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INTERVIEW
 
26/09/2006

"L'éléphant est perçu comme un concurrent"

La fondation "Des éléphants et des hommes" tente de réconcilier les paysans du Botswana et les éléphants d'Afrique, accusés de détruire les cultures. Julien Marchais, coordinateur de l'organisation, nous parle de ce défi.

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Quel est l'objectif de "Living With Elephants" ?

La fondation "Living With Elephants" œuvre pour la coexistence de l'homme avec la nature sauvage et en particulier avec son plus imposant représentant terrestre, l'éléphant d'Afrique. Aujourd'hui, la pression démographique humaine fait peser sur la nature une menace considérable qui se traduit par la disparition d'espèces et la modification profonde des écosystèmes naturels. Cette perte de biodiversité a des répercussions sur l'environnement et donc in fine sur l'humanité. En d'autres termes, nous sommes en train de scier la branche sur laquelle nous sommes assis. Il s'agit là de la philosophie que nous adoptons, à la suite de grandes institutions onusiennes, gouvernementales et non-gouvernementales. Notre échelle d'action est cependant bien plus petite, localisée dans le delta de l'Okavango au Botswana. Elle est utile à l'échelle régionale et symbolique à l'échelle mondiale.

 


Photo © Fanny Bucchiotty

Pourquoi les éléphants du Botswana sont-ils mal perçus par les populations locales ?

Comme un peu partout en Afrique et en Asie, les éléphants sont, par leurs besoins écologiques en espaces et en ressources naturelles, les premiers animaux à entrer directement en compétition avec les humains. Le Botswana, grand comme la France et ne comptant pourtant qu'un peu plus de 1,5 millions d'âmes, ne fait pas exception à la règle, notamment dans sa moitié nord. Entre brousse sauvage et zones agricoles, la limite est ténue. Pachydermes et villageois se retrouvent fréquemment en compétition pour l'eau et la terre. Concrètement, les éléphants font régulièrement des incursions dans les champs des agriculteurs qui se trouvent à la frontière des zones naturelles ou mêmes dans celles-ci. Les cultures sont pour eux une source de nourriture particulièrement riche et nutritive, comme elles le sont pour nous ! L'éléphant étant une espèce migratrice, un peu comme nous finalement, il est bien difficile de savoir si ce sont les uns qui entrent chez les autres ou les autres qui empiètent chez les uns.

Il est intéressant de noter que l'éléphant est l'objet des mécontentements des agriculteurs car il est potentiellement dangereux et destructeur, mais l'étude que nous avons menée auprès d'une communauté villageoise du sud de l'Okavango tend à montrer que les babouins, les singes grivets, et les porcs-épics sont probablement plus destructeurs des cultures que les éléphants, sans bien sûr mentionner les insectes que les agriculteurs ne remarquent pas ou très peu. Pour les agriculteurs, l'éléphant est le baobab qui cache la forêt des ravageurs des cultures. Enlevez l'éléphant et l'agriculteur déplorera les destructions d'une longue série d'animaux sauvages. Le problème existe depuis le début de l'agriculture et a lieu sur l'ensemble de la planète. Entre l'agriculteur français en conflit avec le blaireau dans certaines régions et l'agriculteur botswana et l'éléphant, la situation est similaire. La tragédie actuelle est de voir que ce sont les agriculteurs les plus pauvres, cultivant essentiellement pour leur subsistance, qui subissent cette compétition de plein fouet et qu'elle a lieu dans les derniers grands espaces naturels de la planète. C'est un signal d'alarme très fort, qui passe malheureusement bien souvent inaperçu.

 

Misez-vous toutes vos actions sur l'écotourisme ?

