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INTERVIEW
 
Septembre 2006

"J'espère que ces travaux sont une petite révolution génétique"

Mendel a imaginé les lois de l'hérédité grâce à des croisements entre petits pois. Une équipe de l'INSERM les repense en s'appuyant sur... la queue d'une souris ! Quelques explications avec Minoo Rassoulzadegan.

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Minoo Rassoulzadegan est bilogiste, directrice de Génétique du Développement noraml et pathologique de l'INSERM. Elle est aujourd'hui connue pour ses travaux sur les paramutations chez les souris. Photo © M. Rassoulzadegan
"Nous avons découvert un changement par rapport à une loi de Mendel. "

Qu'est-ce que l'hérédité ?
Minoo Rassoulzadegan : La définition de l'hérédité a été donnée par Mendel. On hérite des caractères de ses parents. Mendel a défini la transmission des caractères par des parents hétérozygotes. C'est-à-dire des parents qui chacun, pour un caractère, possèdent deux versions différentes du gène. Prenons l'exemple très simplifié d'un parent blond et d'un parent brun. En génétique classique, c'est le caractère dominant (brun) qui va apparaître chez la descendance, tandis que le caractère blond sera conservé dans les gènes, mais ne s'exprimera pas. Nous avons découvert un changement par rapport à cette loi de Mendel.

C'est-à-dire ?
Nos expériences ont montré qu'un caractère peut être changé de façon épigénétique. C'est à dire que le parent transmet à sa descendance un gène, qui ne change pas, ne mute pas, et dont la séquence d'ADN reste identique. Et pourtant, le caractère associé à ce gène peut disparaître malgré la présence de ce gène. Une modification héritable qui ne touche pas la séquence primaire d'ADN est épigénétique. C'est-à-dire qu'il n'y a pas de mutation. On peut parler aussi de paramutation. C'est ce que nous avons mis en évidence chez la souris.

Pouvez-vous décrire vos expériences ?
Nous avons fait des expériences sur des souris. Un gène bien identifié de ce rongeur code pour un récepteur, appelé kit, qui, notamment, permet la fabrication de cellules mélanocytaires. Ce sont les cellules responsables de la pigmentation des poils. Par ingénierie moléculaire, nous avons créé une nouvelle version du gène, en y ajoutant une séquence d'ADN. Ainsi, nous avons donc obtenu 2 allèles du gène kit : un sauvage "normal" et un muté.
Une souris homozygote, qui porte 2 allèles mutés, n'est pas viable. Une souris hétérozygote (qui porte un allèle muté, et un sauvage) est viable, quel que soit son sexe, et fertile. Elle possède cependant 2 fois moins de ce récepteur membranaire kit que les souris homozygotes sauvages (qui portent 2 allèles sauvages). Cela se traduit par un manque de pigmentation à l'extrémité des membres, au bout de la queue et sur la tête.

Et ces souris hétérozygotes, vous les avez croisées entre elles ?
Oui. Nous nous sommes intéressé à 3 lignées différentes, et avons réalisé au minimum 10 portées par lignée. D'après les lois de Mendel, on s'attendait à trouver 2/3 d'hétérozygotes, à la queue et aux pattes blanches (possédant un allèle muté et un sauvage) et 1/3 de sauvages (possédant 2 allèles sauvages). N'oublions pas que la forme homozygote est létale.
Au niveau des gènes, c'est le cas : 2/3 des souris sont hétérozygotes, et 1/3 homozygotes. En revanche, au niveau "physique" (phénotypique), on obtient au maximum une souris sauvage par portée. Les autres sont toutes à la queue et les bouts des pattes blanches. Les proportions mendéliennes ne sont pas du tout respectées !

"Certaines des souris au phénotype muté possèdent bien 2 allèles sauvage du gène. "

Avez-vous compris pourquoi ?
On sait que le manque de pigmentation va de pair avec le manque de récepteur kit. Pourtant, chez certaines des souris au phénotype muté, on trouve bien 2 allèles sauvages du gène kit (ce sont les 1/3 homozygotes). On s'est aperçu que chez elles, le récepteur kit est 2 fois moins exprimé malgré les 2 allèles sauvages. On a nommé ces souris "kit paramutées".
Nous avons donc eu l'idée de regarder ce qui se passe au niveau de l'ARNmessager, puisque celui-ci est le reflet de la future synthèse de protéine. Or chez les kit paramutées, on trouve peu d'ARNm kit, ce qui est normal (la protéine kit est peu synthétisée), et beaucoup d'ARN en morceaux, qui ressemble à de l'ARN dégradé. D'où vient ce surplus d'ARN ?

Vous êtes donc partie à la recherche de son origine…
Tout à fait. Nous avons eu l'idée de regarder dans les spermatozoïdes. Contiennent-ils de l'ARN accumulé dans leur tête ? Y a-t-il plus d'ARN dans les spermatozoïdes des mutants que dans ceux des sauvages ? Nous avons réalisé plusieurs expériences dont une utilisant une molécule sensible au pH. Celle-ci fluoresce dans l'orange en présence d'ARN. Or, on a observé des boules orange dans la tête des spermatozoïdes des mutants, que l'on n'observe pas chez ceux des individus sauvages. Effectivement, les spermatozoïdes des souris mutées contiennent donc un surplus d'ARN.
Pour vérifier que cet ARN est bien la cause de la paramutation, on l'a extrait et purifié. Puis, nous l'avons injecté dans des spermatozoïdes de souris sauvages. Avec, nous avons fécondé des ovules de souris sauvages. Effectivement, après développement, les souris issues de ces œufs étaient bien kit paramutées.

Maintenant que vous avez trouvé la cause, pouvez vous en expliquer les mécanismes ?
On y travaille…On est au début. D'où vient la modification qui fait qu'un gène pourtant présent, ne s'exprime pas ? Il y a des méthylations de nucléotides sur l'ADN, c'est à dire des ajouts de groupements chimiques. Ils rendent la lecture de la séquence plus difficile. Il y a aussi des modifications des histones, ces protéines qui tiennent l'ADN enroulé. Si cet enroulement est changé, cela peut avoir un impact sur la lecture de la séquence, et sa traduction.

Est-ce que ce phénomène de transmission épigénétique est connu chez d'autres êtres vivants ?
Oui, chez les plantes, comme le maïs, le pétunia, ou l'arabidopsis. On connaît ce phénomène chez les plantes depuis longtemps. Il faut dire que celles-ci possèdent beaucoup de pigments et qu'il est facile d'y voir les variations de couleur, et d'y détecter ces fameuses paramutations. On connaît également un phénomène ressemblant chez la drosophile, que l'on nomme transvection. Mais on n'est pas certain qu'il s'agisse de la même chose.

Quelle est la portée de votre travail ?
Nous avons démontré le premier vrai exemple de paramutation animale et déterminé le locus du gène paramuté. Nous étudions actuellement d'autres phénotypes chez la souris, qui seront bientôt dévoilés. J'espère que ces travaux sont une petite révolution dans la génétique. On a ouvert un petit champ de recherche chez les mammifères, qui pourrait s'avérer utile pour comprendre puis soigner des maladies.

Alors, faut-il oublier les lois de Mendel ?
Mendel était un grand homme, il a défini l'autoroute de la génétique. On s'aperçoit que les choses sont plus complexes, et notre travail est d'emprunter des petites bifurcations dans cette grande voie. Elles permettent de voir de nouveaux paysages.

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