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Jean-Luc Emery : "Il faut s'entraîner à faire face à l'angoisse de manière efficace"

Le psychiatre Jean-Luc Emery, auteur de "Surmontez vos peurs : vaincre le trouble panique et l'agoraphobie", décrypte les mécanismes et manifestations de la phobie. Il explique comment il aide ses patients.
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Jean-Luc Emery est psychiatre, spécialiste des thérapies cognitives et comportementales et auteur de "Surmontez vos peurs - Vaincre le trouble panique et l'agoraphobie" (Odile Jacob, 2002). Il exerce à Paris.

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Peur, angoisse, phobie : qu'est-ce qui distingue ces différentes formes d'anxiété ?
Jean-Luc Emery Je ne poserais pas la question ainsi. La peur et l'angoisse sont des émotions habituelles comme la tristesse, la colère, le plaisir... Le problème est de savoir à partir de quel moment des émotions peuvent être définies comme une maladie. La phobie, en général, est la peur d'un objet, comme la peur de l'araignée. C'est une maladie à partir du moment où l'on commence à éviter d'être nez à nez avec une araignée à cause de la très forte angoisse qu'elle provoque : on a peur de mourir (d'un arrêt cardiaque, d'étouffement…), de perdre le contrôle de soi ou de devenir fou.

"Le problème est de savoir à partir de quel moment des émotions peuvent être définies comme une maladie."

Comment se manifestent ces phobies ?
L'élément de déclenchement est la peur d'une peur qu'on a ressentie un jour et de la manière dont on y a réagi. Il provoque une crise d'angoisse envahissante avec une manifestation physique forte et des pensées du type scénarios-catastrophes (peur de mourir, d'étouffer, de s'évanouir…) et des comportements d'évitement. Dans le trouble panique ("la peur de la peur"), on ne veut rien faire qui pourrait créer cette sensation d'angoisse. On évite toute situation qui pourrait déclencher cette angoisse. Ou toute situation où il pourrait être dangereux d'être angoissé.

Existe-t-il différents degrés de phobies ?
il y a différents degrés phobies dans la mesure où il existe des phobies spécifiques, comme la peur d'une araigné,e et des phobies complexes. Parfois plusieurs troubles se superposent, comme par exemple un trouble panique et la peur des autres, ou un trouble anxieux et une dépression créée par une mauvaise image de soi liée au fait que l'on ne peut pas beaucoup se déplacer. C'est alors plus compliqué à traiter.

"Dans le trouble panique, on ne veut rien faire qui pourrait créer cette sensationd'angoisse. On évite toute situation qui pourrait déclencher cette angoisse."

Y a-t-il des catégories de la population qui sont plus touchées par ces troubles que d'autres ?
Les études épidémiologiques montrent que les femmes sont deux fois plus touchées par les troubles anxieux que les hommes. Une proportion que l'on retrouve pour les autres troubles émotionnels ou troubles de l'humeur comme la dépression. Alors que la proportion s'inverse pour les troubles comportementaux : il y a deux fois plus d'hommes touchés par l'alcoolisme, les conduites à risque, les comportements agressifs…

Pourquoi ?
Sur le plan physiologique, pour des raisons essentiellement hormonales, on sait que les femmes sont plus sensibles aux émotions. Mais il y a aussi un aspect culturel : les femmes sont plus douées pour le partage des émotions. Dans leur éducation, on accepte mieux des petites filles qu'elles réagissent à leurs émotions, alors qu'on demandera plus de contrôle aux garçons.

Comment et pourquoi peut-on devenir phobique ?
Il y a plusieurs hypothèses à faire. En général, quand on explore le sujet avec les patients, on cherche ce qui a pu se passer dans leur éducation notamment dans la façon dont on doit se comporter en public : on peut avoir peur de parler en public dans des familles où l'on dit qu'il ne faut pas attirer l'attention sur soi, ne pas être prétentieux... Il peut aussi y avoir un vécu, une expérience traumatisante : dans l'enfance ou l'adolescence, la personne peut avoir pris la parole et s'être sentie ridicule. Il y a enfin des explications qui tiennent au fonctionnement physiologique : certaines personnes sont plus émotives que les autres. La peur de rougir, de transpirer… peut alors être liée à des caractéristiques intrinsèques de la personne.

"Il faut les aider à comprendre que quand ils sont angoissés, ils ne sont pas en danger et qu'ils peuvent contrôler ce qu'ils pensent et ce qu'ils font."

Se confronter à ses peurs est-il le meilleur moyen de les surmonter ?
S'y confronter oui, mais pour quoi faire ? La phobie ou le trouble anxieux créent des pensées et des comportements face aux angoisses qui sont censés mettre fin à ces angoisses. Mais au final, ils les augmentent. Il faut donc s'entraîner à faire face à l'angoisse de manière efficace. Pour cela, il faut d'abord repérer les situations, les expériences qui vont créer l'angoisse et tous les "trucs" que les patients ont ou font pour y faire face, se rassurer : on les appelle les "comportements de sécurité en situation" (avoir toujours un téléphone portable dans sa poche, se placer à proximité des portes dans le métro…) Il faut ensuite apprendre à faire face sans fuir et sans entrer dans un scénario catastrophe, en y substituant des comportements efficaces. Il faut les aider à comprendre que quand ils sont angoissés, ils ne sont pas en danger et qu'ils peuvent contrôler ce qu'ils pensent et ce qu'ils font.

Comment doivent-ils s'y prendre concrètement ?
Dans ces situations, il ne faut pas se centrer sur ce qui peut se passer mais sur ce qui se passe : c'est-à-dire la peur. Qu'est-ce qui se passe dans mon corps quand j'ai peur ? Par exemple, si j'ai les jambes molles cela ne veut pas dire que je vais m'évanouir mais seulement qu'il y a plus de sang dans les muscles de mes membres inférieurs. Il faut réinterpréter correctement ce que l'on ressent : c'est-à-dire que même s'il on ressent une faiblesse, il y a en réalité beaucoup d'oxygène qui est apporté aux muscles de nos jambes et que celles-ci peuvent nous porter longtemps...

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Quels conseils donneriez-vous aux personnes qui souffrent de ces troubles ?
En cas de crise d'angoisse, je leur conseillerais d'aller voir un généraliste pour les aider à comprendre ce qui s'est passé dans leur corps et à le réinterpréter correctement.

Peut-on réussir à guérir de ses phobies ?
Oui, c'est mon constat. La durée de l'accompagnement varie selon les individus mais on peut être traité sur une durée de 4 mois à un an.

 
 Claire Planchard, L'InternauteSavoir
 
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