Pascale Boistard "Il ne faut pas reléguer les meurtres sexistes à la case des crimes passionnels"

La secrétaire d'Etat aux Droits des Femmes a accordé un entretien à Linternaute.com avant la journée du 8 mars. Elle rappelle les efforts accomplis en France depuis la loi du 4 août 2014 et explique ses propos sur le port du voile à l'université.

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Pascale Boistard, secrétaire d'Etat aux Droits des Femmes. © LAURENT BENHAMOU/SIPA

Que va-t-il se passer ce dimanche 8 mars à l'Elysée pour la Journée internationale des droits des femmes ?

Le slogan de ce 8 mars est "Elles font la France". "Elles", ce sont toutes ces femmes qui, au quotidien, participent à la dynamique de notre pays. Une centaine de femmes va venir à l'Elysée dimanche, à la rencontre du président de la République. Des femmes qui viennent de tous les territoires, qui sont de tous les âges, de toutes catégories sociales, des femmes d'horizons professionnels différents et des femmes d'engagements aussi. Beaucoup de femmes s'engagent et oeuvrent dans des associations ou des ONG. Cette rencontre va se faire autour de trois thèmes principaux qui sont : comment concilier la vie professionnelle et la vie privée, comment on peut lutter contre les stéréotypes et comment on peut aussi faire que les femmes aient toute leur place, où elles le souhaitent, quand elles le souhaitent, dans l'espace public.

Ces échanges vont avoir lieu au cours d'un moment très convivial, mais aussi d'une discussion très sérieuse avec le président de la République. Et elles pourront témoigner à la fois de leur quotidien, des difficultés qu'elles peuvent rencontrer, mais aussi des espoirs qu'elles ont par rapport aux politiques qu'on peut mener.

Que peut-on attendre concrètement de tels échanges ?

C'est aussi une méthode de démocratie participative qui va continuer à être mise en place après le 8 mars. Il s'agit d'avoir un échange avec des personnes qui pourront témoigner de leur quotidien. L'enjeu, c'est déjà de les entendre et de les écouter, mais aussi de pouvoir leur apporter des précisions quant à notre volonté de faire progresser l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, avec des sujets précis et non pas simplement un discours généraliste. Il y aura donc aussi de la part du président de la République des réponses aux questions qui pourront être posées à cette occasion.

François Hollande va-t-il annoncer des mesures ou donner une nouvelle impulsion ?

En tout cas, le président de la République réaffirmera son engagement dans cette égalité réelle pour les femmes et les hommes.

Une grande loi pour "l'égalité réelle entre les femmes et les hommes" a été promulguée le 4 août 2014. Où en est la France 7 mois après ?

"La garantie des impayés de pensions alimentaires a vocation à être mise en œuvre sur l'ensemble du territoire."

De nombreuses dispositions ont déjà été mises en oeuvre comme par exemple l'expérimentation de la garantie des impayés de pensions alimentaires. Nous étions lundi avec Marisol Touraine et Laurence Rossignol dans une CAF, pour valoriser ce dispositif qui aide des femmes qui sont à la tête de familles et qui ont parfois des difficultés à percevoir les pensions alimentaires. La CAF prend alors le relais du mauvais payeur. C'est un dispositif qui est aujourd'hui expérimenté dans 20 départements et qui a vocation, après une évaluation de 18 mois, à être mis en oeuvre sur l'ensemble du territoire.

Lutter pour les droits des femmes, c'est aussi lutter contre les violences. C'est renforcer ce numéro qui est indispensable, le 3919, pour que les femmes soient écoutées, mais aussi accompagnées lorsqu'elles sont victimes de violences. Et avec un dispositif qui, lui, a été expérimenté dans de nombreux départements et qui aujourd'hui va être généralisé qui est le "téléphone grand danger". Il permet à des femmes qui sont en danger de mort - il faut le rappeler - de pouvoir être protégées.

L'actualité donne régulièrement l'impression que les violences faites aux femmes s'aggravent. Est-ce confirmé par les chiffres ?

On constate surtout que la parole se libère. Et c'est un point extrêmement important, d'en parler et de faire en sorte que les femmes puissent aller déposer plainte. Elles sont pourtant encore nombreuse à ne pas le faire alors qu'elles sont victimes de violence. Le fait que l'on puisse en parler, le fait que, vous aussi, les médias, vous puissiez relayer ces questions et mettre en lumière les dispositifs que nous mettons en place, cela libère la parole, cela donne aussi ce courage, extrêmement difficile à trouver, d'aller déposer plainte. Là encore, nous avons mis en place des dispositifs importants quant à l'organisation entre police, gendarmerie, justice et associations qui sont sur ces questions, pour accompagner, dès la première violence, même si c'est juste une main courante qui est déposée, ces femmes et pour faire que chaque acte de violence trouve une réponse. C'est mon premier poste budgétaire.

