en moyenne les plus arrosées (précipitations supérieures à 2 000 mm/an). Dans beaucoup de régions du pays, il est tombé moins de 60% de la pluie moyenne au cours des six derniers mois, mais cette référence que les météorologues appellent la "normale", est définie par la moyenne de la pluviométrie sur 30 ans. Or, il est naturel d'avoir des variations d'une année sur l'autre.

50% de l'eau sont consommés par les agriculteurs

Outre une chute des précipitations, comment expliquez-vous une telle baisse du niveau d'eau des nappes phréatiques ?

Contrairement à ce qu'on pourrait croire, les villes ne sont pas les premières consommatrices en eau douce. Elles représentent 25% de l'eau consommée contre 50% pour les agriculteurs et plus précisément pour l'irrigation. Par exemple, en Poitou-Charentes, les nappes baissent car l'eau y est prélevée pour les cultures. Plus nous aurons un climat sec, plus ces stocks d'eau souterraine seront ponctionnés, plus leur niveau baissera car de surcroît, ils ne seront pas alimentés par les pluies. C'est un cercle vicieux. Le moyen d'y remédier est de construire des barrages. Et si on regarde leur niveau actuel, ils sont tous positifs, à part celui de la Garonne.

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L'irrigation correspond à 50% de l'eau consommée. © DR

Risquons-nous à terme d'être confronté à une pénurie d'eau en France si cet été une nouvelle canicule se présente ?

Non pas du tout. La situation n'a rien d'irréversible. Les villes sont alimentées par les fleuves, les aquifères et puis l'irrigation sera diminuée fortement. Le problème réside dans la température de l'eau. Plus l'air ambiant est chaud, plus l'eau le sera également. De nombreuses centrales thermiques l'utilisent afin de se refroidir, ce qui à pour effet d'augmenter encore plus la température de l'eau. L'oxygénation y est alors réduite ce qui pose des problèmes pour l'écosystème et les poissons en l'occurrence.

Comment expliquez-vous que le nombre de crues ait augmenté ?

Il n'y pas plus de crues à l'heure actuelle que par le passé. Les dégâts sont juste plus importants à cause de l'homme. Il est vrai que dans certains endroits de France, il y a un peu plus d'inondations mais pour le moment nous ne pouvons l'expliquer autrement que comme étant le fruit du hasard. Les sols sont beaucoup moins érodés qu'au XIXe siècle.

Les dégâts sont conséquents car certaines personnes vivent sur des zones inondables. Avant de construire ou d'acheter une maison, il vaut mieux s'assurer que le terrain soit dans une zone non inondable.

Il est possible d'utiliser l'eau de mer et de la dessaler

La crise alimentaire fait la une de l'actualité, peut-il se produire la même chose avec l'eau ?

Bien évidemment, l'eau suscite de nombreuses tensions entre les pays surtout dans les régions pauvres du globe. L'homme vit des cultures et indéniablement d'eau pour pouvoir irriguer ses terres. 90% de l'eau consommée, c'est-à-dire évaporée dans l'atmosphère, y sont consacrés.

Les zones sensibles sont le bassin versant du Nil entre l'Egypte, l'Ethiopie et le Soudan, le bassin versant de l'Indus ; le Pakistan collecte l'eau venant de l'Inde et de la Chine. Mais l'exemple de conflits le plus palpable est sans conteste entre la Turquie, l'Irak et la Syrie, le bassin de l'Euphrate. La Turquie a développé des moyens de stockage de l'eau mais elle possède également une force militaire, ce qui explique qu'elle dispose de plus d'eau que ses voisins.

Tout comme l'or noir, l'or bleu peut-il disparaître à terme de la surface de la Terre ?

Non, il existe un cycle naturel qui est le cycle de l'eau. Nous ne manquerons jamais d'eau douce, nous ne pouvons que la polluer. Et puis, il est possible d'utiliser l'eau de mer et de la dessaler tout simplement. Seul problème, cela requiert beaucoup d'énergie et vue la flambée des prix, ce moyen n'est pas des plus judicieux.

Après, il y aura très certainement une modification de la répartition de l'eau. Avec le réchauffement climatique, on peut juste dire qu'il pleuvra plus au Nord et moins au Sud.

A lire

"L'eau"
Jean Margat et Vazken Andréassian
Editions Le Cavalier Bleu
128 pages

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