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INTERVIEW
 
22/09/2006

Cédric Kahn : "A la lecture, le film devient évident"

Roberto Succo, Feux Rouges, L'Avion... Tous les derniers films de Cédric Kahn sont des adaptations. Rencontre avec un réalisateur qui aime s'approprier des histoires...

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Cedric Kahn © L'Internaute Magazine

Depuis 1998, le réalisateur français Cédric Kahn enchaîne les adaptations. L'Ennui, récit d'une passion sexuelle entre un prof de philo et son élève, est tiré du livre éponyme de Moravia. Son portrait d'un serial-killer, Roberto Succo, est inspiré du livre-enquête d'une journaliste. L'étrange Feux Rouges a été écrit par Georges Simenon voilà 50 ans. Quant au conte pour enfant L'Avion, sorti en 2005, il est d'abord né en BD, sous la mine de Magda et Lapière. Quatre films, quatre adaptations, toutes caractérisées par des choix scénaristiques audacieux et une vraie vision d'artiste. Rencontre...


Comment un livre rencontre-t-il un réalisateur ?

Cédric Kahn : C'est un déclic. Quelque chose de difficile à théoriser. Je crois qu'il se produit une chimie très particulière dans le cerveau. C'est comme si, au fur et à mesure de la lecture, le film devenait évident. Et ce genre d'impression commence dès les trois ou quatre premières pages. Comme lors d'un casting, c'est un rendez-vous entre une oeuvre et un réalisateur. Mon plus grand flash, ce fut avec Feux Rouges. Mon agent m'avait donné plusieurs livres de Simenon à lire mais aucun ne m'emballait. Puis j'ai découvert Feux Rouges et les thèmes du livre ont rencontré mes envies du moment. C'est ça : un livre doit rencontrer une envie...

 


Quels types de défis doit-on relever lors d'une adaptation ?

Adapter est un avantage : on ne part pas de zéro. En revanche, le processus d'appropriation est plus long que dans le cas d'un scénario original. Il faut faire sien le texte, puis en extraire toute trace de littérature pour n'en garder que les idées visuelles, cinématographiques. C'est difficile : certaines choses passent merveilleusement à l'écrit mais ne marchent pas sur grand écran.

 

© Fox Pathé Europa
"J'ai angélisé l'histoire
de L'Avion..."

Quel est votre première intention au moment d'adapter une oeuvre : le respect ou la trahison ?

Je ne me pose pas la question en ces termes. Le film n'ajoute ou n'enlève rien au livre. Chacun doit être une oeuvre autonome. Les vrais fans d'un livre ne devraient pas aller voir le film qui en est tiré. Pour moi, l'oeuvre originale n'est qu'un matériau qui nourrit mon film. Je ne garde que ce qui est bon pour mon travail. Partant de ce constat, comme dit Godard, un mauvais livre peut très bien faire un bon film... Mais quoi qu'il arrive, original ou non, j'ai besoin d'écrire le scénario. Si quelqu'un d'autre le faisait, j'aurais le sentiment de n'avoir pas réfléchi sur cette histoire.

 

Comment se déroule le travail d'adaptation ? Vous rencontrez l'auteur ?

Ca dépent. Pour Roberto Succo, j'ai écrit le premier jet en compagnie de la journaliste. Son livre-enquête était très précis, très réel. Elle avait mené des mois et des mois d'enquête minutieuse. Mais ensuite, je travaille seul. J'ai besoin de m'isoler pour m'immerger dans une histoire. Dans le cas de L'Avion, je n'ai rencontré les auteurs qu'à la sortie du film, pour mieux m'approprier leur histoire. J'ai angélisé leur création c'est vrai... Leur BD était destinée à des pré-adolescents et j'en ai fait un conte pour enfant, une histoire plus innocente (dans la BD, l'avion du titre était un vaisseau spatial armé ; Cédric Kahn en a fait un planeur. NDLR). Je comprends que ce genre de modifications puissent choquer. Il y a un côté pillage... Mais en même temps, rien ne force un auteur à accepter une adaptation.

 

"L'oeuvre originale n'est qu'un matériau"

Plusieurs fois dans vos films, vous faites le choix de modifier radicalement certains rebondissements du livre. Pourquoi ?

Encore une fois, pour des raisons cinématographiques. Dans Feux Rouges, je voulais un climax. Un pic émotionnel. Georges Simenon avait imaginé l'histoire d'un automobiliste qui rencontrait la figure du mal... Mais ne la tuait pas, sous prétexte qu'elle l'avait aidé indirectement à reconstruire son couple. Dans le film, le personnage de Jean-Pierre Daroussin passe à l'acte, même si je laisse planer le doute : rêve ou réalité ? D'un point de vue dramaturgique, ce meutre est logique et très fort. En revanche, si je réalisais Feux Rouges aujourd'hui, je resterais beaucoup plus clair et factuel. Je ne jouerais pas autant sur la frontière fantasme/réalité. C'est une ficelle scénaristique trop facile...

 

Quel regard portez-vous sur la plupart des adaptations ? Notamment celles qui se contentent de "mettre le livre en images" ?

La notion d'auteurisme est en perte de vitesse. Le public recherche des choses plus facile d'accès, presque industrielles. C'est la recette basique du film de consommation où tout est livré clé en main. Ceci dit, si le livre est bon et le film réalisé avec humilité, ça peut marcher. Si l'on cherche à fédérer, il vaut mieux faire de l'illustration. Les producteurs de ces films l'ont bien compris et n'ont pas l'ambition de faire autre chose qu'une adaptation sage et sans aspérité. C'est une décision respectable... En revanche, ce que je déteste, ce sont les voix off qui reprennent des passages entiers du livre. Ca n'a aucun intérêt...

 

© Universal Pictures / © L.G.F.
"L'erreur est de chercher le livre dans le film"

On entend souvent dire : "le livre était mieux que le film"...

Je comprends les gens qui préfèrent les livres aux films : ils aiment mieux imaginer que voir. Mais l'erreur souvent commise est de chercher le livre dans le film. Encore une fois, les deux n'ont rien à voir ensemble. Si l'on me dit : "tu as raté ton film", ça me touche ; si l'on me reproche d'avoir raté une adaptation, je m'en fiche.

 

Quel livre rêveriez-vous d'adapter ?

American Tabloïd de James Ellroy, sans hésitation. Mais étant donné l'ampleur de cette histoire, le défi est presque impossible à relever. Surtout pour un Français...


Filmographie
L'Avion 2005 avec Vincent Lindon et Isabelle Carré
Feux Rouges 2004 avec Jean-Pierre Daroussin et Carole Bouquet
Roberto Succo 2001 avec Stefano Cassetti et Isild le Besco
L'Ennui 1998 avec Charles Berling et Sophie Guillemin
Culpabilité zéro 1996 avec Vincent Berger et Marie Mure
Trop de bonheur 1994 avec Estelle Perron et Malek Bechar
Bar des rails 1991 avec Fabienne Babe et Brigitte Roüan
Les dernières heures du millénaire 1990 avec Nathalie Richard et Laetitia Masson

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