"Ces "crimes passionnels" sont des féminicides, elles sont tuées parce qu'elles sont femmes."

Une association ("Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir") vient d'indiquer que 80 % des femmes handicapées étaient victimes de violences...

Vous savez, ce sont malheureusement toutes les femmes de tous milieux sociaux et de toutes situations qui sont victimes de violences. Certaines font face à un cumul de violences et de difficultés. C'est important justement qu'aucune violence ne soit laissée de côté et qu'elles trouvent chacune une réponse, un accompagnement approprié.

Des associations militent pour la création dans le droit français du "féminicide". Est-ce une solution ?

En tout cas, ce qui est important, c'est de ne pas reléguer les violences faites aux femmes, les meurtres sexistes perpétrés sur les femmes, parce que ce sont des femmes, à la case des "crimes passionnels". Cela porte un nom : c'est le féminicide. Et c'est important que les médias nomment bien les choses.

Et dans la loi ?

Vous savez que dans le code pénal existent déjà des circonstances aggravantes sur des violences ou des meurtres commis à l'égard des femmes dans certaines situations. Lorsque la femme est enceinte, lorsque le meurtre est commis par le conjoint ou lors d'un refus de mariage ou d'union par exemple. C'est vrai que le terme "féminicide" n'est pas inscrit en tant que tel. Mais commençons déjà par bien nommer les choses et par ne pas banaliser dans les mots ces crimes sexistes. Ces "crimes passionnels" sont des féminicides, elles sont tuées parce qu'elles sont femmes.

La loi pénalisant les clients de la prostitution arrive au Sénat le 30 mars, plus d'un an après son adoption à l'Assemblée. Les droits des femmes sont-ils la dernière roue du carrosse législatif ?

Je ne crois pas car la loi du 4 août 2014 a été votée et c'est une grande loi qui porte sur de nombreux sujets importants pour les droits des femmes. Mais sur cette proposition de loi sur l'abolition du système prostitutionnel, je rappelle que suis arrivée à ce secrétariat d'Etat le 26 aout. Fin septembre j'avais participé à la marche aux cotés de Rosen Hicher et des survivantes de la prostitution, et j'avais pris un engagement qui était très clair : que le gouvernement s'engageait et que je m'engageais à ce que le texte soit inscrit au Sénat dans le premier semestre de l'année 2015. Ce qui est chose faite.

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Pascale Boistard. © LAURENT BENHAMOU/SIPA

La loi a été adoptée première lecture à l'Assemblée en décembre 2013. Comment expliquez-vous un tel délai ?

Vous savez que le calendrier législatif est extrêmement encombré et que la commission spéciale du Sénat a rendu ses conclusions en juillet 2014. Après, vous aviez l'interruption estivale des assemblées, puis ensuite des élections sénatoriales et, jusqu'à fin octobre, la remise en place des commissions du nouveau Sénat. Ensuite, une place prioritaire a été accordée – et c'est bien normal - au PLFSS et au PLF (lois de finances – NDLR) ainsi qu'à d'autres lois qui nécessitaient une dernière lecture au Sénat. Mais dès le mois de janvier, nous avons bataillé avec le Sénat pour inscrire au plus vite le projet de loi sur le système prostitutionnel et nous y sommes parvenus, comme nous nous y étions engagés.

D'aucuns voient une dégradation de la situation des femmes dans les quartiers et la lient même parfois à une montée du fondamentalisme religieux. Partagez-vous cette analyse ?

"Il y a aujourd'hui des difficultés dans les transports en commun et un phénomène qui est le harcèlement de rue."

La place de la femme dans les espaces publics, elle concerne tous les espaces publics. Et toutes les femmes. On a engagé, notamment avec Myriam El Khomri, secrétaire d'Etat chargée de la politique de la Ville, une expérimentation à travers ce qui s'appelle des "marches exploratoires. "Il s'agit pour les femmes, notamment dans des zones urbaines, de pouvoir, avec les élus locaux, faire ces marches pour pouvoir déterminer si l'environnement urbain est adapté à la vie des femmes et à leur sécurité, sur des questions concrètes comme l'éclairage, les endroits isolés, la présence humaine par exemple.

Et effectivement, il y a aujourd'hui des difficultés dans les transports en commun par exemple et un phénomène qui existe depuis très longtemps, mais dont on parle depuis peu de temps finalement, qui est le harcèlement de rue. Là aussi nous sommes investis, nous travaillons d'ailleurs en lien avec les associations sur ces questions, pour que nous puissions trouver des dispositifs concrets, mais aussi pour communiquer sur ces phénomènes, nuisibles et qui empêchent les femmes d'être à l'aise, chez elles, partout où elles le souhaitent.

Doit-on en conclure que la situation des femmes se précarise dans les quartiers ?