Non. "Living With Elephants" intervient plus dans le domaine de l'éducation à l'environnement, à la nature et à sa conservation. Nous intervenons aussi modestement dans la réduction des "conflits" agriculteurs-éléphants. Cependant, il est vrai que pour une région naturelle aussi spectaculaire que le delta de l'Okavango, le message de "Living With Elephants" auprès des enfants locaux est d'encourager la valorisation de leur patrimoine naturel via l'écotourisme. Dans notre monde mercantile, un tourisme raisonné, axé sur la nature, est probablement le meilleur moyen pour conserver la faune sauvage. Cela crée une série d'emplois et modifie les comportements des voyageurs comme des autochtones. J'apprécie le sport, le cinéma et la musique mais si nous accordions autant de moyen et d'intérêt à la nature qu'à ses trois activités, la biodiversité se porterait certainement mieux. Il nous est désormais plus aisé d'identifier 10 célébrités télévisées que 10 espèces communes d'oiseaux. Il en va de même en Afrique comme en Europe.

 

Votre organisation sensibilise plus particulièrement les enfants. Par quels moyens ?

De la manière la moins didactique et la plus ludique possible. L'essentiel est d'offrir aux enfants de la région une opportunité de découvrir leur patrimoine naturel. L'idée du programme "Enfants et Eléphants du delta de l'Okavango" ("Bana Le Ditlou en Setswana") est née du constat tout simple de Douglas Groves que les voyageurs du monde entier viennent découvrir le fameux delta de l'Okavango alors que les enfants de la région ne l'ont jamais visité (la plupart vivant à Maun, situé à 20 km du delta) ou, s'ils sont originaires d'un village du delta, ont une perception négative des éléphants. Il s'agit donc avant tout d'emmener les enfants en brousse à la découverte de la nature de leur pays. Ils y découvrent la flore et la faune (zèbres, girafes, hippopotames, lions...) tout simplement pour la première fois ou, pour ceux qui les connaissent, sous un autre angle. Le programme se focalise sur les éléphants. L'interaction est le moment fort du programme. Les visages des enfants expriment les émotions bien plus que les mots. Des jeux éducatifs d'initiation à l'écologie font suite à cette rencontre ainsi qu'une visite d'un camp d'écotourisme afin de permettre aux enfants de prendre conscience des débouchés offerts par ce secteur économique prometteur. Le programme mobilise le sens de l'observation des enfants. L'essentiel est qu'ils passent un bon moment dans la nature. Dans 10, 20, 30 ans, il est très probable qu'un grand nombre d'entre eux exercent une activité plus ou moins liée à la valorisation de la nature. Notre espoir est que cette expérience marque les esprits des décisionnaires de demain et que leurs choix professionnels intègrent la conservation de la nature et la préservation de leur environnement.

 


Photo © www.livingwithelephants.org

Quels seront vos prochaines actions ?

Nous espérons maintenir annuellement le programme éducatif "Enfants et Eléphants du Delta de l'Okavango" toujours en collaboration avec les acteurs locaux, notamment les écoles et leur ministère de tutelle ainsi que le département de la Nature et des Parcs Nationaux, et nos partenaires internationaux. Actuellement, le sentiment général de l'équipe est de rester petit, local et concret. L'ambition de toute association n'est-elle pas de travailler à sa disparition? Quand les enfants de la région auront intégré l'éléphant et leur patrimoine naturel dans leurs plans d'avenir, en œuvrant pour leur conservation, notre action aura atteint son objectif et le projet n'aura plus lieu d'être. De mon côté, je suis en train de développer avec la petite équipe de l'association française "Des Eléphants et Des Hommes" et en collaboration avec plusieurs partenaires français et africains un programme intitulé "Enfants et Eléphants d'Afrique". Le premier volet est donc celui du delta de l'Okavango et nous espérons débuter le second volet au Burkina Faso dès 2007. Notre vision est de développer des projets similaires, toujours petits, locaux et concrets, partout en Afrique où la cohabitation Humains-Eléphants aura besoin de la sensibilisation des enfants afin de bien préparer l'avenir.

 

» Et aussi l'Encyclopédie des éléphants sur L'Internaute

En savoir plus sur www.deselephantsetdeshommes.org


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