Ce n'est pas que dans les quartiers. Ces phénomènes d'insultes, d'agressions sexistes existent aussi dans les beaux quartiers. Il y a du sexisme, des agressions sexistes dans l'espace public en général. Et moi je ne veux pas mettre le focus sur les quartiers. Et je veux aussi que l'on s'intéresse à ce à quoi on peut assister dans les transports en commun. Quand vous avez, dans le métro, la quasi-totalité des femmes qui considèrent que personne ne pourrait leur venir en aide s'il leur arrivait quoi que ce soit, il y a une vraie question à laquelle il va falloir trouver des réponses et nous nous en donnons les moyens. Ce sont des questions auxquelles nous nous attaquons avec le ministère de l'Intérieur, le ministère des Transports et l'ensemble des opérateurs de transports. Il y aura des réponses et des annonces faites au mois de juin, sur les transports en particulier, et nous réfléchissons aussi à une communication.

"En tant que féministe et secrétaire d'Etat aux Droits des Femmes, [...] je ne peux pas dire que je suis favorable au port de signes religieux dans l'espace public."

Vos propos sur le port du voile à l'université ont beaucoup fait parler cette semaine. Est-ce que vous les maintenez ?

En tant que féministe et secrétaire d'Etat aux Droits des Femmes, quand on me pose la question, je ne peux pas dire que je suis favorable ou que je voudrais encourager le port de signes religieux dans l'espace public. Je voudrais toutefois dire – contrairement à ce qui a pu être écrit – que je n'ai jamais appelé à l'interdiction de ces signes à l'université. Et d'ailleurs la position du gouvernement est claire sur le sujet : il n'y aura pas de changement législatif. Il n'y a donc pas lieu pour moi de prolonger le débat. Pour moi, le sujet est clos, même si on doit pouvoir parler de laïcité de manière sereine et dépassionnée.

Selon une récente étude de la Dares, les inégalités femmes-hommes perdurent au travail. Les inégalités de salaires notamment restent de l'ordre de 19 %. Comment l'expliquer ?

C'est un des points durs que nous avons sur les inégalités. Je suis très mobilisée sur cette question. La loi du 4 août va nous aider aussi à progresser, à travers notamment le fait de donner des responsabilités plus importantes aux femmes dans les entreprises. Mais il faut aussi imposer dans le dialogue social, par la loi du 4 août, une action concrète des entreprises sur l'égalité femmes hommes. Plus de 13 000 entreprises ont déjà lancé des plans d'action ou des accords.

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Pascale Boistard. © LAURENT BENHAMOU/SIPA

Les entreprises n'ayant entamé aucune démarche d'égalité sont toujours sanctionnées ? Combien en 2014 ?

Plus de 1300 ont été mises en demeure. Elles ont été accompagnées pour avancer. Je constate qu'elles commencent à emprunter ce chemin. 45 seulement ont été sanctionnées parce qu'elles ne voulaient pas réellement jouer le jeu. Nous donnons des outils aux entreprises pour les accompagner. C'est notre rôle aussi. D'ailleurs, le site Ega-pro (www.ega-pro.femmes.gouv.fr/) est un outil pour les entreprises pour savoir comment faire évoluer cette égalité entre les femmes et les hommes au sein même de l'entreprise. 

Ce que je veux vous dire aussi, c'est qu'il y a des progressions qui sont fortes dans l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, même s'il reste beaucoup à faire. Quand on regarde le classement mondial qui a été fait dernièrement (classement du Forum économique mondial sur la parité publié le 24 février – NDLR), la France est passée de la 45e place à la 16e place. Et dans les critères pour faire ce classement, figurent en bonne place l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la parité en politique. Le fait que nous avons un nouveau mode de scrutin qui fait progresser de façon spectaculaire la parité au niveau départemental est un nouvel exemple de cette détermination (pour les départementales 2015, vous voterez pour un homme et une femme - NDLR). Ce classement s'améliore  aussi parce que le gouvernement est à parité. C'est une volonté du président de la République, c'est une volonté du gouvernement, qui nous permet de mener des actions dans tous les domaines, parce que nous travaillons de façon transversale avec tous les ministères.

"Les Françaises et les Français qui votent doivent aussi se saisir de ces questions dans le débat démocratique, quand il y a des élections."

Justement, ne devrait-on pas imposer le ticket "homme-femme" aux législatives comme aux départementales ?

Pour les législatives, il y a dans la loi du 4 août un renforcement des pénalités financières pour les partis politique. Mais je vais vous dire une chose : il y a aussi une responsabilité des partis politiques eux-mêmes. Elle doit s'exercer. Il y a enfin des citoyennes et des citoyens qui doivent pouvoir choisir, cela fait partie des éléments de débat. Les parlementaires ont fait voter à plusieurs reprises des lois qui font progresser la parité en politique. Les Françaises et les Français qui votent doivent aussi se saisir de ces questions dans le débat démocratique quand il y a des élections. C'est une exigence démocratique, c'est une exigence citoyenne, qui doit s'exercer.

Propos recueillis le 6 mars 2015.